Belle idée que de réunir les concertos de Clara et Robert Schumann dans un même programme !
Jeudi 11 août 2022, 21 h, Auditorium du Parc, Festival International de Piano de La Roque-d’Anthéron
Sinfonia Varsovia. Aziz Shokhakimov, direction
Tanguy de Williencourt, piano. David Kadouch, piano
Robert Schumann, Ouverture, Scherzo et Finale, op. 52. Robert Schumann, Concerto pour piano et orchestre en la mineur, op. 54. Clara Wieck-Schumann, Concerto pour piano et orchestre en la mineur op. 7
Belle idée que de réunir les concertos du couple Wieck-Schumann dans un même programme, concertos écrits à 10 ans d’intervalle et tous deux en la mineur. Le premier composé fut celui de Clara, qu’elle travailla de 1833 à 1835 et créa en novembre 1835, étant elle-même au piano et Félix Mendelssohn à la baguette. Concertiste déjà reconnue, elle n’avait alors que 16 ans, composant d’abord pour elle, pour satisfaire son besoin de création et ajouter son œuvre à son répertoire. Son idylle avec Robert qui, lui, n’abordera l’orchestre qu’à partir de 1841 et n’achèvera son propre concerto (créé par Clara) qu’en 1845, ne débutait que ce même mois. Bien qu’ils se connussent depuis quelques années, il n’y eut donc pas vraiment influence de Robert sur cette œuvre de Clara, mais peut-être celle de Mendelssohn qui, lui, avait déjà écrit son premier concerto dès 1831.
Il était intéressant d’entendre en son entier l’œuvre de notre compositrice. Pour ceux qui ne fréquentent pas Youtube, où on le trouve, les chaînes radio de musique classique, en ces temps où l’on redécouvre les compositrices, n’en diffusent en effet régulièrement que le 3ème mouvement, orchestralement le plus brillant. L’œuvre, il faut l’avouer, ne révolutionne pas le genre et reste fidèle à l’atmosphère romantique de l’époque. Il ne faut pas oublier non plus qu’il s’agit du premier essai dans ce genre d’une jeune fille de 16 ans. Dans le premier mouvement, l’orchestre, peu étoffé, n’a qu’un rôle d’accompagnement du piano. Le deuxième se limite à une longue introduction au piano seul suivi d’un duo avec le violoncelle. David Kadouch – entendu ici même l’an dernier et à Marseille en 2020, et que nous avions interviewé en 2015 – et le premier violoncelle du Sinfonia Varsovia ont su en exprimer avec sensibilité toute la grâce et la poésie. Un roulement de timbales, discret, enchaîne enfin avec le 3ème mouvement, le plus long du concerto. L’orchestre y est plus étoffé et plus présent, le mouvement est plus vif et entraînant, parcouru de phases plus poétiques et sensuelles et se concluant par un final énergique.
David Kadouch, Aziz Shokhakimov et le Sinfonia Varsovia ont défendu ce concerto avec conviction et rendu un bel hommage à la compositrice. A travers le jeu du pianiste, on ne pouvait s’empêcher d’imaginer, non sans quelque émotion, puisqu’écrit pour elle-même, ce que pouvait être le niveau pianistique de Clara Wieck à l’âge de 16 ans. Ce n’était pas encore une virtuosité de haute volée, mais un jeu déjà empreint de délicatesse, de sensibilité, et aussi d’énergie.
Une folle ovation salua cette interprétation, Kadouch en profitant pour féliciter le premier violoncelle qui avait partagé avec lui le duo de l’andante. Prenant ensuite la parole pour expliquer sa volonté de rendre justice aux compositrices trop longtemps ignorées – n’oublions pas son récital de l’année dernière, également paru en CD – il proposa en bis une pièce courte et apaisée de Fanny Mendelssohn, l’allegretto en do dièse mineur tiré des Six mélodies pour le piano op. 4.
Avant lui, Tanguy de Williencourt avait donné le bien plus célèbre concerto de Robert Schumann. L’exécution en fut brillante, vivante, orchestre et soliste parfaitement en phase, le pianiste montrant une belle technique, des doigts agiles, un son net, déclenchant au final une ovation enthousiaste du public. La brillance, la virtuosité l’emportaient, mais à mon goût, l’interprétation, sur un tempo assez rapide, a manqué, dans les deux premiers mouvements, d’un peu plus de romantisme, d’intériorisation et de poésie, le finale allegro vivace étant lui naturellement plus énergique et conquérant. Le choix d’un piano Fazioli (marque italienne apparue en 1981) pour l’exécution de cette œuvre ne m’a par ailleurs pas entièrement convaincu, donnant un son trop cru, brillant, certes, mais insuffisamment velouté, cause, sans doute en partie, de ce romantisme pas assez assuré.
Il est à noter que Kadouch avait choisi, lui, de changer de piano et d’interpréter le concerto de Clara Schumann sur un Steinway, pour moi plus satisfaisant pour l’œuvre jouée.
Le bis de Tanguy de Williencourt fut une œuvre plus apaisée de Robert Schumann, la rêverie des Scènes d’enfants, op. 15.
En fin de concert, les deux pianistes se retrouvèrent pour offrir en toute complicité à un public ravi une Danse slave pour quatre mains de l’opus 72 de Dvorak (allegretto grazioso en ré bémol majeur), sur laquelle il fallut à regret se quitter, sous les caprices des lumières qui plongèrent même un instant l’auditorium dans le noir.
Dans cette soirée, nous n’oublierons pas l’orchestre, toujours à son meilleur niveau, qui débuta le programme avec l’Ouverture, Scherzo et Finale du même Robert Schumann, un orchestre bien équilibré, avec des cordes homogènes, des bois et cuivres, malgré une ou deux petites faiblesses aux cors, leur répondant bien. L’ouverture fut dynamique et enjouée, le scherzo sautillant, optimiste, menant vers un final plus poétique et délicat, et le finale, de très belle facture, vif et élancé jusqu’au triomphe.
Le chef, égal à lui-même, à la gestuelle évocatrice et engagée, allant jusqu’à danser sur son estrade, complice avec les solistes, a mené de belle manière ses musiciens, attentifs et impliqués, dans cette soirée encore bien réussie.
B.D. Photos Valentine Chauvin
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