Opéra de Marseille, Samedi 3 juin 2023, mardi 6 juin, jeudi 8 juin, 19h ; dimanche 11 juin, 14h30
Les Huguenots, Giacomo Meyerbeer. Opéra en 5 actes. Livret de Eugène SCRIBE et Émile DESCHAMPS. Création à Paris, Opéra Le Peletier, le 29 février 1836
Dernière représentation à l’Opéra de Marseille, le 7 mai 1967
Direction musicale, José Miguel PÉREZ-SIERRA. Mise en scène, Louis DÉSIRÉ. Décors et Costumes, Diego MÉNDEZ-CASARIEGO. Lumières, Patrick MÉEÜS
Valentine, Karine DESHAYES. Marguerite de Valois, Florina ILIE. Urbain, Éléonore PANCRAZI
Raoul de Nangis, Enea SCALA. Le Comte de Nevers, Marc BARRARD. Marcel, Nicolas COURJAL. Le Comte de Saint-Bris, François LIS. Cossé, Kaëlig BOCHÉ. Méru, Thomas DEAR. Thoré, Frédéric CORNILLE. Tavannes, Carlos NATALE. De Retz, Jean-Marie DELPAS. Bois-Rosé, Alfred BIRONIEN. Maurevert, Gilen GOICOECHEA
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Nouvelle production
Sobriété, intensité, pour ces retrouvailles avec Meyerbeer
Nous avons assisté à la dernière des quatre représentations des Huguenots, un ouvrage majeur, pourtant absent de Marseille depuis 1967. Fin de saison, mais aussi heureuse continuité : Karine Deshayes, qui a illuminé cette production, se retrouvera dans l’Africaine du même Meyerbeer en ouverture de saison prochaine, après report pour cause de pandémie. Si les compositeurs français ne sont guère prophètes en leur pays, l’accueil du public néanmoins pour ces Huguenots a bien montré son appétit en la matière.
La qualité de la production méritait cet enthousiasme. Toutes les composantes artistiques et techniques ont offert un bouquet final de très grande classe, pour une saison qui avait déjà brillé par son excellence.
C’est l’éternelle histoire de Roméo et Juliette : un amour impossible sur fond de rivalité familiale, dans le contexte terrible des guerres de religion et de la Saint-Barthélémy, épisode sanglant du 24 août 1572.
Hasard de programmation : l’Opéra Grand Avignon propose presque en concomitance Samson et Dalila de Saint-Saëns, grand affrontement entre Hébreux et Philistins.
Pour la grande fresque historico-épique des Huguenots, plus de quatre heures malgré quelques coupures, cinq actes, où l’on retrouve avec bonheur Karine Deshayes et Enea Scala à la tête d’une très belle distribution, quantitativement dominée par les basses (7 sur une quinzaine de solistes), image de cette mâle et terrible beauté du drame.
C’était déjà le même couple Deshayes/ Scala (la catholique Valentine/ le protestant Raoul de Nangis) qui étaient sur la scène de la Monnaie de Bruxelles en juin 2022 dans la mise en scène d’Olivier Py. Karine Deshayes a cette faculté rare de pouvoir habiter avec la même authenticité les rôles les plus divers ; sa voix chaleureuse, capable de médiums solides et d’aigus de plus en plus colorés depuis qu’elle s’affirme plus soprano que mezzo, soutient une émotion toujours en suspens, aussi intense que retenue.
A ses côtés, Enea Scala se révèle douloureux sans pathos, avec une diction digne d’un francophone, et confirme des qualités scéniques et vocales, déjà appréciées sur la même scène, notamment dans une Bohème en version « confinée » (31-12-2020) ; il cumule l’intelligence et le physique du rôle…
La mythique Marguerite de Valois, qui a tant inspiré les artistes divers, est magnifiquement interprétée par la Roumaine Florina Ilie. Nous l’avions entendue dans Le Turc en Italie en mars dernier à Avignon, où sa méforme annoncée n’avait en rien entaché sa prestation ; elle donne à son personnage toute la complexité du rôle, prise dans un maëlstrom auquel elle voudrait échapper, avec une humanité, parfois une fraîcheur, qui dépasse sa sulfureuse réputation. Le page Urbain prend la voix légère et l’espièglerie de la jeune mezzo Eléonore Pancrazzi, qui commence légitimement une belle carrière internationale.
Prise de rôle pour Nicolas Courjal, habitué de la scène marseillaise ; il incarne Marcel, le serviteur de Raoul de Nangis, et son habit rouge sang traverse avec lenteur et majesté les tableaux tragiques. La rigidité majestueuse de ce personnage exalté se teinte de la chaleur de mediums puissants et de la sombre couleur de basses toujours vertigineuses. L’élégance scénique, la puissance vocale, font naître dans le public un imperceptible frisson d’admiration, qui se traduira en applaudissements nourris.
Le baryton nîmois Marc Barrard, au CV impressionnant depuis plusieurs décennies – nombre de rôles et scènes prestigieuses sur divers continents – entretient avec le Comte de Nevers une longue familiarité ; le séducteur bon vivant du début s’émeut de la détresse de Valentine, qu’il épouse néanmoins malgré elle et presque malgré lui ; le personnage acquiert une intensité pleine de noblesse et ses scrupules moraux le font entrer dans l’Histoire. Francois Lis – que l’on devrait retrouver dans l’Africaine – est également très convaincant dans le costume pourtant difficile du fanatique Comte de Saint-Bris, père de Valentine, auquel sa basse lyrique offre des nuances chatoyantes.
Meyerbeer a donné aussi aux « seconds rôles » une épaisseur sur laquelle repose pour partie la réussite de l’ensemble. Les Chevaliers sont interprétés par la basse monégasque Thomas Dear (Méru), le baryton Frédéric Cornille (Thoré) qui porte la lumière des villes de sa naissance (Marseille) et de son enfance (Nice), le ténor argentin solaire Carlos Natale (Tavannes), l’inoxydable Jean-Marie Delpas (De Retz) qui s’offre depuis quelque temps une nouvelle jeunesse, le ténor Alfred Bironien (Bois-Rosé), le baryton, basque espagnol Gilen Goioecea (Maurevert), et le ténor breton Kaëlig Boché (Cossé), un nom et une carrière à suivre.
Nous savons gré à Louis Désiré, rompu à cet exercice, d’avoir conçu une mise en scène austère mais puissante, aussi saisissante dans l’immobilité sculpturale de certaines scènes que dans la bénédiction des poignards. Suggestion plutôt que démonstration : un choix judicieux de sobriété. De grands pans de rideaux translucides en fond de scène, maculés de traînées rouges, suffisent à exprimer intensément la violence des massacres, et nous évitent des étalages aussi inutiles qu’écoeurants. Le minimalisme de l’acte III (des poufs engazonnés) lui-même suffit à suggérer un lieu qui doit se resserrer sur l’action et l’intensité dramatique, toujours primordiale.
Les tonalités sombres de l’ensemble sont mises en relief par quelques touches colorées : le manteau grenat de Marcel, la robe jeune vif de Marguerite et le bleu intense de celle de Valentine, avant sa tenue de mariée douloureuse.
Le créateur lumières Patrick Meüs, lui aussi très favorablement connu dans la région et très présent dans nos pages, concocte des tableaux poignants, soulignant la force imaginative de cet « archétype du grand opéra français » qui influencera des Berlioz, Wagner, Verdi, Tchaïkovski ou Moussorgski.
S’agissant de la partition, elle est servie avec intelligence et efficacité par le jeune chef espagnol José Miguel Pérez-Sierra, tout juste quadragénaire au palmarès international éblouissant, qui avait déjà dirigé Armida de Rossini sur cette même scène en 2021-2022. Il a restitué à la fois la sombre puissance et la précision rythmique ; il a finement ciselé la variété des univers et des tempi et a su se montrer attentif aux musiciens et aux chanteurs. L’Orchestre Philharmonique a terminé cette saison dans les meilleures conditions, par la cohérence des tutti et l’expressivité propre de chaque pupitre, voire de chaque soliste, mis en valeur par cette partition multiple. Le Chœur de l’Opéra, très sollicité, a offert un très beau cadeau à son chef, Emmanuel Trenque, qui, après Toulouse, Paris et Tours, et les Chorégies, avait assuré à Marseille depuis 2015 près de 60 productions ; Emmanuel Trenque devient en effet, à la rentrée 2023, chef artistique des Chœurs du Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles.
Une fin de saison somptueuse, qui nous fait espérer une réussite analogue pour la saison à venir….
G.ad. Photos Christian Dresse
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