Il faut les saisir au vol entre deux avions ! Bientôt, ces jeunes artistes seront injoignables, tant leur carrière démarre vite…
Dimanche 14 avril 2024, 17h00, durée 1h15. Caumont-sur-Durance, Eglise Saint-Symphorien
Paul-Antoine Bénos-Djian, Contre-ténor. Ensemble Alia mens. Liam Fennelly, viole. Olivier Spilmont, clavecin et direction
Les chansons d’Henry Purcell, « Here let my life »
O Solitude ; Evening Hymn ; Here the Deities ; Music for a While ; Fairest Isle ; Strike the viol ; Here let my life ; If music be the food of love ; O let me weep
En collaboration avec la ville de Caumont-sur-Durance ; en co-réalisation avec l’Opéra Grand Avignon
Alia Mens bénéficie du soutien de la DRAC Hauts-de-France, de la Région Hauts-de-France, du Département du Pas-de-Calais, est soutenu au titre de ses projets par le Mécénat de la Caisse des Dépôts, et est membre de la FEVIS.
L’Ensemble Alia Mens est en résidence à Boulogne-sur-Mer.
Voir aussi notre présentation de la saison de Musique Baroque en Avignon
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On eût pu être rongés d’inquiétude en ce dimanche de printemps, avec au moins six concerts concomitants dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour d’Avignon, et surtout la concurrence redoutable, sur le même créneau, du Mariage forcé de Molière / Lully donné à l’Opéra Grand Avignon par Hervé Niquet et ses équipes habituelles. Ce fut pourtant un public honorable qui avait rejoint, par temps estival, la fraîcheur bienfaisante de l’église de Caumont-sur-Durance pour ce 7e et pénultième concert de la saison de Musique Baroque en Avignon (site officiel). Un public honorable et heureux.
On ne dira jamais assez la grâce régénératrice du baroque, sa faculté unique pour vous soulever, vous alléger, voire vous purifier… Surtout quand la musique délicate et dansante est interprétée par des artistes aussi talentueux que Paul–Antoine Benos-Djian, étoile montante voire filante des contreténors, Liam Fennelly (viole de gambe, ensemble Alia Mens) et Olivier Spilmont (clavecin et direction).
Leur programme, créé il y a 6 mois à peine à Château-Thierry, où Alia Mens sera bientôt en résidence après 3 ans de résidence à Boulogne-sur-Mer, s’organise autour des chansons de Purcell, très diverses, qui méritent d’être (ré)découvertes, mariées à une suite de Couperin, de même délicatesse malgré leur écart d’une bonne trentaine d’années. Quelques mots d’Olivier Spilmont après les deux premières pièces (« Fairest Isle » à la chaude instrumentation et « Music for a While » sur un poème de John Dryden) ont rappelé que Purcell, mort jeune (36 ans) comme d’autres génies (Chopin à 39 ans, Mozart à 35 ans, Schubert à 31 ans), était un « compositeur-éponge » qui a écrit de nombreux chefs-d’œuvre dans une sorte d’urgence prémonitoire ; le programme intègre aussi l’Ode composée pour sa disparition (1695) par John Blow, qui fut son professeur.
Les deux instruments étaient censés offrir le continuo, en arrière-plan de la voix. Néanmoins le trio tissait parfaitement des équilibres divers et subtils, dans un vrai respect mutuel. On a pu ainsi apprécier toute la légèreté lumineuse du clavecin, tutoyant un jeu de luth et presque des envolées de célesta ! Sous le doigté précis d’Olivier Spilmont, il a ciselé aussi finement les rythmes marqués des danses de Couperin que la nostalgie languide de « Here let my life » sur un poème d’Abraham Cowley.
La basse de viole a développé toute la profondeur d’un son chaleureux, parfois ténébreux ; sortie en 2008 d’un atelier bruxellois de renom, copie d’ancien, elle a nécessité de longues années de fabrication, jusqu’à la volute sculptée et la marqueterie sur l’ébène du manche, qui signent les instruments d’exception. Et si elle est moins sautillante que ses petites sœurs, que Liam Fennelly – qui en possède plusieurs – associe à d’autres répertoires, celle-ci a même autorisé, à plusieurs reprises, quelques pizzicati espiègles ! Le musicien rit quand nous nous en étonnons après le concert : « ça c’est nous qui l’avons rajouté ! Purcell n’a donné aucune indication, alors pourquoi pas ? »
Quant à la personnalité généreuse du chanteur, avec ferme projection de la voix, elle n’occulte jamais les instruments. Mais elle vous entraîne parfois dans des espaces stratosphériques, parfois au plus profond de votre être. Sans effets de roucoulades spectaculaires, Paul-Antoine Benos-Djian déploie une large palette, un timbre miroitant, « chatoyant » comme le disait une spectatrice. Agile dans les changements de registre, virtuose dans les finesses d’exécution, la voix est aussi solide et colorée en presque trois tessitures, veloutée depuis le contreténor jusqu’au baryton… Souhaitons néanmoins que l’enthousiasme juvénile se tempère de prudence dans la gestion d’un organe fragile, surtout dans les tessitures hautes : des Jonas Kaufmann ou Alagna, pour n’évoquer que les plus médiatiques, ont fait les frais d’une carrière trop boulimique.
Paul-Antoine est en effet une pépite que les scènes internationales s’arrachent légitimement ; il participe en ce moment aux meilleures productions baroques, Mitridate avec Marc Minkowski à Valenciennes, Rodelinda au Théâtre des Champs-Elysées, Il Primo Omicida avec Philippe Jaroussky à Salzbourg, Giulio Cesare avec l’English Touring Opera. Classiqueenprovence l’avait entendu en 2023 avec l’ensemble Café Zimmermann à Aix-en-Provence, et l’année précédente dans l’Incoronazione di Poppea, et pourrait bien le réentendre au prochain Festival d’été, au Théâtre du Jeu de Paume dans Il Ritorno d’Ulisse in Patria sous la direction de Leonardo Garcia Alarcón (17-23 juillet). Montpelliérain, Paul-Antoine a aura ainsi le plaisir rare de retrouver « son » soleil su Sud. Passé par le CMBV (Centre de Musique Baroque de Versailles, site officiel) et par l’Académie Philippe Jaroussky, il avait obtenu en 2015 le Grand Prix de la 1e édition du Concours Raymond Duffaut d’Avignon.
Dans le concert programmé par Musique Baroque en Avignon, chaque pièce du programme crée son propre univers, de l’intimisme recueilli à la joie dansante, en passant par la tendresse, où se succèdent et se tissent mélodie de la viole (« Strike the viol »), joli solo de clavecin (« Here the Deities »), et miroitement de la voix (« O Solitude », très prisé par les chanteurs d’aujourd’hui). Le programme souligne parfaitement les spécificités de chacun des artistes, qu’ils interviennent à deux ou à trois, et le public a su manifester sa reconnaissance… même après chaque morceau, empêchant parfois la continuité d’homogénéité kaléidoscopique de l’ensemble.
Deux bis ont répondu aux attentes : une très jolie chanson anglaise anonyme pleine de tendresse, où il est question d’une biche en gésine qui prend soin d’un chevalier mort, et qui meurt à son tour, son devoir accompli… puis un air de l’Orlando furioso de Vivaldi, où les « piangeró » en anaphore ont à peine tempéré la flamboyance italienne…
On peut (ré)écouter aussi les entretiens accordés à Musique Baroque en Avignon par Olivier Spilmont et par Paul-Antoine Bénos-Dijan, en amont du concert.
Nous chroniquerons sous peu un CD d’Alia Mens, où nous retrouverons des artistes connus…
G.ad.
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