Beaucoup de bruit….
Opéra-Comique en un acte, coécrit avec Manuel Garcia, d’après la pièce éponyme de Jean-François Regnard, livret de Sophie Gay. Création à Paris le 2 avril 1818
Direction musicale, Débora Waldman. Mise en scène, Jean Lacornerie. Décors, Bruno de Lavenère. Costumes, Marion Bénagès, réalisés dans les Ateliers de costumes de l’Opéra Grand Avignon. Lumières, Kevin Briard. Chorégraphie, Raphaël Cottin. Études musicales, Hélène Blanic
Scapin, Thomas Dolié. Marine, Elodie Kimmel. Valère, Enguerrand de Hys. M. Grifon, Vincent Billier. Mme Argante, Carine Séchaye. Léonore, Julie Mossay. M. Mathieu, Jean François Baron. Champagne, Gilles Vajou
Choeur de l’Opéra Grand Avignon, Cheffe de chœur, Aurore Marchand
Orchestre national Avignon-Provence
Nouvelle production. En coproduction avec Angers-Nantes Opéra, Opéra de Rennes, Opéra de Toulon Provence-Méditerranée. Palazetto Bru Zane
Voir aussi toute la saison lyrique de l’Opéra Grand Avignon
Ce devait être un événement, promu par le Palazzeto Bru Zane de Venise, que la re-création mondiale par 4 maisons d’opéra (Avignon, Angers-Nantes, Rennes et Toulon) d’une œuvre injustement oubliée pour cause de sexisme, ou, ce qui revient au même, d’avant-gardisme féministe. Partition et livret, créés en 1818, ont été chacun signé d’une femme, respectivement Sophie Gail et Sophie Gay. L’intrigue, on ne peut plus moliéresque, est empruntée à Jean-François Regnard (1694), le « second Molière » de la Comédie-Française : une jeune fille a deux prétendants, le père et le fils, et son coeur penche irrésistiblement… Pour aider les jeunes amoureux, bien sûr, un valet roublard en diable, nommé d’ailleurs Scapin. Ce n’est pas vraiment une opérette, puisque alternant les airs et les dialogues parlés, mais une œuvre courte (1h30), intitulée opéra-comique.
Une re-création mondiale ! Amateurs de raretés et musicologues érudits se sont frotté les mains d’impatience, et nous avons partagé cette impatiente curiosité… avant de « déchanter ». Si la recherche d’œuvres inédites réserve des joies inestimables, pour autant elle ne suffit pas à assurer la réussite du spectacle qui en est issu.
Les interprètes de cette production pourtant ne ménagent pas leur énergie. Le baryton Thomas Dolié (Scapin), Révélation lyrique 2008 des Victoires de la musique, incarne avec maestria la rouerie du serviteur maître du jeu ; Enguerrand de Hys (Valère), le ténor jeune amoureux, séduit avec un timbre léger mais joliment coloré. Carine Séchaye donne à Mme Argante fougue et crédibilité, comme l’applaudimètre l’a confirmé – Classiqueenprovence l’avait vue en février 2022 à Marseille dans une Walkyrie perturbée par la Covid – ; Vincent Billier (M. Grifon), baryton-basse, compose un usurier très théâtral, Julie Mossay (Léonore), venue du Septentrion – Wallonie, Liège, Luxembourg, où elle se produit le plus souvent -, a l’acidité fruitée de la jeune ingénue. La soprano Elodie Kimmel (Marine), artiste aux multiples talents, a su également trouver sa place, et Jean-François Baron en M. Mathieu ne démérite pas. Gilles Vajou en revanche (Champagne, conteur, metteur en scène…), dans une désinvolture forcée, ne convainc pas vraiment.
Debora Waldman dirige avec enthousiasme ce répertoire qu’elle s’est promis de sortir de l’oubli. On regrette néanmoins que la brièveté de la partition, au demeurant agréable, ménage à l’Orchestre, en formation plus mozartienne encore que d’habitude, d’interminables moments de vacance.
Car l’œuvre, plus dramatique que lyrique, ne peut que laisser les amateurs d’opéra sur leur faim. L’effectif choral se limite aux dix messieurs du Chœur… et à seulement quelques notes au dernier tableau. Le plateau ne réunit que huit personnages – bien peu pour un « opéra-comique » -, et les parties chantées sont si réduites !
D’autant que, après une ouverture alléchante – les acteurs en ombres chinoises -, la pièce s’enlise dans un didactisme confus et pesant. Sous le prétexte, séduisant, d’un spectacle en train de se monter, on se fourvoie dans des explications historiques, sociologiques, musicologiques, certes passionnantes dans un dossier de presse ou un opus pédagogique, mais inutiles et indigestes dans un spectacle ! Une mention toutefois pour les lumières de Kevin Briard qui soulignent avec justesse le décor épuré, et les costumes, sortis du talentueux Atelier de l’Opéra Grand Avignon. Et quand le public est invité à chanter avec les artistes deux petites phrases au final, il participe avec un plaisir évident.
In fine, on peut souscrire à la démarche novatrice, en cours de saison. Mais, dans l’une des rares maisons d’opéra qui possède encore un Chœur et un Ballet – dommage que celui-ci exporte en ce moment son désastreux Storm en Italie ! -, les fêtes de fin d’année sont justement « le » moment d’excellence pour un grand spectacle : froufrous et flonflons, paillettes et champagne, et refrains qui vous poursuivent jusqu’au bout de la nuit ! Comme à Marseille (l’Auberge du Cheval-Blanc) ou à Toulon (la Périchole : notre compte rendu) ou début décembre à Nice (Orphée aux Enfers), pour ne citer que les autres maisons de la région Sud, et sans parler des « concerts de Nouvel An », à Aix-en-Provence ou Cannes par exemple.
Au moins cette Sérénade ne risque-t-elle pas de détrôner Carmen, Le Chanteur de Mexico, ou La Chauve-Souris dont Jean Lacornerie, metteur en scène de la Sérénade, avait donné l’an dernier à Avignon même une vision très réussie.
G.ad. Photos Mickaël & Cédric/ Studio Delestrade/ Avignon
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