PAGE EN CONSTRUCTION
Mardi 11 avril 2023, 20h00, Opéra Grand Avignon
Les Voix des Outre-Mer
Récitant, Richard Martet. Artiste invité, Fabrice di Falco (contreténor). Chanteurs Voix des Outre-mer, Clara Bellon, Marie-Laure Garnier, Axelle Saint-Cirel
Nous sommes 100 spectateurs tout juste ce soir à l’opéra. Nous ne sommes pas dans la salle mais sur la scène, face à la salle. Perspective impressionnante que cette grande salle vide, récemment refaite à neuf.
C’est un charmant salon de musique qui a été reconstitué autour du piano, et la soirée est sympathique en hommage à Christiane Eda-Pierre. Première chanteuse lyrique noire à mener une carrière internationale, disparue à 88 ans le 6 septembre 2020, elle a laissé un fort souvenir à tous ceux qui l’ont connue. Nous n’en sommes pas, mais Richard Martet, rédacteur en chef d’Opéra Magazine, et récitant circonstanciel, en avait été impressionné ; Raymond Duffaut, présent aussi, nous avait parlé d’elle lors de sa disparition ; le contre-ténor Fabrice di Falco, invité, fondateur de l’association et du concours des Voix des outre-mer, la connaissait également.
La conférence-concert, présentée par le directeur de l’Opéra Grand Avignon Frédéric Roels, déroulait le fil d’une carrière prestigieuse, semée d’embûches puisque n’existait alors aucun conservatoire ultra-marin, ni municipal ni départemental ni régional ni national. Et rien n’a changé depuis lors. Marie-Laure Garnier, l’une des sopranos de la soirée, avait d’ailleurs plaidé, lors des Victoires de la musique 2021, pour une légitime égalité des chances partout sur le territoire français.
Née à Saint-Pierre dans le souvenir de la terrible coulée de lave de la Montagne Pelée qui avait tué 28.000 habitants, Christiane Eda-Pierre avait quitté l’île à 18 ans en 1950 pour Bordeaux. Dès 1958 elle faisait ses débuts à l’opéra de Nice dans le rôle de Leila des Pêcheurs de perles, avec le baryton Gabriel Bacquier – disparu quelques mois avant elle -, avant de chanter sur de nombreuses scènes, dont Avignon et Aix-en-Provence (Papagena) dans la région.
La France connaîtra alors de grandes voix : Mado Robin, disparue en 1940, puis Mady Mesplé, dont la doublure sera justement… Christiane Eda-Pierre. Colorature légère, elle ira peu à peu vers des rôles plus dramatiques, comme Rosine, que ne chantaient pas encore des mezzo-sopranos, ou Lucia de Lammermoor. Son entrée dans la troupe parisienne qui se partageait entre Opéra Garnier et Opéra-Comique sera déterminante : une « famille » au sein de laquelle elle pourra parfaire sa formation et qui assurera sa légitime promotion.
En 1966, Mirella Freni déclare forfait à Chicago : une formidable opportunité ! Ce sera ensuite le soutien inconditionnel du directeur de l’Opéra de Paris qui accompagnera Christiane Eda-Pierre. Puis en 1976, l’invitation à célébrer le bicentenaire de la Révolution américaine dans le rôle de la comtesse Almaviva. L’enlèvement au sérail, et les Contes d’Hofmann, oà elle interprétera successivement divers rôles, marqueront son parcours, avec des partenaires comme Placido Domingo ou Luciano Pavarotti. Elle sera invitée au Théâtre de la Monnaie (Idoménee, la Légende de Titus) et à Avignon dans les années 1980.
En cette soirée-hommage en forme de concert-conférence, on a donc entendu des extraits des grands rôles ayant jalonné la carrière de Christiane Eda-Pierre. On n’a pu que regretter l’absence d’un enregistrement – a minima – de la cantatrice, par exemple pour accueillir les spectateurs et ouvrir la soirée. On a regretté aussi l’absence de la toujours délicieuse Patrizia Ciofi, qui répète en ce moment la création imminente des Three lunar seas…
Néanmoins la soirée nous a donné quelques beaux moments, avec solos, duos, trios, accompagnés de la délicate pianiste Kazuko Iwashima. Quatre artistes, dont trois de couleur ; trois jeunes femmes, et un homme à la carrière déjà solide.
Clara Bellon a eu le dangereux honneur d’ouvrir le feu, voix un peu acide dans l’air de la mort de Lakmé ; en cours de soirée sa voix se libèrera, dans « les oiseaux dans la charmille » (Contes d’Hofmann), avec une égale présence scénique et vocale, ainsi que dans le Duo des fleurs avec une Axelle Saint-Cirel très guindée, qui projettera plus tard des aigus triomphants et des médiums chatoyants dans les Contes d’Hofmann ; elle déclinera ensuite une belle musicalité et une excellente diction dans les Noces de Figaro, même si elle se révèle à contre-emploi dans le rôle de Chérubin, mieux distribuée ensuite dans le « Voi che sapete ». Mezzo-soprano, Axelle Saint-Cirel, finaliste au Concours Jeunes espoirs Raymond Duffaut en octobre 2021, a été l’une des deux lauréates ex-aequo du Prix Soroptimist International France Région Sud-Est, en présentant « Cara sposa » de Haendel (Rinaldo, donné par ailleurs à l’Opéra Grand Avignon en novembre 2022) et « Je suis Lazuli » de Chabrier (l’Etoile) ; le Sorptimist d’Avignon, club service comme les Lions’ ou Rotary, est d’ailleurs co-fondateur de ce Concours.
Marie-Laure Garnier, la plus connue sans doute fut Prix de l’Adami en 2019, lauréate du concours Voix nouvelles, lauréate des Voix des Outre-Mer, Révélation lyrique aux 28es Victoires de la musique classique en 2021 ; elle a également participé à Musiques en Fête aux Chorégies, aux Musicales du Luberon, aux Saisons de la Voix en 2017, ainsi qu’au coffret de 3 CD de l’Orchestre National Avignon-Provence (avril 2022), faisant découvrir au public les œuvres de Charlotte Sohy et sorti en avril 2022 ; l’Opéra Grand Avignon l’a invitée en début de saison pour un récital piano-voix. En cette soirée-hommage, il lui reviendra d’interpréter, avec beaucoup de sensibilité, des extraits de lieder de Schumann, avant de repartir vers divers engagements et un agenda bien rempli par des engagements multiples.
Le contre-ténor Fabrice di Falco, lui, chantera la plainte d’Alcina, troublante ; son agilité à passer de la voix de tête à des médiums barytonnants chaleureux vous fait courir des frissons… Il avait chanté par ailleurs un tout autre répertoire, Akhnaten de Philip Glass à l’Opéra de Nice en novembre 2021.
Joli trio in fine, que ces lauréates des Voix des outre-mer, « on est grand par l’amour, et plus grand par les pleurs », où la souplesse des lignes de chant, et la complémentarité des timbres, ont été fort applaudis. Et c’est le Duo des fleurs… à 4 voix qui a été offert en bis et en clôture de cette charmante soirée immersive.
G.ad. Photos G.ad.
Laisser un commentaire