Lucienne Renaudin-Vary est un peu un Ovni dans le paysage musical classique. Sa jeunesse, son talent, la quasi-rareté de son instrument – surtout au féminin -, la pétillance de son jeu, sa souriante simplicité, sa présence magnétique de trompettiste aux pieds nus, feraient oublier qu’il y a déjà presque une décennie qu’elle déboulait sous les yeux du grand public, aux Victoires de la musique, et pour emporter une Révélation à tout juste 17 ans ! Depuis lors, elle navigue toujours d’un univers à l’autre, du jazz au baroque, du classique à la variété.
Lucienne Renaudin-Vary est invitée le 20 juin 2025, à la fois par Musique Baroque en Avignon et par l’Orchestre Avignon-Provence, pour le concert de clôture de saison pour l’une et l’autre structure. Echanger avec la jeune soliste en amont du concert est un vrai moment ensoleillé. Et elle-même semble toujours étonnée de l’enthousiasme qu’elle déclenche.
-Lucienne, vous avez souvent été une artiste « superlative » : la plus jeune, la première, la seule…(1)
-(rire) Avec le temps, cela devient de moins en moins vrai !
-Vous avez obtenu diverses récompenses, outre votre Victoire de la musique en 2016. Quelle est celle qui vous a le plus marquée ?
-La récompense qui me touche, ce sont surtout de beaux moments sur scène, un beau public, une belle salle, de bons musiciens, et qu’on soit en forme : en fait, que toutes les étoiles soient alignées. Ce qui me touche le plus, ce sont les retours après les concerts. Si les gens se sont évadés de leur quotidien, c’est ma plus belle récompense.
-Vous avez souvent expliqué en interview que votre découverte de la trompette s’était faite un peu par hasard ; vous n’avez jamais regretté ? voulu aborder un autre instrument ?
-(sourire) Belle question. Je ne me suis jamais posé la question. La trompette, ç’a été un coup de foudre immédiat ; c’était comme un prolongement naturel de moi, la meilleure façon de m’exprimer. Mais non, je n’ai jamais regretté. J’ai appris un peu la guitare également, mais pour m’accompagner parce que j’aime beaucoup chanter aussi.
-Mais le répertoire est-il suffisant ? et peut-on tout transcrire pour la trompette ?
-Evidemment le répertoire est différent du piano. Pour le répertoire du piano, une vie ne suffit pas ; pour la trompette, une vie suffit largement ! C’est pour cela que très tôt j’ai voulu faire des arrangements ou des transcriptions.
-C’est vous qui les faites ?
-Pour les transcriptions, c’est facile, il suffit de prendre la partie du soliste ; pour les arrangements, pas toujours. J’enviais le répertoire du violoncelle, le chant. Mais il est vrai qu’on ne peut pas tout transcrire ; d’abord parce que le piano par exemple est un instrument harmonique, et que chaque instrument a ses propres difficultés, comme une même note répétée, ou le fait que la trompette n’ait pas de texte…
-Lors de votre concert proche à Avignon, vous allez jouer un concerto de Vivaldi ; je crois vous avoir entendu dire que c’était une transcription…
-C’est un concerto qui était initialement écrit pour le violon, mais c’est un grand plaisir de le jouer à la trompette. Le second morceau, c’est un concerto de Neruda, que j’adore ; il a été composé à la jonction du baroque et du classique, c’est un moment de transition entre les deux influences.
-Comment passe-t-il de l’un à l’autre ? Par la virtuosité, la technicité, autre chose ?
–Notamment par l’harmonie chez Neruda ; dans le deuxième mouvement notamment, on trouve de grandes envolées lyriques, presque romantiques. C’est un des modèles du genre ; à l’origine il était écrit pour corno da caccia (le cornet baroque, NDLR) ; aujourd’hui on le joue à la trompette.
-La transcription est donc bien antérieure à vous ?
-Bien sûr, elle est ancienne, mais je ne sais pas qui en est l’auteur ; de même que pour le concerto de Vivaldi.
-Vous jouez divers styles, et diverses formations ; préférez-vous par exemple le jeu solo, sans doute plus libre, ou avec orchestre ?
–C’est complémentaire. Je n’ai jamais voulu choisir ; j’aime la musique de chambre, mais avec un orchestre on se sent comme porté. C’est un tout autre travail.
-Y a-t-il des œuvres que vous n’avez pas encore abordées, et dont vous rêveriez ?
–C’est une bonne question, je n’y avais jamais pensé ! On ne peut évidemment pas tout connaître, et il y a sans doute encore des œuvres que j’ignore, mais je crois avoir joué le plus gros (sourire).
-Alors, que reste-t-il ?
–Des commandes. C’est très réjouissant. C’est ce que j’ai déjà fait avec Karol Beffa (né en 1973, NDLR)…
-C’est une référence !
-Il a composé une œuvre pour moi, et c’est extrêmement intéressant de pouvoir préciser ce que l’on souhaite…
-Y a-t-il des compositeurs qui soient plus spécialisés dans tel instrument ?
–J’imagine qu’à force de composer pour un instrument on doit devenir expert.
-Vous avez sans doute pour l’été un agenda très chargé. Etes-vous prévue pour un festival en Provence ? Et avez-vous des liens, familiaux, amicaux, dans la région ?
–Cet été, j’ai beaucoup d’engagements en France, deux fois à Rocamadour par exemple. La Provence est une région que j’aime beaucoup, mais avec laquelle je n’ai pas de lien particulier.
-Vous allez jouer vendredi avec l’Orchestre Avignon-Provence ; j’imagine que vous ne le connaissez pas, et que vous allez le rencontrer juste quelques heures avant le concert ?
–Oui, c’est toujours ainsi que ça se passe. On répète sur place un à deux jours avant le concert, souvent seulement la veille. On rencontre aussi le chef, pour discuter, pour dégrossir.
-Si vous deviez inciter le public à venir à ce concert, que diriez-vous ?
-(Rire) C’est dur de se vendre, je n’ai jamais fait de l’auto-promotion ! Mais je dirais que le baroque est une chouette musique, qu’elle est très moderne, et que je serai heureuse de la partager…
Propos recueillis par G.ad. Photos Simon Fowler
- La plus jeune ? A 11 ans en 2010, elle finit 3e du concours européen des jeunes trompettistes, dans la catégorie… 14-17 ans ; en 2012 à 13 ans elle est déjà soliste dans différents festivals ; en 2013 elle participe, dans l’émission des Victoires de la Musique classique, à l’hommage rendu à Maurice André disparu un an plus tôt ; elle est sans doute la plus jeune Révélation Victoires de la musique classique à 17 ans en 2016, juste après avoir participé pour la première fois à la Folle Journée de Nantes ; en 2017, elle fait ses débuts en Amérique, en tant que plus jeune soliste du festival de Carthagène en Colombie ; en 2019 à 20 ans, la voilà en Asie.
- La première ? En 2020 à Lucerne, elle est la première femme à recevoir le prix Arthur Waser, qui récompense tous les deux ans un ou une jeune soliste.
Laisser un commentaire