Nous avons déjà rencontré Philippe Jaroussky en 2014, en 2019, et Classiqueenprovence publie des comptes rendus de ses concerts ou récitals, à Avignon, Orange ou Marseille…
Il revient en Provence le 24 août 2022 en exclusivité régionale, à l’invitation conjointe des Saisons de la Voix de Gordes et de Musique Baroque en Avignon, au théâtre des Terrasses de Gordes (84), dans un récital partagé avec le guitariste Thibaut Garcia (voir aussi notre entretien). « Le contreténor que le monde nous envie », selon Erato, le label chez qui il a justement enregistré, avec Thibaut Garcia, « A sa guitare », dont le programme est aussi celui du concert dans le charmant écrin du théâtre au pied du rocher de « l’un des plus beaux villages de France ». Dans son tout nouveau refuge normand, Philippe Jaroussky nous parle du récital à venir.
-Philippe Jaroussky, avec Thibaut Garcia, vous vous êtes rencontrés par Alain Lanceron, le patron d’Erato, qui a ensuite accueilli votre disque commun, « A sa guitare ». Quand on pense au mariage entre voix humaine et instrument, on évoque plutôt des tessitures médianes, baryton ou mezzo, mariées avec le violoncelle. L’association de la voix de contre-ténor avec la guitare a-t-elle la même harmonie naturelle, par l’ambitus, par la couleur, voire par la technique par exemple ?
–Oui et non. Moi qui chante beaucoup de baroque italien, je suis souvent accompagné de guitares baroques, qui ont une sonorité différente. Je fais beaucoup de récitals avec luth et théorbe, autant que piano. Je ne suis d’ailleurs pas le premier contreténor à chanter avec la guitare, David Daniels le fait également (Américain, né en 1966, duo notamment avec le guitariste Craig Ogden, NDLR). L’association guitare-voix est une association très naturelle ; pourquoi pas la voix de contreténor ? D’ailleurs, un guitariste peut chanter : regardez dans la musique populaire, dans le folk. Un contreténor chante avec un orchestre, un clavecin, un piano… Il est vrai que la guitare est un instrument plus raffiné, qui demande de chanter différemment ; il faut retenir la projection de la voix, jouer sur l’intimité ; contrairement au concert avec grand orchestre, on n’a pas à lutter ; il faut alors chercher des couleurs plus intimes, plus proches de la voix parlée.
-Le programme de votre CD et de votre concert déroule 5 langues, sur presque 5 siècles, pour un voyage inattendu.
–Il part de la Renaissance – c’est une demande de Thibaut, qui souhaitait un répertoire pour luth – et va jusqu’à la chanson populaire. C’est un parcours intéressant. On avait été intéressés par des pièces écrites pour voix et guitare classique ; puis, finalement on s’y est sentis à l’étroit ; on a cherché des arrangements déjà faits (Schubert). Puis on a choisi chaque morceau qui devait constituer le programme, et Thibaut a réalisé au moins la moitié des arrangements. Nous avons déjà fait une tournée, à l’automne dernier, avec 16 concerts, et même 2 concerts au Mexique en octobre. Le public était au rendez-vous. C’est très rare qu’on fasse une tournée, hors de la tournée de sortie du CD. Mais cela a permis au programme de mûrir.
-Comment se présente aujourd’hui le programme ?
–Nous sommes heureux de reprendre après des vacances. C’est un programme idéal pour un festival d’été. On parle au public : Thibaut est un excellent orateur ! C’est un vrai ping-pong musical, soutenu par la complicité entre nous. On avait d’abord pensé à un programme dans l’ordre chronologique, mais on se serait ennuyés !
-Vous avez récemment fait vos débuts – remarqués – sur l’immense scène des Chorégies d’Orange à l’occasion de Musiques en fête, et vous allez, à Gordes, chanter encore en plein air. Quel est votre ressenti, quant à l’émission de la voix, sa projection dans l’air, sa tenue… ?
–Le chant en plein air, c’est magique. Orange est toujours sonorisé ; Musiques en fête, c’est une configuration télévisée qui permet de lutter facilement avec les cigales (sourire). De même à La Roque-d’Anthéron, où j’ai déjà chanté. Mais Gordes, je ne connais pas ; j’ai vu quelques photos, je pense qu’on sera bien entendus, car on sera légèrement sonorisés. Là est le paradoxe de la sonorisation : il faut jouer et chanter plus intime, et l’on sera moins sonorisé pour Rossini que pour Barbara ! Moi je serai libéré du souci de projeter la voix ; la guitare, elle, est un instrument qui projette moins ; le public entendra mieux les subtilités du jeu et le texte.
–La canicule et la sécheresse actuelles, pénibles pour chacun, sont sans doute redoutables pour un chanteur lyrique. Quelles précautions particulières devez-vous prendre, avant et pendant le concert ?
–J’ai une voix solide ; je suis un garçon costaud (sourire), je n’ai pas d’allergies. IL est vrai qu’on est dans une situation climatique inquiétante, et que la chaleur ramollit les cordes vocales… Au fait, en cas de pluie, y a-t-il une solution de repli ?
-Pas à ma connaissance…
–Alors on espère qu’il fera beau (sourire)… (pause) On ne peut pas dire que le programme soit grand public, mais il offre de petites trouvailles étranges ; un vrai voyage… Thibaut est un grand artiste, l’un des plus grands musiciens de sa génération, un musicien très raffiné. Et pourtant c’est encore un bébé (rire) ! Moi j’ai 44 ans, nous sommes deux artistes de deux générations différentes ; jeune il m’a beaucoup écouté. J’aime rencontrer des artistes de la jeune génération, comme dans mon Académie.
-Vous vous êtes lancé dans la direction, dans l’enseignement. Est-ce une étape supplémentaire, non seulement dans le rayonnement de votre carrière, mais aussi dans l’appropriation de la musique et dans la façon dont vous la vivez ?
–C’est un peu les deux. J’ai créé mon ensemble (Artasese, NDLR) il y a 20 ans. J’ai toujours imaginé que je dirigerais.
-Vous venez d’obtenir un triomphe dans la direction de Giulio Cesare de Haendel au TCE.
–Jules César est très difficile, je ne savais pas si j’arriverais. Depuis 5 ans je fais aussi de l’enseignement ; c’est une drogue dure, qui permet d’appréhender différemment la musique. Mais j’ai besoin de chanter à nouveau, et je reprends des cours moi-même. Même si l’enseignement et la direction sont des bulles d’air où je ne chante pas, ils me donnent envie de rechanter. Mais ils me donnent une nouvelle approche du chant. D’ailleurs la voix évolue ; je me donne encore 10 bonnes années pour explorer tout ce que je veux explorer ; il y a des tas de choses que je n’ai pas chantées ! Et diversifier mon activité me permettra de faire un passage plus facile quand ma voix ne répondra plus. Comme Sandrine Piau, qui est depuis 30 ans au plus haut niveau, moi je vis depuis 20 ans de très belles années. Mais demain ? C’est sans doute la crise de la quarantaine, mais je me dis que tout ce qui viendra ensuite sera du bonus. Ma voix a gagné en richesse harmonique, en profondeur, en proximité avec le texte ; et la vie est passée par là. Pour maintenir la souplesse vocale, contrairement à ce qu’on pourrait croire il me faut travailler la technique plus qu’avant. Avec ma professeur j’apprends à aborder les graves, les aigus, à respirer.
-Vous avez sans doute quantité de projets ?
–Un enregistrement entièrement baroque, et une tournée en septembre-octobre. Je vais également reprendre à Monaco Alcina avec Cecilia Bartoli que je retrouverai avec grand plaisir. Et je dirigerai à Montpellier (Philippe Jaroussky y est en résidence pour 3 ans avec son ensemble Artasese, NDLR) mon deuxième opéra, Orfeo d’Antonio Sartorio (1630-1680, NDLR) ; ce sera une première en France, en juin 2023 ».
Propos recueillis par G.ad, août 2022
-Mercredi 24 août, 21h30, durée 1h. Tarifs : 60€/56€ (adhérents). Places numérotées. Réservations sur le site : https://lessaisonsdelavoix.com/, et lieux habituels de réservation.
Site officiel des Saisons de la Voix.
Site officiel de Musique Baroque en Avignon.
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