A Châteauvallon, une splendide Norma sous les étoiles
Amphithéâtre de Châteauvallon, le jeudi 26 juin 2025. Dans le cadre de la saison de l’Opéra de Toulon
Norma, opéra de Vincenzo Bellini
Direction musicale, Andrea Sanguineti. Mise en espace, Emmanuelle Bastet. Scénographie, Tim Northam. Lumières, François Thouret
Norma, Salome Jicia ; Pollione, Matteo Falcier ; Adalgisa, Emily Sierra ; Oroveso, Önay Köse ; Clotilda, Kaarin Cecilia Phelps ; Flavio, Alexander Marev.
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon
Chœur de l’Opéra de Nice
Voir aussi toute la saison 2024-2025 de l’Opéra de Toulon
Après le Requiem de Mozart (notre compte rendu) et Cavalleria Rusticana / Pagliacci les deux années passées, l’Opéra de Toulon clôt à nouveau sa saison « hors les murs » avec un spectacle lyrique dans le cadre enchanteur de l’amphithéâtre en plein air de Châteauvallon. Et c’est cette fois un must du répertoire qui est mis à l’affiche, soit Norma de Vincenzo Bellini.
Il ne s’agit pas d’une mise en scène proprement dite, mais d’une mise en espace réglée par Emmanuelle Bastet. On avoue que cette formule nous convient sans problème, et s’avère même bien plus satisfaisante que nombre de productions lyriques où les relectures, réinterprétations ou actualisations dénaturent parfois l’ouvrage originel. Rien de cela ici, mais un travail resserré sur le jeu théâtral, en particulier celui du rôle-titre. La différence avec une habituelle mise en scène porte certainement sur les costumes, ici des tenus de ville noires pour les femmes et hommes. Sur un plateau noir et brillant en arc-de-cercle, les éléments de décors se comptent sur les doigts des deux mains, plus précisément sept silhouettes de troncs d’arbres élancés de couleur rouge, mais qui peuvent tout aussi bien figurer les flammes du bûcher final où meurent Norma et Pollione. C’est aussi l’environnement naturel du lieu qui fait la scénographie, les arbres éclairés en fond de scène évoquant sans aucune difficulté la forêt gauloise du livret.
Mais Norma est aussi et surtout affaire de voix, et il s’agit de ce point de vue d’un enchantement ce soir, procuré en particulier par les deux protagonistes féminines. En Norma, la soprano géorgienne Salome Jicia est une belcantiste reconnue, depuis ses grands débuts au Rossini Festival de Pesaro il y a bientôt dix ans (La Donna del lago en 2016). La voix s’est élargie depuis lors, mais a conservé ses capacités de souplesse et de précision pour la musicalité. Après une entame légèrement tendue, la soprano s’épanouit de plus en plus au cours de la soirée, démarrant par un « Casta Diva » chanté sur le souffle, pour développer par la suite de formidables cantilènes et cabalettes, en plus de montrer une indéniable autorité pour l’ensemble de ses récitatifs.
La mezzo Emily Sierra en Adalgisa est pour nous une superbe révélation. Avant de développer ses talents, on précise ici que le choix de l’Opéra de Toulon est de bien différencier les vocalités soprano / mezzo pour les deux rôles, parmi d’autres options possibles qui rapprochent les deux tessitures… en rappelant que Salome Jicia interprétait Adalgisa en ouverture de cette saison de l’Opéra de Marseille, en septembre dernier (notre compte rendu). Pour revenir à Emily Sierra, elle séduit d’emblée par un timbre riche, rond et aux splendides reflets sombres par moments. La qualité est homogène sur toute l’étendue, conservant sa noblesse en creusant dans le grave. Elle varie avec goût les nuances forte/piano et développe une agilité fluide pour les passages vocalisés. Dans ce contexte, les deux duos entre Norma et Adalgisa constituent les sommets de la soirée, justement élégiaques pour les parties douces, et dynamiques et aux notes piquées précises pour les moments les plus agités.
Le Pollione de Matteo Falcier ne nous procure pas les mêmes joies, paraissant robuste et bien projeté à son entrée en scène, mais rencontrant rapidement une baisse de régime après avoir poussé un aigu dangereusement tiré, sans parler des deux fautes d’inattention dans ses attaques… petites erreurs peut-être dues au trac ? L’Oroveso d’Önay Köse s’avère plus vaillant et endurant, belle voix de basse naturelle capable de longues tenues de notes, notamment dans l’aigu. Kaarin Cecilia Phelps (Clotilda) et Alexander Marev (Flavio) complètent avec aisance pour ces rôles plus secondaires, le ténor nous montrant de belles dispositions dans cet emploi considéré parfois comme une antichambre de Pollione… à suivre !
L’Orchestre de l’Opéra de Toulon est placé à l’arrière de la scène, mais avec le chef Andrea Sanguineti situé à jardin, et donc l’ensemble des musiciens, vus de profil par le public, qui ont le regard tourné vers la gauche. Les tempi sont rapides, voire parfois très rapides, dans un son assez mat, assez sec, mais l’oreille s’habitue vite, ainsi qu’aux cigales partiellement de la partie au premier acte, puis aux grenouilles qui s’invitent par moments au second acte ! Les chœurs des Opéras de Toulon et Nice réunis pour l’occasion sont particulièrement vaillants, mais ne donnent pas une qualité optimale en permanence, pour ce qui concerne en particulier la cohésion de plusieurs départs. On apprécie davantage l’ensemble du chœur, plutôt que sa seule partie masculine, et ses pupitres séparés, des ténors par exemple. L’ensemble tient tout de même sa place sans faiblir et l’on retient plusieurs moments clés, comme l’agressif « Guerra, guerra ! » lancé au plus près du public, ou encore un peu plus tard les choristes assis au premier rang de l’amphithéâtre et qui tournent le dos aux spectateurs.
F.J. / I.F. © Aurélien Kirchner
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