Léger comme la musique de Lully, somptueux comme une fête à Versailles
Dimanche 10 mars 2024, 14h30, durée 3h30. Opéra Grand Avignon
Opéra en version concert avec danses
Tragédie en musique en un prologue et cinq actes de Jean-Baptiste Lully, livret de Philippe Quinault. Créée devant le roi Louis XIV à Saint-Germain-en-Laye le 10 janvier 1676
Direction musicale, Alexis Kossenko. Chorégraphie, Victor Duclos. Création lumière, Pierre Daubigny. Les costumes des danseurs ont été réalisés par l’Atelier de l’Opéra Grand Avignon
Atys, Mathias Vidal. Cybèle, Véronique Gens. Sangaride, Sandrine Piau. Célénus, Tassis Christoyannis. Doris, Hasnaa Bennani. Flore / Une divinité de fontaine, Virginie Thomas. Melpomène / Mélisse, Eléonore Pancrazi. Le Temps / un Songe funeste / Le Fleuve Sangar, David Witczak. Idas / Phobétor, Adrien Fournaison. Un Zéphyr / Morphée / un grand Dieu de fleuve, Antonin Rondepierre. Le Sommeil / Un grand Dieu de fleuve, Carlos Porto. Iris / Une divinité de fontaine, Marine Lafdal–Franc. Phantase, François-Olivier Jean. Un Petit Dieu de ruisseau, Marie Baron (Page du CMBV). Un Petit Dieu de ruisseau, Henri de Montalembert (Page du CMBV). Une Divinité de fontaine, Maryna Plumet (Chantre du CMBV). Une Divinité de fontaine, Madeleine Prunel (Chantre du CMBV)
Ballet de l’Opéra Grand Avignon. Directeur de la danse, Emilio Calcagno. Maîtresse de ballet, Brigitte Prato. Régisseur de ballet, Michele Soro
Danseuses, Aurélie Garros, Béryl de Saint Sauveur, Lucie Mei Chuzel, Marion Moreul, Hanaë Kunimoto, Tabatha Longdoz. Danseurs, Arnaud Bajolle, Joffray Gonzalez, Ari Soto, Sylvain Bouvier, Kiryl Matantsau, Léo Khébizi
Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie
Dessus de violon, Stéfano Rossi, Diana Lee, Virginie Descharmes, Akane Hagihara, Nadi Perez Mayorga, David Wish. Hautes-contre de violon, Alix Gauthier, Murielle Pfister, Laura Alexander, Juliette Shenton. Tailles de violon, Maialen Loth, Alain Pegeot, Myriam Bulloz, Alexandre Garnier. Quintes de violon, Philippe Couvert, Marie-Saint Loubert-Bie, Françoise Rojat, Hélène Couvert. Basses de violon, Tormod Dalen *, Hager Hagihara *, Magdalena Probe, Nicolas Verhoeven, Claire Lamquet, Paul Poupinet.
Hautbois, flûtes et basse de cromorne, Neven Lesage, Sidonie Millot, Nathalie Petibon, Elsa Franck, Jérémy Papasergio, Anabelle Gibeaud, Krzysztof Lewandowski, Anaïs Ramage.
Clavecin, Béatrice Martin *. Théorbes, Etienne Galletier *, André Henrich *. Violes de gambe, Salomé Gasselin *, Ondine Lacorne-Hébrard *. Percussions, David Dewaste. (* basse continue)
Les Pages du Centre de musique baroque de Versailles, Marie Baron, Lucie Bonnin, Nella Calamaro, Henri de Montalembert, Stanislas Pauly, Méloïca Walz
Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Antoine Ageorges, Louis Anderson, Jérémy Ankilbeau, Martin Barigault, Brieuc de Brémond d’Ars, Gabriel-Ange Brusson, Léo Fernique, Julien Giner, Esther Gutbub, Colin Isoir, Dario Jara Novoa, François Joron, Angelos Kydoniefs, Thomas Lefrançois, José Loyola Montecino, Jonas Mordzinski, Jordann Moreau, Constance Palin, Emmanuel Papadopoulos, Virgile Pellerin, Maryna Plumet, Benoît Porcherot, Madeleine Prunel, Branislav Rakic, Sacha Riera, Alban Robert, Marcos Vinicius Almeida Costa. Direction artistique, Fabien Armengaud
Conseiller musicologique (interprétation et pratiques historiques), Benoît Dratwicki [CMBV]. Conseillère théâtrale (déclamation), Julia Gros de Gasquet [Université de Sorbonne nouvelle], Conseillère scientifique (organologie), Lola Soulier [Université de Paris-IV Sorbonne]. Conseiller scientifique (organologie), Achille Davy-Rigaux [IREMUS]Conseiller et chargé de mission (organologie), Neven Lesage [CMBV]. Conseiller théâtral (dramaturgie), Loïc Chahine
Production Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie
Coproduction et partenariat Centre de musique baroque de Versailles | Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie | Opéra Grand Avignon | Atelier lyrique de Tourcoing | Théâtre des Champs-Élysées
L’ensemble Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie est en résidence à l’Atelier lyrique de Tourcoing dans le cadre du dispositif de « résidences croisées » du Centre de musique baroque de Versailles.
Partition réalisée par Nicolas Sceaux pour le Centre de musique baroque de Versailles sous la supervision de Thomas Leconte, Nathalie Berton-Blivet et Fabien Guilloux.
Projet «En scène !» du Centre de musique baroque de Versailles, concert réalisé avec la participation d’étudiants des conservatoires supérieurs français dans le cadre de leur partenariat de formation et d’insertion professionnelle.
À l’occasion de la production d’Atys, le CMBV fait reconstruire des copies de hautbois historiques français par les facteurs Henri Gohin, Thierry Bertrand, Olivier Clémence et Alberto Ponchio grâce au financement apporté par Monsieur Romain Durand, Grand mécène du CMBV – instruments Durand Milanolo.
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Léger comme la musique de Lully, et élégant comme des fêtes à Versailles, cet Atys a fait l’unanimité à Avignon, après, justement, Versailles en décembre, et avant une mini-tournée à Tourcoing (17 mars) puis au Théâtre des Champs-Elysées (26 mars).
A priori, on ne pouvait garantir pour Atys le même éblouissement que celui qui nous avait tous saisis en ce même lieu en 2010 lors de la re-création – plus de trois siècles plus tard – d’un autre opéra de Lully, Amadis. Celui-ci était paré de toute la somptuosité d’un spectacle opératique complet, dont nous avions alors rendu compte dans un autre média. Et c’est Avignon qui avait eu les honneurs de cette grande première !
Et pourtant, personne, semble-t-il, n’a pu rester insensible au charme de la version concertante et chorégraphiée d’Atys, fable mythologique créée à Saint-Germain-en-Laye devant le roi Louis XIV il y a presque 350 ans. Réunissant une distribution de haute volée, cette production du CMBV, fruit des derniers travaux musicologiques et d’une reconstitution minutieuse, est une pleine réussite musicale – on est plus réservé sur la chorégraphie -, voire un spectacle à part entière.
L’intrigue a beau foisonner de personnages secondaires – nymphes et autres Heures, Peuples, Zéphyrs, Flore ou Génies -, elle se résume néanmoins à un schéma très simple : dans une Phrygie mythique (l’actuelle Turquie), la déesse Cybèle aime le berger Atys, qui aime la nymphe Sangaride, qui doit épouser le roi Célénus ; le schéma-type de la tragédie classique, d’Andromaque par exemple, mais qui, chez Quinault-Lully, révèle l’insoutenable légèreté des êtres… jusqu’au dénouement où, « l’amour toujours emporte la balance ». Mais au prix de deux morts : l’assassinat, hors scène, de Sangaride par Atys devenu fou, puis le suicide du meurtrier revenant avec horreur à la raison ; la déesse le transforme alors en pin, le sujet étant directement emprunté aux Fastes d’Ovide.
On comprend que cette œuvre emblématique du Grand Siècle ait également fait autrefois les délices du Grand Roi, chanteur et danseur lui-même. Cette œuvre est un pur bijou, et sa « recréation » sur instruments d’époque reconstitués, après son éclatante renaissance par le talent de William Christie il y a presque 40 ans, a valu ce jour au CMBV à l’Opéra Grand Avignon les applaudissements particulièrement enthousiastes d’une salle pleine.
La musique de Lully est d’une finesse toujours renouvelée, et l’ensemble vocal et instrumental a su la faire apprécier du grand public comme du mélomane averti.
Le livret de Quinault, lui, porte le souffle d’une poésie délicieuse, et sa subtilité psychologique d’une étonnante modernité. Ainsi, par la voix de Cybèle, dont le rôle est d’ailleurs gâté en pépites : « Il faut souvent, pour devenir heureux, qu’il en coûte un peu d’innocence », ou « Ne méprisez pas trop les songes, l’amour emprunte parfois leurs voix », ou « Les dieux se lassent souvent d’être trop respectés, ils sont plus contents qu’on les aime ». Ou Célénus à Sangaride : « Ne sauriez-vous pas m’aimer sans qu’on vous l’ordonne ? ». Ou Atys « Ne me pardonnez pas, mais pardonnez à ce que j’aime ». Ou bien l’échange piquant entre Célénus et Cybèle : « Vous pourriez aimer et descendre moins bas. – Quand on est au-dessus de tout, on se fait, pour aimer, un plaisir de descendre bas ! »
On ose à peine saluer, comme une évidence, la parfaite diction des chanteurs, leurs délicats roulements de « r », leurs « é » joliment fermés, et leurs diérèses à se pâmer d’aise. La trentaine de chantres, et les pages, parfaitement formés par Fabien Armengaud, présentent une cohésion de groupe qui n’efface pas la précision de chacun, même en fond de scène, et contribue à la parfaite homogénéité de l’émission vocale.
Le plateau de solistes, de haute volée, ne pouvait que satisfaire le public le plus exigeant. Les seconds rôles ont tenu vaillamment leur partie : la basse Adrien Fournaison, solide en Idas avec de belles notes chaudes, moins exposé en Phobétor, le ténor François-Olivier Jean en Phantase, la mezzo-soprano Eléonore Pancrazi, à l’aise dans les médiums de Melpomène, attachante dans les jolis aigus de Mélisse, entendue aussi dans une récente Périchole de Laurent Pelly aux côtés de Laurent Naouri, mène un très fin dialogue avec les théorbes en fin d’acte III.
Quant aux protagonistes, ils étaient dans une forme éblouissante. Mathias Vidal, plutôt ténor que haute-contre annoncée, a insufflé au rôle-titre son énergie, nuançant parfois sa ligne de chant pour l’assouplir dans quelques piani voire pianissimi (III). La basse Tassis Christoyannis, belle barbe blanche, prestance majestueuse, incarnait physiquement et vocalement une parfaite figure d’autorité bienveillante, avec un naturel confondant. Côté féminin, on a palpité avec le cœur de Sandrine Piau, en jeune amoureuse au timbre clair, aux aigus lumineux et raffinés. Et c’est évidemment Véronique Gens qui a dominé la distribution sans pour autant l’écraser : la complexité de son personnage dont elle traverse avec une fine expressivité toute la palette d’émotions complexes, l’assurance d’une voix ample et colorée, et l’éclat de sa robe flamboyante d’une fière élégance, en ont conforté la stature imposante.
Au pupitre devant ses 24 Violons du Roy, violons, violes, clavecin et théorbes, le remarquable chef niçois Alexis Kossenko a vécu chaque seconde des 3h30 de représentation avec une intensité rare, attentif à tout. Il a été nommé directeur musical de la Grande Ecurie et de la Chambre du Roy, après la disparition de Jean-Claude Malgoire (2018), qui les avait fondés en 1966 et leur avait donné leurs titres de gloire sur instruments d’époque ; il les a alors unis aux Ambassadeurs pour se lancer dans des projets plus vastes. Une quarantaine de musiciens de la nouvelle entité ont ainsi participé à cette co-production ambitieuse, dont la violiste Salomé Gasselin, toute récente Révélation des Victoires de la musique classique.
La gestuelle du chef était un spectacle à elle seule, transmettant une formidable vigueur par sa seule présence. L’attaque de l’ouverture a pu sembler grandiloquente ? Elle a lancé un mouvement, qui a soutenu un intérêt constant jusqu’au salut final. Ensuite, au long des actes, chaque geste s’est offert le luxe de ciseler chaque mesure. Avec l’arrondi du bras droit, l’enveloppement du coude gauche, l’effacement d’une épaule, le geste martial du menton, la main se posant sur le cœur, le mouvement délié du poignet, et la mobilité de chaque doigt comme si chacun faisait envoler la légèreté et la précision d’une note ; rapide, à peine esquissé, chaque geste était pleinement juste et porteur de sens. Bluffant…
En continuo ou en mélodie, le clavecin de Béatrice Martin dessinait une ligne de profondeur, les deux théorbes (Etienne Galletier et André Henrich) apportant le recul, parfois la note légère ou carrément tragique qui donne du relief au drame. Les cordes assuraient le tissu musical d’un univers changeant tout en finesse.
Les 8 instruments à vent d’époque, à la présence épisodique, scandent sur scène la dynamique d’un récit qui se construit peu à peu, participant pleinement à la dramaturgie. A côté des hautbois et flûtes, la basse de cromorne, impressionnante par ses 2 mètres, au-delà de l’exotisme crée la ligne de force du relief acoustique et de l’homogénéité de la phalange.
L’absence de décor est avantageusement remplacée par des lumières créatives, et par la solide présence scénique de chaque interprète, individu ou ensemble. On s’offre un clin d’œil brechtien avec les didascalies comme « Le théâtre représente des jardins agréables ». La scène est animée en permanence, par les déplacements des chœurs – chantres et pages -, par les entrées et sorties des solistes, par un subtil déploiement dans l’espace qui restitue le mouvement de la vie même. Les placements successifs des pupitres instaurent des situations de complicité ou d’opposition, les solistes se déplaçant au fil d’une narration clairement tracée. Les solistes dans leur majorité sont suffisamment détachés de leur partition pour créer entre eux un dialogue presque spontané de regards, une véritable circulation de sentiments et d’émotions. Une mise en espace qui frôle la mise en scène, sobre, exigeante, efficace.
En revanche, la partie chorégraphique, sur laquelle nous fondions beaucoup d’espoirs, nous a d’autant plus déçue. Certes, les 12 danseurs du Ballet de l’Opéra d’Avignon – un trésor de plus en plus rare dans une maison d’opéra ! – se sont totalement investis, et ont été vivement applaudis, tant les « anciens » – Sylvain Bouvier, Aurélie Garros, Beryl de Saint Sauveur (venue de l’Opéra de Paris et de la Scala de Milan, notamment), Joffray Gonzalez, Ari Soto, ou Arnaud Bajolle qui dansait là son dernier ballet – que les nouvelles recrues – Lucie-Mei Chuzel, Léo Khebi, Hanae Kunimoto, Tabatha Longdoz, Kiryl Matantsau, Marion Moreul -. Mais le chorégraphe Victor Duclos, lui, a dû essuyer quelques huées. L’irruption de la modernité dans un univers baroque peut se révéler délicieusement disruptif… à condition que la chorégraphie soit inventive, et non pas gratuitement déconnectée. Jouer sur la disparité des costumes – des déguisements ? – (acte I, quitte à leur ajouter au 4e acte des couronnes de feuillages au dernier acte) ne suffit pas. Ni secouer de sanglots hoquetants leurs corps de pleureurs (V)…
N’est pas Prejlocaj qui veut, en faisant marcher ses danseurs ; n’est pas Pietragalla qui veut, en sculptant un mouvement lentement étiré ; n’est pas Anne Teresa de Keersmaeker, et son éclectisme… ; n’est pas Pina Bausch avec sa richesse cosmopolite… Quelques éléments néanmoins ont trouvé leur instant de grâce, comme des duos très vifs dansés au milieu du public (effet de surprise assuré), ou comme l’agitation légitimement créée par l’arrivée lumineuse de la déesse, crainte et admirée, ou comme une réelle harmonie des ensembles (III) soulignée par des vêtements blancs (mais pourquoi des combi, des shorts ou bermudas, tous froissés ?) ; ou les danseuses se laissant tomber une à une, marquant symboliquement la mort de Sangaride…
In fine, malgré les rares réserves, c’est un magnifique spectacle que cet Atys, dont la suite de tournée sera concertante et non chorégraphiée, et auquel on souhaite longue et riche vie…
G.ad. Photos G.ad.
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