Erminie Blondel vient de participer au « Concert (non) essentiel » organisé à la salle Gaveau par l’agence Limelight Artists Sophie Duffaut ; nous l’avions entendue aux Saisons de la Voix de Gordes en 2018, puis à Musiques en Fêtes aux Chorégies d’Orange en 2019. Elle endosse en ces derniers jours de 2020 le rôle-titre d’une Veuve joyeuse préparée dans des conditions qui n’ont rien de joyeux, alors que les lieux de culture sont toujours injustement fermés, et que chaque structure tente à sa façon de vivre et de survivre.
Frédéric Roels, le nouveau directeur de l’Opéra Grand Avignon a décidé, avec ses équipes, que le spectacle devait continuer. Ainsi, les trois productions antérieures (L’Histoire du soldat, le Messie du peuple chauve et le concert symphonique) ont été enregistrées puis diffusées gratuitement. Mais comment un artiste vit-il cette situation ? Nous l’avons demandé à la jeune soprano.
-Comment avez-vous, tous ensemble, préparé cette Veuve joyeuse pour les fêtes de fin d’année ?
–La période de création a été difficile. Nous avons répété masqués jusqu’à la générale piano, ce qui est très contraignant. Nous nous adaptons évidemment à la situation, mais c’est également difficile de jouer devant une salle vide.
-Nous serons quelques journalistes, aux côtés des techniciens de captation ; la salle ne sera pas totalement vide. Mais quelles sont exactement les difficultés apportées par le masque ? Dans la voix, dans l’expression, dans le jeu ?
–Le masque étouffe le son ; on doit donc être très vigilant à ne pas forcer la voix. Il empêche l’ouverture ; si on ouvre la bouche, le masque glisse (rire). Il modifie l’émission et l’articulation.
-Donc à la fois l’intensité et la projection.
–L’inspiration également est difficile. Quand il nous faut prendre des inspirations profondes pour de grandes phrases, longues, on sent la capacité pulmonaire réduite. Et quand on inspire, on avale le masque (éclat de rire). C’est arrivé à chacun de nous ! De fait, nous n’avons eu aucune répétition dans les conditions du spectacle. Le chœur est resté masqué jusqu’à la prégénérale (visible sur les photos de Cédric Delestrade, voir le compte rendu) ; les solistes, nous ne sommes plus masqués depuis la générale piano, après des tests pour tous, chanteurs, ballet. Donc, demain, le jour de la captation, ce sera la surprise totale, pour l’acoustique, la balance, avec le chœur, l’orchestre…
-Ce personnage de Missia, est-ce une prise de rôle pour vous ?
–Une prise de rôle, mais c’est aussi la première fois que je chante une opérette : une grande nouveauté dans ma vie d’artiste, pour moi qui ai plutôt l’habitude mourir à la fin (rire) ! Il faut passer de la voix parlée à la voix chantée, il faut danser : un vrai challenge ! Je découvre un univers différent, mais comme je suis désireuse d’apprendre toujours du nouveau, cela fait du bien en ces temps moroses !
-Donc, vous vous sentez bien, dans ce personnage et cette production ?
–Je me sens bien. Je suis heureuse de chanter cette musique somptueuse, une écriture vocale sublime, une belle écriture viennoise, et un jeu intéressant. Il y a plusieurs facettes au personnage : il y a Missia, il y a aussi Anna, la comédienne qui joue Missia ; avec Anna, c’est une 3e strate, et cette mise en abyme est très intéressante à explorer.
-Quelles ont été, jusqu’à présent, les grandes étapes qui ont marqué votre jeune carrière ?
–Il y a eu plusieurs moments forts. D’abord ma 1e Traviata, une prise de rôle impressionnante, un remplacement de dernière minute ; j’ai eu un coup de téléphone du chef : tu fais Traviata dans une semaine ! C’était à Turin, au théâtre Concordia, avec le chef Franco Giacosa, qui ne me connaissait pas vraiment mais m’avait vue dans Manon. Cela me mène à ce moment-là à ma 2e chance, il y a un an et demi ; grâce à Alain Duault et Sophie Duffaut, j’ai chanté sur la scène du théâtre antique d’Orange devant 10.000 personnes, dans Musiques en Fête.
-Nous y étions…
–C’était pour moi une joie immense, et une émotion égale. Ma 3e chance, elle, a été La Voix humaine.
-Un rôle difficile…
–En effet. C’était à Clermont-Ferrand, dans une mise en scène de Pierre Thirion-Vallet le directeur (dont on a vu à Avignon Pagliacci/Cavalleria le 6 février 2020). Une œuvre intense émotionnellement, dramatiquement, vocalement. Il n’y a que 3 personnes (le pianiste, le metteur en scène, la chanteuse) ; c’est là que je me suis rendu compte de mes possibilités dans le jeu dramatique, de mes possibilités pour raconter une histoire.
-C’est une œuvre que l’on entend plutôt interprétée par une mezzo-soprano.
–Elle a été composée pour une soprano Denise Duval ; mais il est vrai que les mezzos peuvent la chanter car le contre-ut peut être facilement supprimé, et la tessiture est plus centrale, plus proche du parlé-chanté que souhaitait Poulenc. Pourtant la voix de soprano permet une compréhension du texte plus claire. Dans l’avant-propos, Poulenc parle d’une jeune femme élégante ; la fraîcheur du timbre de soprano me semble donc plus adaptée. Quant à ma 4e chance, elle a été ma rencontre avec Sophie Duffaut, aux Saisons de la Voix de Gordes.
-Je présume que, malgré la situation actuelle, vous avez quantité de projets ?
–Dans les projets immédiats, j’ai des retrouvailles avec Traviata, dont je suis très heureuse, pour les opéras de Massy, Reims, Vichy. Traviata, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai voulu faire ce métier. Chaque fois que j’endosse cet habit, je découvre toujours quelque chose de nouveau : il y a tellement de richesse dans le personnage, le rôle, l’écriture vocale ! Et beaucoup d’autres projets, mais dont je ne parle pas.
-Si vous n’aviez pas été ce que vous êtes, qu’auriez-vous aimé être ou faire ?
–Question intéressante ! Je suis jeune mais j’ai toujours eu un caractère bien trempé ; c’est à 5 ans que j’ai décidé que je serais chanteuse d’opéra (un silence). On peut presque parler d’une vocation. Sans verser dans l’ésotérisme, j’ai le sentiment d’avoir été mise là pour ça, avec le devoir de remplir une mission, avec ma volonté et la détermination de ce que je peux apporter, juste, ni plus ni moins. Mais si je voulais vous répondre sur quels autres personnages je voudrais interpréter, il y a tellement de possibles qui s’ouvrent ! J’aurais envie d’une Mimi : c’est une chance pour une soprano lyrique, mais il existe une infinité de rôles passionnants, très beaux à exploiter. Je n’ai pas envie de rester attachée à un seul personnage. Je serais également heureuse de retrouver Manon si on me le reproposait.
-Avez-vous autre chose à rajouter ?
–Nous sommes tous très heureux d’aller au bout de cette production. Juste avant, j’étais à Saint-Etienne, nous étions en pleine répétition, et brusquement on nous a dit de rentrer chez nous ; c’est un véritable traumatisme de s’arrêter au milieu d’un processus créatif. Evidemment un écran ne remplacera jamais le spectacle vivant mais au moins on peut exprimer une émotion. Le premier confinement je l’ai vécu à la maison, ayant accouché juste avant ; mais par la suite j’avais besoin de reprendre. Pour un artiste, être bâillonné c’est très difficile à vivre. Depuis quelques mois, certains de nos camarades n’ont même pas eu la possibilité de travailler ; c’est une situation très douloureuse, une situation artistique, humaine, financière, très difficile.
Propos recueillis par G.ad. Photos G.ad. Photo Veuve joyeuse : Cedric Delestrade
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