Une Tosca sans aspérité…
Vendredi 5 avril 2024, 20h, 20h30 ; dimanche 7 avril, 14h30 ; mardi 9 avril, 20h. Opéra Grand Avignon
Tosca, opéra en trois actes de Giacomo Puccini, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, d’après la pièce de Victorien Sardou. Créé le 14 janvier 1900 à Rome. Chanté en italien, surtitré en français. Éditions Casa Ricordi.
Direction musicale, Federico Santi. Mise en scène, Jean-Claude Berutti. Scénographie, Rudy Sabounghi. Costumes, Jeanny Kratochwil. Lumières, Lutz Deppe. Études musicales, Thomas Palmer. Prises de vue de l’acte I, église Sant’Andrea della Valle, Rome, Julien Soulier. Prises de vue de l’acte II, Palais Farnèse, Rome, Virginie Lançon
Floria Tosca, Barbara Haveman. Mario Cavaradossi, Sébastien Guèze. Il Barone Scarpia, André Heyboer. Cesare Angelotti, Ugo Rabec. Spoletta, Francesco Cipri. Un sagrestano, Jean-Marc Salzmann
Chœur et Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon
Orchestre national Avignon-Provence
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S’il en fallait une preuve, la voici : trois représentations (presque) pleines. Les poids lourds du répertoire font recette, surtout, peut-être, en ce centenaire de la mort du compositeur. La saison lyrique cette année à l’Opéra Grand Avignon nous a offert de beaux moments, avec Rusalka de Dvórak en octobre, L’Heure espagnole et l’Enfant et les sortilèges de Ravel en novembre, un remarquable Atys de Lully en mars avec une seule représentation (public au rendez-vous), et sans oublier le pétillant O mon bel inconnu (3 représentations pour les fêtes) ; on oubliera en revanche une Carmen intime décevante. Mais voici trois « monuments » attendus, Tosca de Puccini en avril, Luisa Miller de Verdi en mai, ouvrage redoutable pour le rôle-titre (Axelle Fanyo), et Boris Godounov (Luciano Batinic) de Moussorgski en juin.
Et le public a montré sa satisfaction, parfois son enthousiasme, devant cette Tosca : les deux tubes, « Vissi d’arte » et « E lucevan le stelle », ont été spontanément applaudis, interprétés avec conviction.
Chroniqueurs, nous étions apparemment peu nombreux en ce soir de première, et notre ressenti sera peut-être différent des spectateurs des représentations suivantes. Tant il est vrai que le spectacle vivant est l’art d’un instant – c’est à la fois sa magie et sa vulnérabilité – ; et son unicité tient autant à l’état d’âme du scripteur qu’aux conditions, aux « à-côté » du spectacle. Ainsi, dans cette Tosca, un placement latéral nous a privée pendant le premier acte de toute la partie droite de la scène. L’entracte nous a en revanche permis d’occuper les fauteuils de spectateurs mieux placés, et absents !
La production a été applaudie, dès ce premier soir. Le dépouillement de la mise en scène de Jean-Claude Berutti – déjà accueilli pour Le Chevalier à la rose en ouverture de saison 2022-2023, où le baryton Jean-Marc Salzman, ici savoureux sacristain, naguère Faninal (notre entretien), faisait également partie de la distribution – a fait l’unanimité, pour centrer légitimement l’attention sur le drame terrible qui va déchirer le « triangle amoureux ». Même la trappe de milieu de scène trouve sa légitimité d’échappatoire multiple (chapelle où se cache Angelotti, prisonnier évadé, à l’acte I ; salle de torture du Palais Farnese, à l’acte II).
Les projections (« mapping »), qui s’imposent de plus en plus pour des raisons budgétaires autant qu’artistiques, ont livré à l’acte I une première image saisissante de l’imposante nef de l’église Sant’Andrea della Valle. La suite, en revanche, n’a pas toujours convaincu ; si l’itinéraire figuré sur un plan de Rome – qu’une Bohème d’il y a quelques années avait imaginé de même pour Paris – a été globalement accepté, en revanche les mouvements de caméra, panoramique ou tangage, ont soulevé le cœur de nombreux spectateurs.
Les chœurs et la maîtrise ont bien tenu leur partie ; et les artistes du chœur distribués en solistes, Saeid Alkhouri (Sciarrone) ou Pascal Canitrot (le geôlier), tout comme Ugo Rabec (Angelotti) etFrancesco Cipr (Spoletta) ont participé à la bonne tenue de l’ensemble.
Néanmoins nous n’avons pas éprouvé la tension dramatique voire pesante qui prévaut dans Tosca. Le solennel « Te Deum » célébrant la victoire de Bonaparte à Marengo (14 juin 1800), censé ancrer la narration dans un récit historique… n’est guère solennel, et guère plus historique.
Peu de poids tragique, également, dans le Palais Farnese ni dans la personne du présumé terrible chef de la police Scarpia, interprété par André Heyboer, en prise de rôle, à la voix pourtant colorée et charpentée. On a regretté un Bryn Terfel, ou un Nicolas Courjal, dont les accents abyssaux dessinent une noirceur profonde.
La soprano néerlandaise Barbara Haveman a donné du rôle-titre, qu’elle connaît bien, une interprétation convenable mais lisse, sans l’incandescence de la cantatrice qu’elle devrait être, à l’acte II, sortant de scène auréolée des vivats ; sans doute sa robe noire, très stricte, ne peut-elle que ternir définitivement toute flamboyance.
Quant au peintre Mario Cavaradossi, il a les traits et la voix de Sébastien Guèze ; ténor au joli timbre, plus léger que dramatique, il compte à son actif nombre de rôles du répertoire. En Cavaradossi, il a peiné au premier acte pour passer le volume de l’orchestre ; ses qualités scéniques et son expressivité ont donné néanmoins de la présence à son personnage ; et le troisième acte a repulpé sa voix, lui rendant quelques couleurs et nuances. Et le dénouement, très sobre, n’est pas exempt d’émotion.
Le public n’a pas ménagé ses bravos à l’Orchestre National Avignon-Provence. A l’acte I pourtant, le chef Federico Santi, qui l’avait excellemment dirigé dans Peter Grimes en 2022, n’a guère retenu la fougue des musiciens. En revanche, les actes II et III ont retrouvé une phalange expressive, dont chaque pupitre a exprimé ses nuances, dans un dialogue souple et fécond avec le plateau.
G.ad. Photos Mikaël & Cédric/Studio Delestrade/ Avignon
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