Fils d’une claveciniste, Bertrand Cuiller, claveciniste lui-même, est également corniste de formation. Né en 1978, formé à Nantes puis au CNSMD de Paris, il a eu des maîtres prestigieux, comme Pierre Hantaï ou Christophe Rousset – que MBA a accueilli tout récemment -. Depuis lors, en solo, avec son ensemble le Caravansérail créé en 2015 à l’abbaye de Royaumont ou en partenariat, il se produit partout dans le monde (Etats-Unis, Japon) ; il travaille aussi avec La Rêveuse, Les Arts florissants, Le Concert spirituel… entre autres ; il monte divers projets baroques : Scarlatti-Rameau (2015), Purcell et Locke (2016), les Brandebourgeois (2017), Les Leçons de Ténèbres de Couperin (2018), ou un excellent Rinaldo de Haendel (2018, que nous avons vu et apprécié en novembre 2022).
De goûts éclectiques, il monte également des projets transversaux entre musique, théâtre et littérature. Son duo avec Lucie Horsch, inédit, sera accueilli dimanche 14 janvier 2024 au CRR (Conservatoire à Rayonnement Régional) du Grand Avignon, invité par Musique Baroque en Avignon, 4e concert de la saison.
Voir aussi notre entretien avec Lucie Horsch
-Bertrand Cuiller, vous allez vous produire pour la première fois, je crois, avec Lucie Horsch, et vous proposez ensemble un joli programme de « fantaisies musicales ». Un répertoire existe pour le duo flûte-clavecin ?
-Oui, un répertoire de flûte avec basse continue existe aux XVIIe et XVIIIe siècles. On n’a qu’à piocher dans la musique pour traverso, c’est ce qu’on a fait en grande partie ; on a travaillé de façon intuitive, puisqu’on ne se connaissait pas ; Lucie m’a proposé une trame intéressante, logique, variée, et j’ai compris que ce sont surtout des pièces qu’elle aimait : c’est le plus important, puisque dans la majorité je fais moi-même la basse continue, donc l’accompagnement, et que c’est elle qui fait la mélodie. J’ai juste proposé un changement : introduire une sonate de Bach, même si elle a été écrite pour traverso.
-Donc au prix d’ajustement, de transcription, de transposition ?
-Seulement de transposition. Ce sont les mêmes notes, il ne fallait que transposer pour qu’elles sonnent vraiment bien. L’art de la transcription est une pratique baroque par excellence, et elle ne pose pas de problèmes pour nous. On est restés dans la musique pour flûte, mais on aurait très bien pu se diriger vers autre chose ; car Lucie est une musicienne qui joue d’autres musiques ; ce n’est pas seulement ce qu’on appelle une baroqueuse (sourire). J’ai choisi Bach plutôt que Couperin que j’adore, parce que je trouvais qu’il fallait du Bach pour l’équilibre général.
-Il est vrai que c’est une palette très variée. Mais vous-même, vous interprèterez quelques pièces purement instrumentales ?
-J’ai quelques pièces avec clavecin obligé, Boismortier par exemple, avec les deux mains écrites, une sonate pour flûte avec clavecin. En continuo, seule la main gauche est écrite, j’invente avec la main droite. Avec clavecin obligé, les trois voix sont écrites : la flûte et les deux mains. C’était la pratique courante au XVIIIe siècle. Je dirais que, quand on est un bon musicien, on peut tout jouer.
-Lucie Horsch aura 4 flûtes différentes. Comment vous-même percevez-vous ces différences d’instruments ?
-C’est à l’image de la palette qu’on a choisie, des « fantaisies ». J’aime beaucoup, surtout à deux, qu’un concert soit vivant et varié, ce qui n’exclut pas qu’un programme autour d’un seul compositeur soit vivant aussi… Mais on a souhaité ici varier l’imaginaire, susciter toutes les nuances que le changement de style inspire. C’est une manière intéressante de se rencontrer, de dialoguer, de voyager, pour nous et pour le public.
-Et le changement de flûte ?
-Ce qui est passionnant dans l’accompagnement, surtout à deux, c’est que je dois prendre une place importante, mais je me base sur Lucie et son instrument, sur sa mélodie ; c’est elle qui chante, et moi qui la suis. Selon le son qu’elle a, cela influence ma manière de jouer, mon toucher, mon choix du jeu, ma manière d’arpéger, mais tout cela se fait de manière inconsciente.
-Au-delà de ce concert, vous avez sans doute quantité de projets, en solo, concerto ou avec votre ensemble ?
–En février avec mon ensemble, ce sera les concertos 3 et 4 pour clavecin de Bach, un gros projet d’enregistrement. J’aurai aussi les Variations Goldberg sur clavecin allemand. Car il vient d’arriver un cataclysme dans ma vie ; c’est tout chaud bouillant, ça date de trois jours seulement ! Une copie de clavecin allemand de 1722.
-En quoi un clavecin allemand est-il particulier ?
-Il y en a quantité de différents. Ceux de l’Allemagne du Sud sont plus influencés par l’Italie, dont ils sont évidemment plus proches. En fait, chaque instrument est pensé pour un répertoire. Le clavecin allemand est plus polyphonique, il est clair dans toutes les tessitures. Pour les Fugues de Bach par exemple, il a une clarté des lignes mélodiques partout, et ce ne sont pas les mêmes harmoniques du son qui ressortent. Mais pour ce clavecin que je viens enfin de recevoir, il fait le laisser grandir, le laisser jouer…
-Il faut l’apprivoiser, comme le renard du Petit Prince ?
–Son bois est tout vert. Vous vous rendez compte : je l’ai commandé il y a 11 ans ! Je l’ai attendu comme l’Arlésienne, j’ai cru qu’il n’arriverait jamais. Et il m’a fallu réunir les fonds…
-Vous parlez de bois vert. L’instrument est neuf, ou vous venez juste de l’acquérir ?
–Il est neuf, et tout est encore vert, le bois et les jeux. Il doit s’apprivoiser et s’ouvrir ; le son change au fur et à mesure des mois, des re-réglages ; il sera parfait d’ici… disons 2 ou 3 ans. Comme pour une voiture neuve (rire), un rodage. Le clavier doit évoluer, les frottements horizontaux et verticaux vont s’assouplir. C’est la magie d’un instrument : quand on le joue, et suivant comment on le joue, il s’ouvre, il sonne mieux. Au point qu’après une pause, après des vacances, il faut recommencer.
-On dit de même qu’un violon qu’on ne joue pas, par exemple, perd son âme.
-Je ne sais pas si on donne une âme à un instrument, mais en tout cas on crée un lien avec lui.
-Et pour le concert de dimanche, quel sera l’instrument ? Allemand, français, italien ?
-Un clavecin franco-flamand, entre deux factures. Quand on va en concert, la question qui se pose est toujours : qu’est-ce qu’il y a dans le coin ? Dans votre région, il y a Jean Bascou à Simiane-la-Rotonde. Il a des clavecins qui permettent à notre programme, à sa variété, de s’épanouir. Les clavecins flamands sont plus polyvalents. Un italien n’aurait pas convenu, on aurait dû changer de programme. Celui du concert a deux claviers, et des caractéristiques sonores proches des instruments du XVIIe siècle et d’une rondeur qui va vers le XVIIIe siècle.
-Nous avons hâte d’entendre ce programme….
Propos recueillis par G.ad. Photo Julien Mignot & Pablo Fernandez-Juarez
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