Tempête annoncée
L’Autre Scène, Vedène. Opéra Grand Avignon. Samedi 19 février 2022, 20h30 ; dimanche 20 février 2022, 16h.
Storm. Chorégraphie, Emilio Calcagno. Lumières, Hugo Oudin
Ballet de l’Opéra Grand Avignon
Toute la saison chorégraphique 2021-2022 à l’Opéra Grand Avignon
Pour son arrivée à la tête du Ballet de l’Opéra Grand Avignon, Emilio Calcagno ne pouvait que frapper fort avec sa première création, d’ailleurs différée pour raison sanitaire, Storm. Danseurs contre ventilateurs. Score : 13 à 6 ! Il fallait créer l’événement. De fait, avec deux représentations à moitié vides – ou à moitié pleines -, le chorégraphe a surtout ébouriffé et enfumé quelques spectateurs des premiers rangs, il a assourdi quelques auditeurs gênés, comme nous, par la musique électro, lancinante, amplifiée, aux basses agressives, et a agressé l’ensemble de la salle par les hurlements de l’un des danseurs, Joffray Gonzalez.
« Storm » : le titre à lui seul est coup de poing. Avec une seule voyelle au milieu d’un monosyllabe vigoureux, entre deux couples de consonnes (sifflante/dentale et liquide/nasale), le mot anglais est bien plus suggestif – une fois n’est pas coutume ! – que nos « orage, tempête, tourbillon »… Un mot qui siffle et heurte au début, et qui se termine en roulant et s’assourdissant, après le vortex médian. On entre avec lui dans l’instabilité, le mouvement, le déséquilibre. Et si le chorégraphe a décidé de plonger les danseurs au cœur de la tourmente, bousculés par d’énormes ventilateurs, n’est-ce pas une fable de la modernité, une métaphore de la pandémie, tout autant qu’une évocation du déluge originel ?
Oserai-je confesser que ma première pensée, dès le retour final au noir, a été de soulagement, tant la tension, voire l’inquiétude, est prégnante ?
Le spectacle est intéressant, et les danseurs déploient une énergie dévorante qui leur fait honneur. La chorégraphie est une synthèse entre Prejlocaj, dont le premier tableau est visiblement inspiré, à côté de quelques heureuses trouvailles, et un classicisme sporadique, ponctué de jetés battus, de sauts, arabesques et d’une élégante scène de pointes… Nous avons vu de beaux tableaux, des jeux de clair-obscur, des figures de tournoiement tempétueux ou d’enroulement protecteur…
Mais nous nous interrogeons entre autres sur la bigarrure costumière de l’ouverture, avec un danseur affublé d’une fraise Henri III et jupe plissée bleu layette (en quoi Anthony Beignard, issu de l’école de Roland Petit, avait-il mérité pareille punition ?), sur les nombreux changements de costume en fond de scène mais à vue, sur la symbolique de la danseuse seule dans la dernière scène (cygne noir contre cygnes blancs ?).
Et nous avons surtout compati avec les danseurs. Cinq gros ventilateurs mobiles, imposant presque une heure de tension visible, aux corps et aux esprits, et un sixième « ventilo » géant pendant le final, un final tourmenté, voilà certes une belle métaphore de la tourmente dans laquelle le monde se débat, entre la Covid dont on ne voit pas encore la fin au bout de deux années, et la tension internationale paroxystique entre Russie et Ukraine, sans oublier, plus ponctuellement, la tempête Eunice qui en ce moment même balaie l’Europe du Nord… Telle est en effet une métaphore originale… à condition de ne point mettre les danseurs en danger. Entre exprimer symboliquement un déséquilibre et risquer de bouleverser profondément (et durablement?) des individus, la frontière est ténue voire poreuse. Storm veut frapper un grand coup, à l’exact opposé de la Belle au bois dormant d’Eric Belaud son prédécesseur récemment reprogrammée au Thor (84), soit ; mais les 90km/h annoncés – bel effet d’annonce -, et le malaise visible des danseurs comme encordés, n’étaient-ils que du bluff ? Si oui, c’était du grand art, chapeau bas ! Sinon, on voudrait hâter leur délivrance.
On a connu danseurs plus heureux. L’on redoute pour eux une possible tournée, avec toute la série d’exigeantes répétitions qui l’accompagneraient.
On imagine le soulagement de Noémie Fernandes partant ce soir pour une autre vie, après 12 années passées au sein du Ballet.
G.ad. Photos Mickaël & Cédric/Studio Delestrade-Avignon
G.ad. Photo Vincenze Garofalo
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