Malgré quelques faiblesses, l’opéra participatif a trouvé son public
Turandot, opéra participatif en version française, d’après Turandot de Giacomo Puccini.
Samedi 18 janvier 2025 & dimanche 19 janvier 2025, 16h, durée 1h15, Opéra Grand Avignon
Coproduction Opéra Grand Avignon, Opéra de Rouen Normandie et Teatro Sociale di Como-AsLiCo. Éditions Casa Ricordi – Milan
Direction musicale, Nicola Simoni. Arrangement musical, Enrico Minaglia. Mise en scène / Arrangement dramaturgique et lumières, Andrea Bernard. Décors, Alberto Beltrame. Costumes, Elena Beccaro. Chorégraphie, Giulia Tornarolli. Assistante à la mise en scène, Nathalie Gendrot. Études musicales, Ayaka Niwano
Turandot, Diana Axentii. Timur, Julien Ségol. Calaf, Jérémie Schütz. Liù, Aurélie Jarjaye. Ping, Samuel Namotte. Pang, Laurent Deleuil. Pong, Yoann Le Lan. Le guide du musée, Simone Ruvolo. La garde impériale, Rosa Maria Rizzi. Le bourreau, Thomas Angarola
Orchestre national Avignon-Provence
Voir aussi toute la saison 2024-2025 de l’Opéra Grand Avignon
Notre compte rendu
Chaque année, l’Opéra Grand Avignon présente un opéra participatif, un genre dont Frédéric Roels a déjà été le promoteur lorsqu’il dirigeait l’Opéra de Rouen. L’opéra participatif, une aventure pour petits et grands, se propose de faire découvrir l’unievrs lyrique grâce à une participation active du public, en lui donnant l’occasion de chanter en direct depuis la salle, lors de la représentation.
Cette année, c’est Turandot, énigmes au musée, dont l’original de Puccini fêtera l’an prochain son centenaire. Raccourci (1h20), réécrit en français – et partiellement en langue des signes -, avec un plateau limité, ce conte plein de mystère se passe ici dans un musée, un monde que le metteur en scène Andrea Bernard connaît bien ; Turandot, princesse au cœur de glace dans une Chine rêvée y prend vie entre statues, estampes… et caisses de transport. Voilà donc, pour des spectateurs néophytes, une entrée « allégée », « décomplexée » dans le monde lyrique.
Et le spectacle a visiblement trouvé son public, sympathiquement familial et intergénérationnel. Trois séances avaient été proposées en amont de la représentation pour apprendre les chants, dont un chant-signe, avec Aurore Marchand, ex-chef du Chœur de l’opéra. En salle, la participation était encore timide, malgré les encouragements d’avant-séance et les mimiques incitatives du chef Nicola Simoni face au public.
Participatif, le spectacle l’était aussi par les décors d’Alberto Beltrame – de grands panneaux mobiles translucides -, dont les maquettes avaient été réalisées par des jeunes de l’Institut médico-éducatif Saint-Ange de Montfavet.
Le soprano coloré d’Aurélie Jarjaye (Liù) se distinguait tout particulièrement par sa musicalité et sa projection précise, très applaudie in fine. Julien Ségol installait son rôle de père (Timur) dans un registre sombre, Calaf le prince inconnu (Jérémie Schütz) séduisait par un joli timbre et son engagement scénique. Quant à Turandot, Diana Axentii, butant parfois sur les aigus agressifs, elle traînait comme un boulet ses chaussures ; ah ! les petits pieds des Chinoises !!! ici de lourdes baskets brunes sans âge et sans grâce, qui privait de facto le rôle-titre de toute majesté. Globalement on a pu apprécier les surtitrages pour compenser quelques faiblesses de prononciation des chanteurs.
Côté visuel, le dépouillement de la scène, la sobriété de la mise en espace ont été sublimés par des lumières aux couleurs simples mais justes. Si l’on a ici encore perdu en majesté, on a gagné en concision, pari originel de l’adaptation.
Les trois « choristes » – tour à tour ministres Ping (Samuel Namotte), Pang (Laurent Deleuil), Pong (Yoann Le Lan), mandarins ou autres serviteurs -, comme les trois danseurs circassiens et les trois primari autour de Turandot, pour leur part donnaient fort justement un écho scénique aux trois énigmes…
En revanche ce récit enchâssé dans une sorte de « Nuit au musée », à l’image de cette Turandot sortant d’une caisse de transport au milieu d’un musée en plein déménagement, nous paraît une fausse bonne idée. La double lecture, loin d’ajouter du pittoresque, surcharge de fait une intrigue qui, en elle-même, comporte déjà tous les éléments d’un conte et se suffit à elle-même ; de surcroît le guide pittoresque et surexcité (Simone Ruvolo) relève davantage de l’opéra bouffe…
Quant au tube « Nessun dorma », inévitablement escamoté, on peut avoir bon espoir que la reprise finale, par toute la salle, de « Gloire à toi, gloire à toi » (« Vincero, vincero ») reste dans l’oreille et dans la mémoire, même amputé de la finale stratosphérique, dans l’enthousiasme partagé en fosse avec l’Orchestre National Avignon-Provence…
G.ad. Photos Alessia Santambrogio (spectacle), G.ad. (salut)
Résumé
Acte I
Le jeune Calaf, son père Timur et son amie Liù visitent un musée où se prépare, dans la section des arts chinois anciens, une exposition consacrée à la célèbre princesse Turandot. Le guide du musée montre aux visiteurs un parchemin sur lequel est inscrite une loi mystérieuse qui stipule que pour épouser Turandot, son prétendant doit résoudre trois devinettes. Ces énigmes sont très difficiles et surtout très dangereuses : celui qui ne parvient pas à trouver toutes les réponses se fera couper la tête. Pendant la lecture du parchemin, les œuvres du musée prennent vie, comme par magie, et le monde de Turandot s’échappe alors des caisses, catapultant Calaf, son père et Liù dans une grande aventure. Calaf tombe amoureux de Turandot, représentée dans un magnifique tableau ancien, et décide de risquer sa vie pour résoudre les énigmes et pouvoir l’épouser. Les avertissements de Ping, Pang et Pong, trois statues de l’armée de terre cuite et fidèles protecteurs de la princesse, qui tentent en vain de faire changer d’avis le jeune Calaf, s’avèrent inutiles. Le gong magique retentit, l’épreuve peut alors commencer.
Acte II
La princesse prend vie à partir du tableau en lançant le défi des trois énigmes. Calaf, motivé par ses sentiments amoureux, parvient à les résoudre, déjouant alors tous les pronostics ! C’est désormais à Turandot de prendre peur : elle était persuadée que personne ne pourrait répondre à ses trois questions et a donc toujours pensé qu’elle échapperait au mariage. Calaf lui soumet alors une énigme qui pourrait changer leur destin : si la princesse parvient à deviner son nom avant l’aube, il renoncera à elle et se sacrifiera.
Acte III
Dans le silence de la nuit, Calaf rêve de son avenir, bercé par les lumières et les couleurs des lanternes volantes magiques. Pendant ce temps, la princesse s’efforce de trouver quelqu’un en mesure de connaître le nom du jeune homme qui lui est inconnu. Elle finit ainsi par rencontrer Liù qui, pour ne pas trahir son ami, décide de se sacrifier en se transformant en statue de porcelaine. Grâceà ce geste, Turandot reconnaît la puissance et la beauté de l’amour.
Note d’intention
Turandot est un conte parsemé de mystères et de moments évocateurs qui transportent le public dans une Chine magique et grandiose : énigmes, princes d’Orient, gongs du destin, bourreaux, palais impériaux… autant d’éléments qui contribuent à raconter l’histoire de la Princesse au cœur de glace. J’ai imaginé de situer cette histoire dans les salles d’un musée où l’univers de Turandot prendrait vie à travers des statues, des vases, des costumes traditionnels et des estampes anciennes. Calaf est un jeune visiteur du musée qui est fasciné par le portrait de la princesse, conservé dans une caisse en attente d’exposition. Suite à la lecture d’un ancien manuscrit contenant la loi de Pékin, récitée par le guide du musée, l’histoire prend forme. Calaf, accompagné de son père et de Liù, sera projeté dans le mystérieux univers de Turandot, qui n’attend que de trouver le véritable amour pour être libérée et se faire éternellement reconnaître.
L’opéra se déploie entièrement dans l’ambiance évocatrice d’un musée, où les caisses de transport des œuvres d’art s’ouvrent et se déplacent, dévoilant l’univers varié et vibrant de Turandot. Les décors se métamorphosent, créant une multitude d’effets visuels. La mise en scène et les costumes jouent un rôle fondamental en transportant Calaf et les spectateurs dans le splendide monde d’une Chine révolue. Lanternes, coiffes extravagantes, dragons de parade, masques, ombrelles en papier de riz et hanfu aux couleurs vives composent toute l’atmosphère. Au fil de l’opéra, Calaf, aidé par Ping, Pong et Pang, trois statues de l’armée de terre cuite, tentera de résoudre les trois énigmes pour atteindre Turandot et l’épouser. Ces trois énigmes représentent une épreuve d’intelligence, de sagesse et de compréhension pour ceux qui aspirent à conquérir Turandot. Elles soulignent l’importance d’aller au-delà des apparences et de pénétrer la signification profonde des émotions humaines. En résolvant ces énigmes, le protagoniste démontre en effet sa capacité à saisir les véritables valeurs de l’amour, de la compassion et de la rédemption.
La fin de Liù, l’amie dévouée de Calaf, prend une signification particulière. Pour protéger le secret de l’identité de Calaf, Liù se transforme en statue de porcelaine, devenant un symbole éternel de loyauté et de dévouement. Même le dénouement de notre version propose une conclusion surprenante : Calaf, épris de Turandot, se joint à elle en devenant lui-même une partie du tableau. Ce symbole d’union éternelle et d’immortalité représente le triomphe des sentiments sur les obstacles et sur la carapace glacée de la princesse et du monde extérieur. Le cadre du musée donne à Turandot une nouvelle dimension, où le passé et le présent se rejoignent pour transporter le public dans un voyage d’émotions, de beauté et de réflexion. Ce lieu symbolique, apparemment figé, se transforme ainsi en un espace de beauté vivante et de narration active.
Andrea Bernard metteur en scène
La distribution est internationale, majoritairement franco-italienne.
Italien le chef, Nicola Simoni, originaire de Padoue ; lauréat de divers concours, il a dirigé de nombreux orchestres, en Italie (Fenice à Venise notamment) et en France (dont l’Orchestre National Avignon-Provence), mais aussi en Russie, Pologne, Ukraine, Arménie, Moyen Orient ; ainsi que de nombreuses productions lyriques, des master-classes, des conférences…
Italien le metteur en scène – et architecte -, Andrea Bernard, né à Bollzano en 1987 ; sa production Carmen, reine du cirque a tourné dans plusieurs théâtres, dont le TCD, Rouen et Avignon, mais il travaille principalement en Italie ; il connaît bien le monde des musées, dans lequel il intervient régulièrement.
Moldave, le rôle-titre, Diana Axentii, mais dont la formation (CNS de Lyon) et la carrière se déroulent en France ; elle remporte divers prix en Europe ; dans la région, elle a participé à l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence. Initialement mezzo-soprano, sur des scènes prestigieuses, jusqu’au Japon, elle est désormais soprano lyrico-dramatique, et chante entre autres Norma, la Comtesse des Noces de Figaro (en tournée en France, Rosalinde dans Die Fledermaus, Cio-Cio-San dans Madame Butterfly, ou Arianne dans Der Rosenkavalier (Avignon) ; sans oublier opérettes, oratorios, concerts.
Suisse, Jérémie Schütz en Calaf. Formé à la Haute Ecole de Musique de Lausanne, puis au sein de la prestigieuse Accademia Teatro Scala, il est lauréat de nombreux concours, et partage les scènes prestigieuses d’Europe avec des vedettes comme Anna Netrebko ou Leo Nucci ; il enregistre avec Marina Viotti, Anaïs Constant et Mathieu Gardon, et s’intéresse aussi au répertoire sacré.
Français, Julien Ségol, basse (Timur) ; il se produit en diverses salles d’Europe. Plusieurs fois lauréat de la Fondation Royaumont, lauréat de divers prix internationaux, il fait partie de l’Académie Voix nouvelles 2024 et a également rejoint la 6e Génération d’Opéra Fuoco en 2024-25.
G.ad.
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