Voir toute la saison 2023-2024 de l’Opéra Grand Avignon
Le 1er week-end d’octobre, se sont déroulées à l’Opéra Grand Avignon (site officiel) demi-finale et finale – dans la foulée des éliminatoires – du Concours Raymond Duffaut 2023, initialement appelé Concours international Jeunes Espoirs. Parmi les nombreux concours offerts aux jeunes artistes, celui-ci a su dès le début trouver sa place spécifique, s’adressant aux très jeunes voix, de 16 à 26 ans.
Des jeunes prometteurs
Compte tenu de la jeunesse du concours (8 ans), les 1ers lauréats n’ont pas eu encore le temps de devenir des stars internationales du haut de l’affiche ; néanmoins, plusieurs d’entre eux commencent des carrières très prometteuses, et se produisent déjà sur des scènes nationales : Marion Bauwens, lauréate 2021 ; Lisa Chaïb-Auriol, 2016 ; Axelle Saint-Cirel, lauréate 2021, 1er prix des Voix d’Outre-mer 2023, et qu’on a entendue aussi la saison dernière dans un hommage à Christiane Eda-Pierre récemment disparue ; Léopold Gilloots-Laforge, tout jeune contre-ténor venu de la Maîtrise de ND de Paris, lauréat 2019, et qu’on a entendu en musique contemporaine avec l’Ensemble Muzicatreize ; le ténor Jean Miannay chante déjà aux Chorégies notamment ; les mezzos Juliette Mey, Grand Prix en 2021, récent 3e prix des Voix Nouvelles 2023, et Eugénie Joneau, lauréate 2022, et Révélation aux Victoires de la musique la même année commencent toutes deux un joli parcours ; Paul-Antoine Benos-Djian, Grand Prix 2015, inscrit déjà son nom sur des affiches de prestige.
Mais ce sont deux Avignonnais de 26 ans, dont les noms s’inscrivent déjà aux côtés des grands : tout doucement le contre-ténor Rémy Bres-Feuillet, finaliste en 2018, et la fulgurante soprano Julie Roset, passée par le CRR d’Avignon, puis par la Haute Ecole de Genève et par la célébrissime Julliard School américaine, pour être finaliste en 2022 du prestigieux concours du Metropolitan Opera de New York !
Au moment même de la finale à Avignon, se déroule à Cape Town, en Afrique du Sud, le prestigieux Concours Operalia ; nous apprenons le soir même que le 1er prix Operalia 2023 est justement… Julie Roset, et le 2e, la bucco-rhodanienne Eugénie Joneau !!!!
Le Concours JE est né en 2015
Créé en 2015 par la volonté conjointe de Pierre Guiral alors directeur de l’Opéra Grand Avignon, Monique Albergati, du Club Soroptimist, et Raymond Duffaut alors directeur des Chorégies d’Orange et conseiller artistique de l’Opéra Grand Avignon – qui était à cette époque Opéra-théâtre -, ce concours, devenu biennal, s’adresse aux jeunes de 16 à 26 ans, en 3 catégories, et doté de divers prix.
Cette année, la 7e édition a accueilli pour les éliminatoires (à huis clos, jeudi 2 et vendredi 3) quelque 80 candidats, de 14 nationalités, avant les demi-finale et finale publiques. Le parrain de cette manifestation, avec un jury de professionnels, est généralement une figure médiatique, cette année Charlotte de Turckheim venue en voisine.
La finale
Dans le public, des habitués de l’Opéra Grand Avignon, des mélomanes de la région curieux de découvrir les futures voix de la scène lyrique, ainsi que les candidats éliminés la veille et restés, avec leurs parents, pour découvrir le palmarès voire glaner eux-mêmes pour des concours à venir quelques conseils précieux. L’organisation du concours s’affine, avec, désormais, l’affichage sur grand écran, derrière chaque candidat, de son identité et de son programme. Mais cette année plus encore que d’habitude, on préfère être dans la salle plutôt que dans le jury car les jeux sont serrés…
L’ordre de passage, commençant par le « N » alphabétique cette année, suit la progression des âges.
C’est la benjamine, Miranda Robertson, soprano de 17 ans, qui a le redoutable honneur d’ouvrir la séance. Dès les premières notes de la « Cavatine de Norina » (Don Pasquale, Donizetti), elle frappe par une magnifique maturité, rare chez une très jeune chanteuse ; s’il faut peut-être gommer un soupçon d’acidité dans quelques aigus, la voix est fraîchement fruitée, avec un joli vibrato et des vocalises charmeuses, une assurance vocale et scénique, qui promettent le meilleur. Et dans le second passage, son choix de la « Valse de Juliette », au rythme évidemment irrésistible, déchaîne l’enthousiasme.
La soprano suisse de 18 ans, Alice Corbellari, n’a pas la même aisance. « Deh ! Vieni non tardar » (Le Nozze di Figaro, Mozart) montre néanmoins quelque velouté et un ambitus assez homogène. Pour son 2nd passage, « Montparnasse » (Poulenc) ne déclenche pas un raz-de-marée, même si Avignon a tissé il y a un siècle une histoire d’amour avec Poulenc, qui a écrit une partie de ses Dialogues des Carmélites juste de l’autre côté du Rhône, et dont on fête ce week-end précisément le 60e anniversaire.
On passe très vite à la 2e catégorie, comme si la Covid avait coupé les ailes et les ambitions de la plus jeune génération, peut-être plus fragile.
On accueille encore 2 soprani, une mezzo et un baryton, tous 4 âgés de 22 ans.
Voici la soprano Héloïse Vieuxmaire, pour son 1er concours, accompagnée par Hélène Blanic succédant à Ayaka Niwano au piano, dans une alternance bien réglée tout au long de l’après-midi. « Comme autrefois » (Les pêcheurs de perles, Bizet) se décline avec une très jolie couleur, une voix placée avec précision, mais un timbre un peu léger ; le « r » se roule en toute délicatesse, mais l’ensemble demeure peu intelligible ; la prestation n’a rien de spectaculaire, mais l’expressivité n’est pas négligeable.
Son choix de l’air de Marietta (Die Tote stadt, Korngold) en 2nde partie est pertinent, mais le manteau jeté sur ses épaules bride son expressivité en même temps que ses gestes. Le public ne lui a pourtant pas ménagé ses applaudissements.
Juliette Amirault interprète « Ah ! Douce enfant » (Cendrillon, Massenet), avec des vocalises virtuoses, une ligne intelligible, même si un petit legato s’est malencontreusement glissé… Le 2nd passage la met en concurrence directe avec Miranda Robertson, dans la « cavatine de Norina » ; l’aînée n’a pas su toujours éviter la surenchère, mais ses aigus se révèlent chaleureux, et elle doit pouvoir aborder un registre assez varié.
Après plusieurs soprani, se présente une mezzo-soprano française de 22 ans, Winona Berry. Sa tenue – tailleur pantalon – lui permet d’entrer dans le rôle de Stefano (Roméo et Juliette, Gounod) ; la voix est relativement ronde, et, si le public ne paraît pas vraiment enthousiaste, je me laisserais volontiers séduire. Pour son 2e passage après l’entracte, elle aura revêtu une robe à sequins verts étincelants pour interpréter « When I am laid » (Dido and Aeneas, Purcell) ; le timbre est assuré, sur toute longueur de la tessiture, des aigus chatoyants jusqu’aux médiums qui seraient gourmands dans un autre répertoire, soulignés par la délicatesse du piano d’Ayaka Niwano.
Le 1er candidat masculin est Leander Carlier, baryton belge de 22 ans, victime d’une récente fracture du pied ; on apprendra pendant la délibération du jury que c’est là son 1er concours en Europe. Son air, « Come paride vezzoso » (L’Elisir d’amore, Donizetti) développe une certaine agilité, puissance et expressivité, mais manque quelque peu de couleurs à mon goût, même s’il est acclamé par la salle. Ensuite, le candidat ne mettra pas vraiment en valeur l’air d’Escamillo (Carmen) même s’il est globalement intelligible, comme (presque) tous les artistes des jeunes générations.
Sur la basse chinoise de 19 ans, Zhengyu Li, les auditeurs seront divisés ; certains voient en lui la révélation du jour, d’autres esquissent une moue dubitative… Il déroule « Il catalogo » (Don Giovanni) avec l’audace conquérante de la jeunesse, sortant de sa poche un calepin dont il tourne les pages avec malice, et avec une diction irréprochable ; il manque un peu de souffle (« e la grande maestosa ») et doit polir son timbre, mais il a déjà le sens du spectacle, dans un « Voi sapete quel che fa », accompagné d’un geste large vers la salle, et aussi largement acclamé ; je le trouve néanmoins plus proche de la puissance arrogante de Don Giovanni que de la verve de Leporello. Une belle maîtrise du jeu scénique se révèlera dans un « Vous qui faites l’endormie » (Faust, Gounod) aux accents sardoniques.
Dans la catégorie Révélation, c’est Mejamandresy Rakitonirina Andrianjafy qui ouvre la série ; 26 ans, un ténor venu de Madagascar comme son nom le laisse deviner. Il a choisi « Una furtiva lagrima » (Elisir), éminemment dangereux… ; s’il y montre de jolies qualités vocales, il ne suscite guère d’émotion, les quelques secondes d’introduction musicale d’Hélène Blanic ne permettant guère d’y entrer, trop brèves. Et si le final acrobatique ne donne pas toute satisfaction, avant le « Si puo morir » conclusif, l’ensemble est pourtant salué par de nombreux applaudissements.
En 2nd passage, « Si vous croyez que je vais dire… » (Fortunio, Messager) se révèle trop statique, avec quelques ratés, malgré une parfaite diction.
Lui succèdera la soprano russe de 26 ans, Mira Alkhovik, qui brille de tous ses sequins noirs ; son articulation vocale, trop palatale à mon goût, la rend inintelligible ; la candidate préfère la puissance démonstrative à l’intériorité délicate du personnage ; on reconnaît la ligne mélodique mais pas la tonalité ; il n’est finalement pas certain que Michaela (Carmen) lui convienne. Mais « Previn, I want magic », (A streetcar named Désire) n’est guère plus convaincant, dans le genre de la comédie musicale pourtant très porteur – même s’il est aussi difficile – pour les jeunes voix.
On retrouve ensuite un candidat local, qui commence depuis quelques années une carrière nationale intéressante. Le contre-ténor Rémy Bres-Feuillet, à 26 ans, tente à nouveau sa chance dans une autre catégorie que 5 ans plus tôt, avant d’atteindre la limite d’âge, bien accompagné par Ayaka Niwano, délicate dans tous les répertoires. Éléphant man (Petitgirard, « Encore, joue-moi la suite ») est un choix audacieux, où les passages en falsettiste se négocient difficilement ; sélectionner une œuvre contemporaine évite toute comparaison de référence, mais expose aussi à l’incompréhension ; il est vrai que le choix de répertoire, avec les contraintes imposées par le concours, est assez limité pour un contre-ténor, comme nous le confirmera ensuite l’intéressé. Il paraîtra plus à l’aise dans la (fausse) simplicité, redoutable tout de même, de Mozart ; « Ah ! Di si nobil alma » (Ascanio in Alba) met sans doute plus en valeur son timbre, dans une ligne mélodique plus homogène.
Camille Chopin, soprano de 26 ans, a choisi « L’amour est un oiseau rebelle » (Messager) ; charmante, souriante, délicieusement malicieuse, avec de réelles qualités de présence scénique, elle recueillera de nombreux suffrages. Avec le très long « No world for Tom » (Stravinsky, The rake’s progress), la soprano aura fait un bon choix pour le chatoiement de sa voix, bien servi par Ayaka Niwano ; succès à l’applaudimètre.
Marie Le Normand, 26 ans, entame la série de mezzo-soprani, après une série de soprani ; elle mène un « Al suon del tamburo » (La Forza del destino, Verdi) évidemment martial, avec l’énergie communicative d’Hélène Blanic au piano, mais au prix du sacrifice des nuances. Dans « La séguédille », elle habitera tout à fait une croustillante Carmen, robe flamboyante et sensualité.
Aviva Manenti, 25 ans mezzo, offre le (trop) célèbre « J’ai perdu mon Eurydice » (Orphée et Eurydice, Gluck), et ne le réussit pas trop mal, mais le public ne semble pas conquis.
Dans son 2nd passage, « O mio Fernando » (La Favorita, Donizetti), le timbre est affirmé, mais desservi par l’ordre de passage, et par un réel statisme sur scène ; la pénultième candidate ne manque pas d’applaudissements, mais je n’entends pas de bravos.
Léontine Maridat Zimmerlin, mezzo de 24 ans, se lance à pleine voix dans « Il padre adorato » (Idomeneo, Mozart), vivant avec intensité son personnage. In fine, c’est « l’invocation à Vénus » (La belle Hélène) qu’elle interprète ; la candidate ne connaissait évidemment pas l’ordre de passage, mais quel bonheur de terminer sur ce fripon d’Offenbach ! L’interprète se régale autant qu’elle régale le public…
L’entracte a permis de se rafraîchir l’oreille avant le 2nd passage. On attend ensuite la délibération du jury, tout en votant pour le prix du public, trompant ainsi une attente qui paraît toujours très longue, et qui doit être interminable pour les candidats.
Les 14 finalistes, dont 4 garçons seulement, représentant chacune des tessitures, sont invités à se réunir sur la scène pour meubler l’attente. Remerciements d’usage, au jury, au public, aux autres candidats, quelques mots sur le « beau théâtre à l’italienne » récemment rénové, sur le bonheur du spectacle vivant…
Enfin le palmarès….
1.Les 6 prix spéciaux récompensent cette année 7 jeunes artistes :
- Prix spécial UNISSON décerné à Héloïse Vieuxmaire soprano (22 ans) ; la mezzo-soprano Julie Robard-Gendre, néo-avignonnaise, qui remet le prix à la lauréate, rappelle que l’association Unisson, née pendant la Covid, offre aux artistes un espace de parole, un soutien administratif et juridique, et accompagne les jeunes chanteurs dans leur voie de professionnalisation, pour qu’ils soient « plus solidaires que solitaires ».
- Prix spécial L’AVANT SCÈNE OPÉRA, doublé cette année, remis par Yves Senn, décerné à Marie Le Normand mezzo-soprano (26 ans) et Zhengyu Li baryton-basse (19 ans).
- Prix spécial GÉNÉRATION OPÉRA décerné à Winona Berry mezzo-soprano (22 ans) ; Génération opéra, ex-Cnipal, « n’a pas changé d’ADN », depuis l’ancien président Raymond Duffaut, au nouveau, Jérôme Gay ; la structure soutient toujours l’émergence, l’insertion professionnelle des jeunes chanteurs lyriques…
- Prix spécial Meilleure Interprète du Répertoire Français décerné par l’association Petit Palais Diffusion et remis par Monique Albergati, à Leontine Maridat Zimmerlin mezzo-soprano (24 ans).
- Prix spécial Meilleure Interprète du Répertoire Italien décerné par l’Institut Culturel Italien de Marseille à Mira Alkhovik soprano (26 ans) : Monique Albergati, représentante à Avignon du Consul général d’Italie, remet le prix à une interprète… qui a chanté en anglais ; mais le jury et le public l’avaient entendue en italien lors de la demi-finale ; elle est invitée à donner un concert dans la grande salle de l’Institut de Marseille.
- Prix spécial Les Musicales de Gadagne décerné par l’association Le Ban des Arts Châteauneuf-de-Gadagne (Alain Simon et Jean-Marc Bouffartigues) à Remy Brès-Feuillet contre-ténor (26 ans) : un concert le 4 février 2024.
2.Les 4 Grands prix récompensent 5 jeunes artistes :
– Grand prix Club Soroptimist International France Sud-Est – le Soroptimist d’Avignon étant co-fondateur du Prix Raymond Duffaut -, décerné à Aviva Manenti mezzo-soprano (25 ans) et Winona Berry mezzo-soprano (22 ans). 1.500€ à chacune.
– Grand prix JEUNE ESPOIR décerné par le Grand Avignon, remis par Claude Morel, vice-président du Grand Avignon, délégué au spectacle vivant, à Miranda Robertson soprano (17 ans), qui avait fait grande impression. 2.000€.
– Grand prix JEUNE TALENT décerné par le Conseil Départemental de Vaucluse à Leander Carlier baryton (22 ans). 3.000€ remis par Elisabeth Amoros, qui renouvelle le soutien du Département (« on sera toujours avec vous »).
– Grand prix RÉVÉLATION décerné par la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, remis par Michel Bissière, vice-président de la Région, président d’Arsud, à Camille Chopin soprano (26 ans). 5.000€.
3.Le Coup de cœur de la marraine Charlotte de Turckheim et le Prix du Public
- Le Coup de cœur de la Marraine 2023 décerné par Charlotte de Turckheimà Miranda Robertson soprano (17 ans), « une personnalité rayonnante et engagée malgré son jeune âge ». 1.000€.
- Le Prix du Public décerné à Miranda Robertson soprano (17 ans)
Frédéric Roels, directeur de l’Opéra Grand Avignon et président du concours, aura le mot de la fin, remerciant chacun des acteurs de l’événement, en lumière ou dans l’ombre ; il rappelle combien ce concours est redevable à Raymond Duffaut co-créateur, dans la salle mais pour la 1e fois hors jury (ex-président) selon son souhait. Il souligne que, au milieu de nombreux concours auquel il participe en juré, celui-ci était d’un très bon niveau dès les éliminatoires. Il félicite les lauréats, et encourage « ceux qui n’ont pas été sélectionnés ».
Des paroles convenues peut-être, mais bienvenues et souhaitées.
G.ad. Photos G.ad.
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