A 22 ans, Emy Gazeilles est le nom qu’il faut retenir comme celui de la soprano promise à un bel avenir, à condition de faire les bons choix de carrière et de ne pas brûler les étapes. Pour le présent, elle prépare le Concert du Bout de l’An du 27 décembre 2022 des Saisons de la Voix : c’est l’un des nombreux prix qu’elle a remportés au récent Concours international de la mélodie de Gordes. Elle partagera le récital avec la pianiste Honoka Kobayashi, qui était déjà son heureuse partenaire lors du concours.
-Emy, comment avez-vous conçu le programme de ce concert du Bout-de l’An ?
-Avec Honoka, nous avons choisi les coups de cœur issus de nos études musicales. 80% seront des airs chantés, et quelques morceaux instrumentaux, comme un Prélude de Debussy. Il y aura du Rossini, Bellini, Donizetti, des compositeurs qu’on adore, et aussi une œuvre en espagnol que j’ai découverte récemment, une zarzuela, extraite du Barbier de Séville.
-Une zarzuela extraite du Barbier ?
–Oui, un Barbier en espagnol, d’un autre compositeur. Le concert commencera sur l’Ouverture de la Chauve-Souris, une œuvre qui me tient à cœur : c’est la première opérette que j’aie vue à l’opéra, et on finira aussi avec elle, avec l’air de ma tessiture, celui d’Adèle.
-C’est à Avignon que vous aviez vu cette Chauve-Souris ?
–Oui, à l’occasion d’une sortie scolaire, avec le lycée Aubanel. Il s’agissait de nous faire découvrir l’univers de l’opérette pendant les fêtes. Imaginez : les costumes, les décors, comment ne pas succomber ? Je suis tombée amoureuse du lieu. Et puis la même année, avec le lycée nous avons monté la Chauve-Souris en opéra pédagogique ; c’est là qu’on a mis le pied sur la scène.
-C’était avec votre professeur Odile Sick – qui était d’ailleurs dans le public lors du Concours de septembre à Gordes – ? Dans une mise en scène de Nadine Duffaut, me semble-t-il ? En quelle année ?
–En 2016.
-Et quand avez-vous vraiment découvert votre voix ?
-J’étais au CRR d’Avignon en musiques actuelles, j’avais fait aussi la maîtrise, mais là j’avais un groupe funk au lycée, on jouait dans les cafés… Après mon bac, je me suis inscrite au CRR de Lyon, et je me suis ensuite présentée au CNSM de Paris, dans la classe de Yann Toussaint, qui a d’ailleurs chanté à Avignon.
-En effet, il a chanté à Avignon, Marseille, Orange ; c’est un baryton très connu dans la région, et un artiste généreux. Mais la première découverte de votre voix ?
–C’était au lycée, à l’occasion des concerts de Noël ; on préparait quotidiennement, on passait des auditions ; et pendant qu’on s’échauffait, qu’on faisait des vocalises, Odile Sick m’entendait monter dans les aigus, et c’est là qu’elle m’a dit : inscris-toi aussi en chant lyrique.
-Depuis lors vous avez passé, et gagné, divers concours.
–Celui de Gordes en septembre était le 3e que je passais, après Nîmes en septembre 2021, organisé par l’association Arioso, et Mâcon en octobre 2021, où je n’ai pas obtenu le 1er Prix, mais le Prix Jeune Talent. Celui de Gordes était mon 1er en duo avec piano, et mon 1er de la catégorie lied et mélodie. La mélodie, c’est un concours particulièrement enrichissant, et rare en France, même s’il semble se développer. La mélodie, c’est plus intime, cela demande de la réflexion dans l’interprétation. On a un personnage qui n’a pas d’histoire avant l’œuvre ; en quelques minutes, il faut qu’on invente le personnage, qu’on fasse vivre le cycle, et qu’on lui fasse exprimer des émotions.
-Comment vit-on de l’intérieur le concours ? On est stressée, stimulée, galvanisée ?
–Au début, on est très stressée, par la double nouveauté, du duo et de la mélodie ; et je ne pensais pas que le jury serait aussi nombreux, avec beaucoup de directeurs d’opéra que je connaissais déjà en photo. Et puis, on est prise par le chant.
-La mélodie demande beaucoup de finesse.
–C’est fin, minutieux, et cela demande de la maturité. Les textes expriment, comme l’opéra d’ailleurs, des émotions puissantes des personnages. Pour les faire vivre, je m’inspire de mon propre vécu.
-Mais comment une jeune artiste de 22 ans peut-elle avoir expérimenté toutes les émotions d’une vie ?
-(rire) On fait avec ! Je connais déjà, pour les avoir vécues, de nombreuses émotions : le deuil, le chagrin amoureux, à ma petite échelle, même si je n’ai pas connu, par exemple, le deuil d’un compagnon.
-Comment vous préparez-vous a un concert ?
–Certains chanteurs travaillent avec des partitions. Moi j’apprends un maximum par cœur ; cela me permet ensuite de me concentrer sur le présent. Quand on a la partition devant soi, les yeux s’accrochent à elle, parce qu’on a peur de se tromper ; alors on lâche le public, on lâche l’émotion. Et quant à la gestion du stress avant la scène, je mets des écouteurs avec une musique totalement différente ; j’oublie ce qui va m’arriver, j’écoute du punk, du rock.
-Du funk, du punk ?
–Du Punk. J’en ai chanté pendant 2 ou 3 ans ; j’avais même passé un concours, le Tremplin des lycéens, à Marseille, sur un thème imposé.
-Dans ce genre aussi c’était très encadré, académique ?
-Oui, avec des critères d’auditions précis, exigeants.
-Désormais vous êtes dans un autre univers. Vous allez chanter sous peu Michaela à l’opéra de Toulon…
-(rire) Je vais chanter Frasquita, pas Michaela…
-Pardon, bien sûr, Michaela ce sera l’étape suivante !!! Cet été vous serez aux Choregies d’Orange. Un magnifique parcours déjà…
–Le concours des Saisons de la voix m’a ouvert beaucoup de portes, beaucoup plus que Nîmes ; Nîmes m’avait offert un concert à Marseille. A Gordes, j’ai eu 3 propositions de concert ! Notamment à l’opéra d’Avignon en mars, que je prépare aussi en ce moment, et à l’Opéra de Toulon. Et, du fait d’avoir gagné, le responsable de la Scène émergente des Chorégies a entendu parler de moi, et m’a offert ces opportunités.
-C’est Jean-Louis Grinda qui vous a invitée ?
-Non, c’est Paulin Reynard.
-Lui-même musicien en musique traditionnelle provençale ; il donnera justement deux concerts de Noël, en groupe, notamment avec Odile Sick, ce vendredi 23 décembre à l’opéra Grand Avignon.
–Si j’ai la possibilité, j’aurai plaisir à aller les entendre. Mais c’est incroyable, ce concours, pour moi : 10 minutes de mélodies, et je me retrouve sur une scène d’opéra ! Grâce aux Saisons de la voix encore, je serai Suzanna dans un Concert au Coucher du soleil fin août. Et j’ai d’autres projets pour la saison suivante, mais…
-… mais il ne faut rien dévoiler tant que les engagements ne sont pas signés et officialisés. Et concernant le concert à l’Opera Grand Avignon, au printemps 2023, quel sera le programme ?
-Sans doute, dans les grandes lignes, le même que celui du Bout-de l’An, un programme très festif. Nous l’avons tellement travaillé que nous avons envie de le faire partager à plusieurs publics. Nous avons eu beaucoup de plaisir à le préparer, c’était notre première carte blanche, à Gordes comme à Avignon ; pour Avignon, il faudra peut-être le repenser, car Frédéric Roels voulait, je crois, qu’on choisisse un thème.
-Avez-vous autre chose à ajouter ?
–Peu de choses. Mais je voulais préciser que le Concert du Bout-de l’an est mis en scène par Nadine Duffaut. Elle a la gentillesse de faire une mise en espace, pour donner un lien entre ces différents morceaux. Ce sera vraiment un concert coloré et festif.
Propos recueillis par G.ad.
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