Une joyeuse rareté au Théâtre de l’Odéon de Marseille
Samedi, 25 janvier 2025, Théâtre de l’Odéon. Marseille
Le Grand Mogol, opérette d’Edmond Audran
Florent Mayet, direction musicale ; Yves Coudray, mise en scène
Julia Knecht, Irma ; Caroline Géa, Princesse Bengaline ; Jérémy Duffau, Mignapour ; Frédéric Cornille, Joquelet ; Gilen Goicoechea, Grand Vizir ; Dominique Desmons, Crakson
Chœur phocéen
Orchestre de l’Opéra de Marseille
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Ce n’est pas parce que Le Grand Mogol d’Edmond Audran a été créé en 1877 au Théâtre du Gymnase à Marseille, qu’il est pour autant représenté régulièrement dans la cité phocéenne. Il ne fallait donc pas rater la nouvelle production d’Yves Coudray programmée par l’Opéra de Marseille au Théâtre de l’Odéon. Avec des moyens scénographiques limités, mais par ailleurs avec de très jolis costumes, le réalisateur vise ici à l’efficacité pour cet ouvrage en trois actes, au fort parfum d’exotisme.
L’intrigue se déroule en effet aux Indes, à Delhi pour les deux premiers actes, puis dans un caravansérail au dernier. Le Prince Mignapour va atteindre sa majorité et peut devenir roi, soit Grand Mogol. Mais ceci à la condition d’être resté jusqu’alors chaste, une chasteté attestée, dans la croyance de ses sujets, par un collier porté par lui resté de couleur blanche. Le Prince tombe amoureux de la Parisienne Irma, échappée de la capitale française avec son frère Joquelet, afin de fuir leurs créanciers. Mais la Princesse Bengaline, la méchante de l’histoire, veut épouser le Prince pour devenir reine, et elle est prête à tous les stratagèmes pour arriver à ses fins. Les fiançailles du Prince et Irma ont lieu, mais le lendemain matin – horreur ! – c’est un collier noir qu’arbore le Prince. Chassé du palais, le couple pourra cependant s’unir à la conclusion. Bengaline avait en effet organisé un rendez-vous au Bosquet aux roses entre Mignapour et Irma, Bengaline prenant la place de l’aimée. Parallèlement, c’est Crakson (lui aussi amoureux d’Irma) qui a pris la place de Mignapour, après avoir drogué ce dernier avec un peu d’opium et échangé son collier blanc contre un noir. Autres épousailles au final, celles de Crakson et Bengaline, celle-ci ayant juré précédemment de s’unir avec l’homme de son rendez-vous galant.
Au Théâtre de l’Odéon, c’est un palais indien qui figure en fond de plateau, avec d’agréables variations de couleurs pour les éclairages. Puis quelques éléments de décors suffisent à situer l’action, au premier acte la roulotte à gauche de Joquelet et Irma, lui reconverti en « Dentiste de Paris » (son air « Voici l’artiste incomparable qui va vous arracher les dents » !) et elle en charmeuse de serpents, tandis qu’à droite figure l’entrée du palais. Au deuxième acte, un palmier de carton-pâte au centre de la scène devient une banquette rose sur fond de fleurs lorsqu’on le retourne. Puis au troisième, un canapé à droite et quelques sièges suggèrent le caravansérail.
La distribution vocale fait honneur à cette occasion très rare, à commencer par le couple Irma-Mignapour. Julia Knecht est une pimpante Parisienne, dès son premier air « Je ne veux pas de vous pour époux » adressé à l’attention de Crakson. La voix est musicale et la chanteuse possède certaines réserves de puissance et de notes aiguës. Ses « Couplets du Kirikiribi » en fin de premier acte, au cours de son numéro de charmeuse de serpents, est le passage le plus connu de l’ouvrage. Jérémy Duffau est quant à lui un ténor élégant, au style soigné, comme pendant son air « Si j’étais un petit serpent » qui précède les couplets évoqués précédemment. La voix perd toutefois un peu en qualité lorsqu’il vient à forcer ses moyens.
En Princesse Bengaline, Caroline Géa déploie l’arme de la séduction pour arriver à ses moyens. L’instrument est bien projeté, accompagné d’un petit vibrato. Deux barytons solides et bien timbrés sont également à l’affiche : d’une part Frédéric Cornille en Joquelet, le frère d’Irma et qui émet intelligemment certaines notes en voix de tête, et Gilen Goicoechea d’autre part en Grand Vizir, à peu près constamment intéressé à conserver son poste, quel que soit le dénouement de l’intrigue. L’équipe est complétée par Dominique Desmons qui interprète le rôle très bouffe de Crakson, un capitaine de l’armée anglaise mais habillé ici plutôt en Ecossais : kilt, perruque rousse, un fort accent britannique et de nombreuses erreurs de genre sur les mots.
La vingtaine de musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Marseille, placés sous la baguette de Florent Mayet, produisent une musique qui accroche l’oreille sans problème. Dès l’Ouverture, la partition est en effet riche de mélodies, avec quelques clins d’œil que nous avons cru reconnaitre. Ainsi, on pense rapidement à Lakmé de Delibes, un opéra au même exotisme… surtout lorsque le chœur énonce d’entrée « le marché va finir », exactement les mêmes paroles qu’au deuxième acte de Lakmé ! En fin de premier acte aussi, la musique sur les mots d’Irma « à la danse je vous invite » évoque Ophélie dans Hamlet d’Ambroise Thomas (« A vos jeux, mes amis »).
Le Chœur phocéen enfin est bien en voix, avec parfois un individu qui se détache, en puissance, parmi ses partenaires à l’intérieur d’un même pupitre. Quelques séquences de la représentation se révèlent vraiment hilarantes, par exemple au deuxième acte les Bayadères qui tentent de charmer le Prince. Les femmes assurent leur partie chantée, tandis que deux vrais-faux musiciens les accompagnent, soit le Grand Vizir et Crakson qui reprennent le refrain en voix de tête. Un peu plus tard, la « chanson du vin de Suresnes », entamée par Irma et reprise par le chœur est l’occasion d’un joyeux French cancan, interprété par les deux couples de danseuses et danseurs.
I.F. & F.J. © Christian Dresse
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