Un petit bijou mais une mise en scène énigmatique
Dido and Aeneas, opéra (Londres, 1689). Musique, Henry Purcell. Texte, Nahum Tate d’après L’Énéide de Virgile. Une création de l’Arcal, compagnie de théâtre lyrique et musical, direction artistique Catherine Kollen. Création le 2 février 2018 à l’Opéra de Massy. Opéra chanté en anglais, surtitres en français. Durée : 1h15 sans entracte
Mise en scène, Benoît Bénichou. Direction musicale et violon, Johannes Pramsohler | Ensemble Diderot. Dramaturgie, Catherine Kollen. Chorégraphie, Anne Lopez. Scénographie, Mathieu Lorry-Dupuy assisté de Lara Hirzel. Lumières, Caty Olive. Costumes, Alain Blanchot. Maquillage & coiffure, Elisa Provin. Adaptation musicale, Frédéric Rivoal & Johannes Pramsohler. Chef de chant, Frédéric Rivoal. Diction anglaise, Philip Richardson
Didon, reine de Carthage (Vénus, Magicienne) : Chantal Santon-Jeffery. Énée, prince troyen (Phoebus, l’Esprit, le Marin) : Romain Bockler. Belinda, sœur de Didon (2e Néréide, 1e sorcière) : Daphné Touchais. Seconde Dame (1e Néréide, 2e sorcière) : Chloé De Backer. Ensemble Diderot, direction & violon Johannes Pramsohler. Choeur de courtisans et de sorcières
Dans cette pénultième programmation lyrique 2021-2022 de l’Opéra Grand Avignon, c’est une finesse de dentelle que cisèle l’ensemble instrumental Diderot, tant dans le joli continuo de violoncelle que dans les passages délicats de clavecin, ou dans les tutti aériens de cette petite dizaine de musiciens talentueux dirigés d’un violon très fin par Johannes Pramsohler.
En ce vendredi soir, c’est aussi l’avant-dernière soirée de cette production du théâtre lyrique Actal, créée en 2018, stoppée net par la pandémie et reprise récemment pour quelques dates.
Chantal Santon-Jeffery – radieuse, rajeunie, comme soulevée par le rôle – offre à la reine Didon un soprano souple et lumineux, qui nous séduit après une Reine de la Nuit à contre-emploi en 2019, et même en 2017 un (pourtant) magnifique concert de musique baroque. Enée, lui, a la prestance et le timbre chaleureux du baryton Romain Bockler, que nous avions entendu avec les mêmes qualités dans la création de Senza sangue de Peter Eötvös, et au sein de l’ensemble Diabolus in Musica dans un programme de musique du temps des papes au sein du Palais des Papes d’Avignon, le lieu même où elle avait été créée.
Auprès d’eux, la voix claire et légère de Daphné Touchais contredit le rôle ambigu d’une Belinda caressante qu’elle endosse, sœur de Didon racontant à Enée la mort de celle qu’ils ont aimée tous deux…
Les quelque douze choristes tantôt les enveloppent de leur énergique bienveillance, tantôt les bousculent de leur présence inquiétante, jouant les sorcières dans un jeu réussi d’ombres chinoises. La chorégraphie vigoureuse se construit entre exubérance généreuse et précision d’horlogerie.
La mise en scène, originale certes, n’emporte pas la même unanimité ; les projecteurs initiaux sont inconfortablement dirigés vers le public, et les premiers tableaux ne se livrent pas à un décryptage immédiat ; l’épure de l’esthétique, les structures métalliques légères dans lesquelles les deux protagonistes, en costumes élisabéthains, sont le jouet du destin, les jeux d’écrans ajourés, toute la symbolique de ce regard très personnel, demanderait du temps pour y entrer pleinement… or le temps, en moins d’une heure et demie de spectacle, est une denrée très rare. Seule la scène centrale de la grotte – centrale à plus d’un titre, dans l’Enéide même -, éclate en de multiples interprétations, psychanalytique au tout premier chef, et permet paradoxalement de constituer autour d’elle une cohérence probable.
Nul doute que les autres productions quasi simultanées de cette œuvre, le seul « vrai » opéra de Purcell, ne soient bien éloignées de celle-ci, tant celle de Venise, jouée dans la Scuola Grande dei Carmini, et inspirée par la somptuosité picturale de Tiepolo, que celle de la Chapelle Rhénane, sous forme d’un projet participatif, qui sera jouée les 26 et 28 avril à Mulhouse-Bourtzwiller (68), puis à Strasbourg en juin.
On aurait presque envie de retourner le lendemain soir à l’Opéra Grand Avignon pour mieux apprécier toutes les subtilités de cette production de l’Arcal, qui réveille les mythes et légendes antiques au souffle insolent d’un baroque réinventé.
G.ad. Photos Anne-Sophie Soudoplat
Norbert dit
Je confirme les points forts qui m’ont ravi : solistes, chœur, orchestre, tout comme l’éclairage qui m’a incommodé, au point de m’aider du programme pour en atténuer les effets. C’est quand même dommage de n’avoir vu aucune expression des artistes !
Classique dit
Merci pour votre commentaire. N’hésitez pas à nous partager toutes vos appréciations, coups de coeur ou non. Cordialement