Une rareté, pour fêter le bicentenaire de l’Opéra d’Avignon
Samedi 1er février 2025 – 20h00, durée 1h30. Opéra Grand Avignon. Site officiel
Les Folies amoureuses, Opéra-bouffon en trois actes de Castil-Blaze, d’après Régnard. Musiques de Mozart, Weber, Rossini, Cimarosa, Paer, Pavesi, Steibelt
Recréation de l’une des œuvres données lors de la saison d’ouverture de l’Opéra Grand Avignon le 15 janvier 1826. Création le 1er mars 1823 au Grand Théâtre de Lyon
Production Opéra Grand Avignon
Mise en scène, Décors et Costume, Chloé Lechat. Collaboratrice artistique, Raphaëlle Blin. Vidéo, Antoine Legardnier. Lumières, NN. Coordinateur artistique et technique, Yves Jouen. Études musicales et piano, Benjamin Laurent
Léonore, Eduarda Melo. Lisette, Fiona McGown. Valcour, Fabien Hyon. Crispin, Aimery Lefèvre. Albert, Yuri Kissin
Chef du Chœur, Alan Woodbridge
Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Production Opéra Grand Avignon
INFOS PRATIQUES. Samedi 1er février, 20h, durée 1h30, Avignon. Tarifs : 5€ à 30€. Réservations sur : www.operagrandavignon.fr, ou 04 90 14 26 40.
Voir aussi toute la saison de l’Opéra Grand Avignon,
l’Opéra Grand Avignon en février
et tous nos articles de janvier et de février 2025
Le 15 janvier 1826, l’Opéra d’Avignon programmait « Les Folies amoureuses » de Castil-Blaze, né à Cavaillon. C’était juste un an après que la Cité des Papes s’était dotée d’un Opéra au cœur même de la ville – tout un symbole -. Cette œuvre est donc intéressante à découvrir… sans oublier qu’on y retrouve tous les tubes opératiques du XIXe siècle, et qu’il s’agit d’une joyeuse comédie moliéresque !
C’était il y a tout juste 200 ans ; on inaugurait en 1825 place de l’Horloge, sur le lieu même du forum romain, le premier opéra d’Avignon, plus tard détruit par un incendie et reconstruit. En même temps ou presque, le compositeur cavaillonnais Castil-Blaze pastichait, selon la mode de l’époque, les grands tubes lyriques (Rossini, Mozart…) qu’il réécrivait en français. Savoureux ! Très vite, le 15 janvier 1826, ses Folies amoureuses, créées à Lyon en 1823, étaient programmées à l’Opéra d’Avignon. Comme l’Opéra de Marseille, qui programme, cent ans plus tard, Sigurd, l’œuvre qui a accompagné la naissance de l’institution phocéenne, de même Avignon a été bien inspirée de faire un retour aux sources.
Accompagnés au piano par Benjamin Laurent, joliment mis en espace par Chloé Lechat, qui avait également signé La Traviata en début de saison, cinq solistes chantent l’histoire, moliéresque mais toujours piquante, des amours de deux tourtereaux contrariées par un vieux barbon : la soprano Eduarda Melo (site officiel), la mezzo-soprano Fiona McGown (déjà entendue à Gordes en 2018 , à Arles et Ménerbes en 2021 ; site officiel ), le ténor Fabien Hyon (site officiel ), le baryton Aimery Lefèvre (site officiel ) et le baryton-basse Yuri Kissin. Et, en arrière-plan, une double réflexion : celle de la place de la culture au cœur même de la cité, et celle de la liberté et du consentement, sans pour autant se fourvoyer dans un anachronisme inopportun !
Par ailleurs, la représentation commencera par une intervention du Chœur de l’Opéra Grand Avignon, en soutien au Chœur de l’Opéra de Toulon.
Une seule représentation.
G.ad.
Note d’intention
Célébrer un bicentenaire : rendre hommage / prendre conscience. En 1826, pour sa première saison dans son nouveau bâtiment, l’Opéra d’Avignon donne Les Folies amoureuses. Deux cents ans plus tard, en reprenant cette œuvre, le spectacle s’inscrit dans une recherche autour de problématiques sociétales d’un autre temps, mais toujours profondément ancrées dans notre monde contemporain.
Les Folies amoureuses : un collage musical et littéraire.
La partition des Folies amoureuses est un opéra bouffon qui assemble des airs d’opéras de Mozart à Rossini grâce à une pièce de théâtre de 1704, La Folle supposée. Ce collage décline le thème de la très jeune adolescente refusant de s’unir à un homme trois fois plus âgé qu’elle. Albert, un tuteur jaloux, séquestre sa pupille Léonore avec la ferme intention de l’épouser. C’est sans compter Valcour, qui, secondé par son valet Crispin et par la domestique Lisette, va aider la jeune fille à se libérer. Le stratagème : faire croire que Léonore est devenue folle.
Discordances entre un contexte d’époque et la relecture contemporaine. L’histoire des Folies amoureuses paraît aujourd’hui problématique à plus d’un titre. Tout d’abord, le terme de « folie amoureuse » est encore utilisé pour qualifier des féminicides. D’autre part, Léonore a 15 ans, elle est mineure. Albert est trois fois plus âgé qu’elle. Aujourd’hui, des femmes de tous âges décrivent des situations directement apparentées à celles dont il est question ici. Les Folies amoureuses traitent de front ces questions de consentement, de pédocriminalité, de mariages forcés et de coercition. Derrière ce qui s’apparente à une insouciante comédie des siècles passés, c’est tout un système qu’il convient
de mettre au jour. C’est pour nous l’occasion de rendre hommage à une création artistique capable de réinterroger son patrimoine. Pour célébrer une musique capable d’émouvoir au plus profond, et dans le même temps, pour se projeter collectivement dans une société plus consciente des évolutions et encore et toujours à mener.
Qui est qui ? Le jeu du théâtre et de la mise en abyme.
Imaginez la répétition d’une œuvre intitulée Les Folies amoureuses. Vous y découvrirez une femme et son mari dans les rôles de Léonore et Valcour, et puis trois collègues, pour chanter Albert, Crispin et Lisette. Un pianiste/chef de chant et des artistes du chœur. Et si l’art, au cours de ce qui s’apparente à une simple répétition, faisait ressortir tout ce que la réalité nous cache ? Et si une œuvre de 1825 nous en apprenait plus sur les violences cachées de notre époque ? Et si, au fond, la situation des Folies amoureuses était aussi la nôtre.
Chloé Lechat metteuse en scène
Les Folies amoureuses, vraiment ?
Peu après l’inauguration du Théâtre sur la place de l’Horloge en décembre 1825, la première saison démarrait, en janvier et février 26, à un rythme soutenu : cinq soirées par semaine, contenant deux voire trois titres dans la même soirée, un mélange d’opéra et de théâtre… Le public avignonnais n’avait que l’embarras du choix. Il est frappant aussi, quand on scrute un peu plus dans le détail cette programmation (dont atteste une feuille manuscrite aux archives municipales), de constater que les titres lyriques présentés sont des compositions récentes, datant presque toutes de moins de cinquante ans.
À la différence d’aujourd’hui, où l’opéra est devenu un art de répertoire puisant dans cinq siècles d’histoire, et où la création contemporaine fait plutôt exception, le public du premier quart du dix-neuvième siècle se régalait exclusivement des œuvres de ses contemporains, ou de la génération précédente. Pour fêter les deux siècles de présence de l’Opéra sur ce site au cœur d’Avignon, je souhaitais faire un clin d’œil à cette programmation de la saison d’ouverture. Parmi les titres présentés dans les deux premiers mois, il en est un qui a attiré particulièrement mon attention : Les Folies amoureuses, opéra pastiche de Castil-Blaze, sur des musiques de Rossini, Weber, Donizetti, et Marschner (composé en 1823, et joué à Avignon le dimanche 15 janvier 1826). Il s’agit d’une recomposition, sur une intrigue choisie d’un opéra composé de morceaux divers extraits de compositeurs à la mode à l’époque. Un genre très en vogue dans ces décennies, qui permettait d’entendre, avec un nouveau texte, des airs déjà connus du public. De plus, Castil-Blaze, un des auteurs très à la mode à ce moment-là, qui a fait toute sa carrière à Paris, était né à Cavaillon. Une raison de plus de ce choix. Nous plongeons donc avec ce titre dans un genre et une façon de faire qui étaient typiques des pratiques du premier XIXème siècle. Et nous racontons une histoire, elle aussi assez emblématique, très proche de celle du Barbier de Séville.
Aujourd’hui, avec deux siècles de distance, il nous convient de regarder avec un œil bienveillant et critique ces œuvres du passé : d’apprécier leur charme, bien sûr, mais aussi d’interroger le regard sur la société de l’époque qu’elles nous proposent. Comment étaient considérées les femmes à l’époque ? Comment l’argent était-il un instrument de pression sociale ? L’Opéra est, depuis toujours, un art complet qui met en perspective les enjeux de son époque. Il nous appartient de continuer le parcours et de s’appuyer sur la mémoire pour écrire l’avenir.
Frédéric Roels, Directeur de l’Opéra Grand Avignon
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