Dans cette page :
- Il Mascheraio,
- L’Orchestre en sursis,
- La Cantatrice chauve,
- La Machine de Turing,
- La Poupée sanglante
Il Mascheraio. Cour du Barouf, durée 1h. Programme page 188
Commedia dell’arte… interactive !
C’est un spectacle très original qui nous replonge à l’époque de la création de la Commedia dell’arte et de la Commedia all’Improvvisa que nous assistons grâce à Il Mascheraio.
En effet, à peine arrivés devant ces tréteaux, le facteur de masques, Cavarra Andréa, nous interpelle et se met à nous expliquer la création des masques d’un point de vue technique mais aussi les raisons qui ont poussé les comédiens à les utiliser sur les marchés vénitiens sur lesquels ils se produisaient. Et cette interactivité avec le public durera tout du long puisqu’il conviera certains spectateurs à jouer des improvisations avec lui sur scène (on ne peut qu’admirer le talent de ceux qui ont joué !), qu’il sollicitera régulièrement le public pour qu’il lui donne des idées et des indications pour interpréter les rôles et qu’il le laissera même choisir en lui faisant voter le dernier masque donc le dernier personnage qu’il va interpréter.
Ainsi, c’est à la fois à une leçon sur ce qu’est la Commedia dell’arte et sur les personnages qui la caractérisent que nous assistons, mais aussi à un véritable spectacle, drôle, bien fait et qui se joue justement de toutes les ressources du comique propre à cette comédie. Un très bon moment plein de finesse et d’humour !
Et pour ceux qui voudraient prolonger cette découverte, il est même possible de faire un stage de création de masque avec Cavarra Andréa et de repartir avec sa réalisation ! (S.T.)
L’orchestre en sursis. Albatros, durée 1h15. Programme page 46
A Auschwitz, et après, comment survivre ?
Avec L’Orchestre en sursis, c’est plus qu’une pièce de théâtre que Pierrette Dupoyet – qui pour son 34e Festival d’Avignon revient avec trois titres, Jacqueline Auriol ou le ciel interrompu (Luna) et Apollinaire, au revoir, adieu (Buffon) – nous donne à voir, c’est un hommage bouleversant qu’elle rend à tous les déportés et à leurs souffrances.
Inspiré par le témoignage de Fania Fénelon, ce spectacle nous fait revivre toutes les émotions de cette femme déportée, toutes ses douleurs (faim, soif, maladie…), toutes ses angoisses de la mort dans cet enfer qu’était Auschwitz mais aussi tous ses doutes, sa souffrance et ses interrogations tant au milieu de la barbarie qu’après : Comment survivre après les camps ? Pourquoi a-t-elle survécu, elle, et pas les autres ? Comment raconter l’horreur ?
Avec une économie de moyens – des tréteaux, des bougies, des instruments de musique et quelques vêtements -, Pierrette Dupoyet, seule en scène, nous fait revivre la vie de cette déportée qui, au milieu de l’horreur, avait trouvé un moyen de se sentir libre grâce à la musique. Si cet orchestre de femmes à Birkenau a pu redonner de l’espoir aux déportés, puisqu’il redonnait un peu d’humanité à cet univers que même les oiseaux avaient fui, Pierrette Dupoyet nous avertit à la fin de ce spectacle : « Ce ne sont pas des monstres, ce sont des êtres humains » qui ont fait ça. Et cette dernière phrase donne une résonance bien actuelle à ce spectacle qui, en plus d’être un poignant hommage à ces victimes, nous oblige à réfléchir sur notre actualité. (S.T.)
Pierrette Dupoyet est un cas. Depuis 33 ans elle « fait » Avignon, jouant chaque année dans des lieux différents 3 pièces dont une création, tractant avec sa fille entre les représentations, collant elle-même ses affiches. Infatigable, distinguée par Jean Vilar, elle n’a de cesse de militer pour les opprimés, dénoncer les atrocités et les injustices. Son Jaurès, juste après les attentats en France, avait comme toutes ses pièces une résonance terrible. Elle a joué dans 70 pays étrangers, a publié près d’une vingtaine d’ouvrages, est traduite dans différentes langues. Vraiment, un cas ! (G.ad.) http://www.pierrette-dupoyet.com
La Cantatrice chauve. Archipel théâtre, durée 1h10. Programme page 62.
Cette Cantatrice chauve nous bouscule fort sympathiquement.
Etonnant d’abord, cet accueil à l’entrée de la salle par la bonne, en tenue très légère et sexy. Etonnant ensuite sur scène ce personnage grimpé sur son échelle, qui prend des notes et fait des gestes en s’adressant au public. Ce personnage, Laurent Grima, c’est justement l’invention de la metteuse en scène Caroline Raux ; absent de la pièce de Ionesco, il renforce le décalage, la dérision, tantôt en narrateur mettant en voix les didascalies, tantôt en double de Mary la bonne, mais aussi en prenant en charge des morceaux des répliques habituelles des autres personnages, rompant ainsi le cours des dialogues entre les couples et faisant rire. Il est aussi celui qui manie la sonnette, qui remplace les coups de l’horloge, et il s’en amuse et nous amuse en y revenant plus souvent que de raison.
L’absurde est aussi très bien rendu dans cette pièce par la mise en scène des silences, moments pendant lesquels les acteurs se contentent de gestes et de mimiques, parfois même devenant des mimes burlesques et qui mettent mal à l’aise le spectateur tout en le faisant rire de ce qu’il voit. Ces silences sont parfois remplacés par de la musique et des chorégraphies des acteurs, là aussi absurdement drôles.
Enfin l’hystérie collective qui s’empare des personnages avec des phrases dénuées de sens, des onomatopées, rythmées par la sonnette et le jeu des lumières, est vraiment irrésistible. Cette frénésie se rompt par le retour au début de la pièce avec l’autre couple, Les Martin, de bleu vêtus comme les Smith l’étaient de rose.
Un très bon moment, drôle et dérangeant, comme le voulait Ionesco. (S.T.)
La machine de Turing. Théâtre actuel, durée 1h20. Programme page 36
Cette pièce qui raconte le destin extraordinaire d’Alan Turing est un véritable bijou. Benoît Solès, qui est aussi l’auteur, incarne ce mathématicien de génie avec beaucoup de sensibilité, touchant de sincérité, émouvant. On éprouve une véritable empathie pour cet homme si brillant et pourtant incompris, si seul et qui se suicidera en héroïne tragique, en croquant une pomme qu’il a empoisonnée, hommage à Blanche-Neige qu’il adore.
Tout commence par un dépôt de plainte d’Alan Turing suite à un cambriolage ; et face à cette victime si étrange, en pyjama, le sergent Ross, joué par Amaury de Crayencour, va chercher à comprendre qui il est. C’est à lui qu’Alan Turing va raconter ses si lourds secrets. Par un jeu de flash-back soutenus par des effets vidéo très soignés, on revit alors tous les événements importants de sa vie : de son enfance solitaire – rejeté parce que bègue et doté d’une intelligence hors-norme -, en passant par sa brillante découverte de cette machine – premier ordinateur, qui a abrégé la guerre en cassant la machine à crypter des nazis, mais que les services secrets anglais lui interdisent de révéler -, à ses travaux précurseurs sur l’intelligence artificielle et enfin à la révélation de son homosexualité qui conduira à sa condamnation et à son suicide. Tous les personnages qu’il croise, c’est Amaury de Crayencour qui les incarne brillamment.
Tout dans ce texte, soutenu par la mise en scène si soignée de Tristan Petitgirard, rend hommage à cet homme si peu reconnu et pointe ce qui l’a conduit à ce destin si tragique : l’intolérance et la cruauté des hommes ! (S.T. Photo © Gipsy Nonn)
La poupée sanglante. Les 3 soleils, durée 1h30. Programme page 30
Cette comédie musicale La poupée sanglante est une adaptation fantastique du roman de Gaston Leroux, à tous les sens du terme. Fantastique d’abord par l’histoire qu’elle raconte, celle d’un horloger, un savant, proche du docteur Frankenstein, qui essaie de créer en secret une machine humaine et de lui donner vie. Fantastique elle l’est aussi par la qualité du jeu de ces comédiens, chanteurs et danseurs qui nous emportent avec eux dans cette aventure pleine de suspense et de rebondissements, avec beaucoup d’humour.
Ils sont trois sur scène, mais incarnent avec brio de multiples personnages, sans vraiment se métamorphoser, en changeant seulement une expression, avec un accessoire ou une coiffure différente ; et la magie du théâtre opère. Charlotte Ruby est Christine, la fille de l’horloger, romantique, douce et fragile, mais aussi d’autres femmes moins recommandables. Édouard Thiébaut campe un Bénédict Masson, le voisin, laid et inquiétant avec ses doigts contractés, mais aussi un Gabriel lumineux (la créature), aussi attendrissant dans les deux rôles. Alexandre Jérôme est quant à lui Jacques, le fiancé de Christine qui aide son père à créer Gabriel, mais il est aussi à la fois le marquis et la marquise, nous faisant passer par tout le panel des émotions. Il faut aussi souligner la grande qualité de leurs prestations vocales. Didier Bailly, le compositeur lui-même, les accompagne magistralement au piano, et il ouvre et ferme le spectacle.
Le metteur en scène Eric Chantelauze sait nous tenir en haleine jusqu’au bout dans cette enquête policière à tiroirs mêlant roman noir, policier, fantastique, mais aussi romantisme et humour. On se laisse volontiers prendre au jeu. (S.T.)