Samedi 9 septembre 2023 à partir de 14h30 ; dimanche 10 septembre 2023, à partir de 10h30. Hôtel de Ville, Espace Simiane, Gordes. Entrée libre. Dans le cadre des Saisons de la Voix (site officiel)
On trouve ici notre compte rendu des auditions. Pour le palmarès, voir ici
Un concours à 3 chiffres !
Pour les voix lyriques, il existe plusieurs concours en France : Marmande, Arles, Clermont-Ferrand, Marseille, Voix nouvelles… ; pour les moins de 26 ans, Avignon, Nîmes… Mais pour la mélodie et le lied, cet art de la délicatesse, de la précision, de la dentelle, il n’y a guère – à notre connaissance – que Gordes, en Vaucluse. Après quelques années, sa réputation d’exigence l’a établi comme un maillon indispensable du jeune paysage musical. C’est ainsi que cette 15e édition a passé les 3 chiffres en nombre d’inscriptions, de 16 nationalités, de 17 à 31 ans. Le jury s’étoffe aussi, d’année en année, sous l’impulsion de Raymond Duffaut, président des Saisons de la Voix organisatrices (site officiel) ; une vingtaine de jurés sont réunis cette année pour 2 longues journées d’auditions sous la présidence de la grande mezzo-soprano Karine Deshayes – (photo Aymeric Girodet) – très présente dans nos pages, récemment pour les Huguenots à l’Opéra de Marseille, bientôt pour l’Africaine à Marseille également – ; les membres du jury sont des professionnels, qui prodiguent leurs conseils éclairés aux candidats à l’issue du palmarès ; la présence de directeurs de maisons d’opéra ou de festivals assure aux lauréats la chance d’une ou plusieurs premières scènes. L’esprit particulier de ce concours tient aussi aux conditions dans lesquelles sont accueillis candidats et membres du jury, chez les bénévoles de l’association, d’un dévouement et d’une générosité – dans l’ombre – qui méritent admiration et reconnaissance : transporter, nourrir, héberger, accompagner près de 120 personnes pendant un long week-end n’est pas une mince affaire !
Nous avons suivi avec grand intérêt les éditions antérieures de ce concours (2022, 2021, 2020 notamment) ; le niveau ne cesse de croître, et certains lauréats commencent même, grâce à ce concours, des carrières nationales et internationales fulgurantes, comme la jeune soprano avignonnaise Emy Gazeilles l’an dernier (notre entretien en décembre 2022, avant le Concert du Bout-de-l’an), qui a enflammé il y a peu les Chorégies d’Orange à l’occasion de Musiques en fête.
Ainsi donc, en cette année 2023, pour cette 15e édition du Concours international de la mélodie, 30 solos – voix, accompagnées d’Ayaka Niwano et Juliette Sabbah en alternance – ont été auditionnés samedi 9 septembre, et 35 duos déjà constitués – voix/ piano – le lendemain. Il faut découvrir l’entretien accordé par Karine Deshayes aux Saisons de la Voix quelques jours avant les auditions; et le charmant message vidéo de la même présidente du jury sur sa page Facebook….
Avant le début des épreuves, petite parenthèse : Raymond Duffaut a annoncé un invité surprise, un ténor inconnu accompagné par Nadine Duffaut, chef de chœur, metteure en scène, et ici pianiste. Plus de détails dans quelques jours.
Nous-même avons pu entendre les 16 premiers solos. La grande gagnante du répertoire, c’est Isabelle Aboulker, choisie par 5 candidats, deux fois Le Corbeau et le Renard, deux fois les Vocalises éperdues pour Soprano ; la Lettre à ma sœur viendra, elle, le dimanche. De petits bijoux désormais devenus des classiques, mais redoutables d’exigence dans l’agilité virtuose ; l’humour et la légèreté ne suffisent pas toujours à compenser les faiblesses des interprètes.
Bruno Kouri (baryton-basse, France, 23 ans) n’a pas souffert de sa place dans l’ordre de passage, ayant bien choisi ses 3 morceaux, dont Tristesse de Fauré et un lied d’un jeune compositeur contemporain : il offre des couleurs dans les forti, de la dentelle dans les pianissimi ; un ange passe, même bocca chiusa.
Lucie Angélino-Boyer (soprano, 28 ans) est gâtée par Debussy : ses aigus s’envolent légers, sa voix agile accroche bien les médiums de Richard Strauss, et réussit convenablement les fameuses vocalises d’Isabelle Aboulker malgré quelques notes un peu forcées.
Gabriel-Ange Brusson (contre-ténor, 28 ans) : quel drôle de garçon, qui me laisse perplexe ; je bénis ma chance de n’être pas du jury ! Presque ténor léger, il hésite entre tête et poitrine, pour livrer une interprétation très… personnelle de À la promenade, passant de soprano – plutôt que contre-ténor – à baryton, et révélant – enfin – un vrai comédien.
Avec David Burkhard (baryton, France, 26 ans) se succèdent Richard Strauss, puis Fauré/ Sully-Prudhomme (Le long du quai les grands vaisseaux…), enfin Isabelle Aboulker, dont Le Corbeau convient parfaitement à l’interprète ; les graves sont jolis, l’ensemble convenable, mais le garçon est un peu timide pour donner du relief à chaque pièce.
Francesco Bossi (baryton, Italie, 28 ans). Quel comédien ! Avec son physique à la Kaufmann, il a toutes les qualités, trop peut-être ? Agilité de la voix, puissance, aisance (trop ?), une jolie descente vers les basses dans le Don Quichotte de Ravel, et un choix original in fine, d’un compositeur qui a « musiqué – joli ! On se croirait au Canada ! – des conférences ».
Puis c’est le tour de Mickaël Samson (baryton, Belgique, 31 ans). Si sa présentation se révèle pour le moins peu scolaire (« Commençons Avec…, continuons avec.., finissons avec…. ») mais finalement pas désagréable, la diction est excellente, le potentiel vocal est perceptible, dans Ravel le personnage se révèle, et les basses qu’il attrape, ainsi que ses mimiques, devraient lui faire jouer les méchants !
Clémence Danvy (soprano, France, 28 ans) entre sur un « bonjour » tonitruant qui étonne même le jury, et qui contraste avec le classicisme de sa tenue noire et de sa prestation (Barber, Mendelssohn). Jolie voix, avec toutefois ici ou là un risque de saturation – réverbération de la salle ? -, et de l’expressivité. Ainsi qu’une sensualité frémissante, tout en retenue dans la pièce centrale Oh quand je dors…
Anouk Defontenay (mezzo, 32 ans) a choisi, elle aussi, Isabelle Aboulker ; sa palette est colorée, entre aigus et mediums, mais les applaudissements du public sont légers (fatigue, chaleur de milieu d’après-midi ?).
Nicolas Dosch (ténor, 26 ans), au physique ténébreux et au sourire ravageur, à l’excellente diction – une qualité que partagent pratiquement tous les candidats – assouplit un joli timbre dans Schubert, en soulignant le rythme, l’expressivité du morceau, puis en barytonnant dans Poulenc. Il illustre, plus encore que ses collègues, la question existentielle : « mais que peut-on bien faire entre deux morceaux ? ».
Lucas Fonseca (baryton, 29 ans) fait une présentation très laconique de son programme – Schubert, Fauré -. Son jeu et sa voix sont tout en retenue, mais avec quelques ressources potentielles.
Pauline Fourniat (soprano) ne m’a pas convaincue ; elle présente de nombreux défauts qu’on redoute chez les soprani : des éclats criards, un maniérisme quand ce n’est pas de la grandiloquence. Même le petit bijou du Corbeau d’Aboulker (4e occurrence de la signature) n’y a pas retrouvé son fromage !
Laura Giuseppi (mezzo, F, 32 ans) a interprété avec justesse L’heure pourpre de Ravel, une jolie mélodie espagnole et une Lettre de Nadia et Lili Boulanger, mi-parlée mi-chantée, – un choix judicieux -. Sa tessiture et son physique la font sans doute rêver d’un futur rôle de Carmen… dans quelque temps !
Florine God (mezzo, Belgique, 32 ans) nous offre le vrai coup de cœur. Dès les premières notes c’est un enchantement, ce je ne sais quoi qui vous donne des frissons et vous fait pousser des ailes. Elle a su choisir son programme, elle déploie une puissance joyeuse, sait se montrer mutine mais pas trop, dans une 3e pièce en forme de comédie musicale, toujours très valorisante.
Dans le programme de Jasmine Gonnella (soprano, F, 30 ans), on apprécie le choix original de Karol Beffa, compositeur encore quadragénaire – pour un mois – ; on apprécie l’agilité de la voix ; on apprécie moins une puissance mal contenue, qui gomme l’expressivité, notamment dans L’Invitation au voyage de Baudelaire-Duparc, classique s’il en est, et pour cela même dangereux, alors même que le jeu pianistique d’Ayaka Niwano offrait sa subtile fluidité.
Chez Claire Gonod, soprano de 29 ans, un joli phrasé, une ligne mélodique assez pure, que le choix de programme n’a pas toujours mis en valeur.
Le lendemain, place aux duos, dont nous n’avons pu entendre que les derniers inscrits. On trouve généralement chez eux une complicité liée à leur histoire commune, qui peut assurer une cohésion artistique supérieure à un tandem occasionnel…
Ludmilla Bouakkaz soprano et Mélanie Bracale pianiste forment un duo charmant ; timbre pur, avec une certaine puissance, un phrasé mélodieux, un programme qui dégage des ondes positives ; le piano est velouté, joliment complice de la voix. The girl in 14G de la compositrice Jeanine Tesori laisse le public conquis ; très à l’aise dans les vocalises de la Reine de la nuit, Ludmilla Bouakkaz sait ciseler jusqu’aux pianissimi les plus délicats. Une sacrée nana et une sacrée voix !
Avec la soprano Julie Gossot et le pianiste Rodolphe Lospied, on ré-entend la Lettre à ma sœur d’Isabelle Aboulker ; les aigus s’y montrent acides, malencontreusement réverbérés par la salle ; Mendelssohn, lui, est étonnamment vigoureux…
Caroline Guentensperger et Alice Businaro ont elles aussi choisi The girl in 14G de Tesori ; la soprano souffre de l’inévitable comparaison avec celle qui l’a précédée : elle-même n’a pas du tout l’abattage requis, et la pièce est quelque peu malmenée par le piano.
Le duo Laura Kimpe et Hélène Duclos ne m’a pas séduite ; les aigus sont mal maîtrisés, et peu intelligibles malgré une articulation tout à fait convenable.
Je ne donnerais pas davantage la palme à Margaux Loire et Joseph Birnbaum ; le pianiste est énergique, notamment dans ses roulements à main droite, et la soprano est davantage encore énergique, jusqu’à trop. Les acrobaties sont virtuoses mais peu intelligibles. Les cris et vociférations assurent du moins que personne ne risque l’assoupissement !
Apolline Rai Westphal et Paul Coispeau forment un duo bien assorti. La voix est expressive, agile, même si elle manque de vélocité ; on aimera suivre leur parcours ultérieur.
La mezzo Juliette Gauthier et le pianiste Moelka Ueno ont des qualités, malgré leur immobilité en scène ; le piano est rapide, il sait se créer des nuances ; alors que beaucoup ont peur du silence, la chanteuse, elle, sait ménager ses effets de suspense, et sa voix sait se plier à diverses contraintes.
Avec le baryton-basse russe Alain Starovoitov, on découvre enfin une belle voix, qui méritera d’être davantage encore travaillée pour acquérir plus de naturel. Surtout dans le programme choisi.
Notre sentiment personnel, subjectif, diffère quelque peu du palmarès définitif.
Il reste que le nombre d’inscriptions (102, 16 nationalités) montre combien ce Concours international de la mélodie de Gordes, porté par les Saisons de la Voix, s’est imposé comme l’un des grands concours internationaux, et bat cette année son record de participation. Presque 40 chanteurs solos y ont été auditionnés samedi 9 septembre, et plus de 30 duos le lendemain. Le jury de 20 professionnels présidé par la talentueuse soprano Karine Deshayes a désigné 11 lauréats, dont 9 ont été multi-récompensés. Les jeunes artistes sont repartis avec un chèque, et/ ou un engagement pour un concert dans l’une des maisons d’opéra de France ou de Suisse, ou dans l’un des festivals, ou une invitation à des master classes en mai prochain. On reverra ces jeunes talents émergents sur les scènes de la région, et même la mezzo belge Florine God aux Chorégies d’Orange dans le cadre de Musiques en fête 2024.
Prochain RV des Saisons : dimanche 24 septembre, 18h, Espace Simiane, concert d’automne, avec la soprano Lila Dufy, lauréate 2022, et le pianiste Paul Beynet, lauréat 2014. www.lessaisonsdelavoix.com
G.ad.
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