L’Histoire du soldat, Igor Stravinsky
Une grande première : une création sur le Net !
Compte tenu de la crise sanitaire, L’Histoire du soldat, l’une des créations de la saison chorégraphique de l’Opéra Grand Avignon, a bien été créée aux jour et heure prévus, mais sur Internet, en direct et gratuitement, sur le site de l’Opéra Grand Avignon et sur sa chaîne YouTube, grâce à la société ADMA-Production. Replay jusqu’au 30 novembre.
De même pour l’opéra Le Messie du peuple chauve (20-11-2020)
Opéra Grand Avignon, Salle L’autre Scène, Vedène (84), samedi 14 novembre 2020, 16h
L’Histoire du soldat (1917), mimodrame d’Igor Stravinsky (1882-1971). Texte de Charles-Ferdinand Ramuz
Chorégraphie et costumes, Eugénie Andrin. Décors et lumières, Laurent Castaingt
Le petit garçon (le Soldat), Anthony Beignard. Le Clown (le Diable), Ari Soto. Le fiancé Paul Gouven. Marilyn Monroe (la Princesse), Anne-Sophie Boutant. La poupée (La fiancée), Aurélie Garros, La mère Noémie Fernandes. Les soldats et les villageois, Anne-Sophie Boutant, Noémie Fernandes, Aurélie Garros, Paul Gouven. Les cartes à jouer et les danseurs, Noémie Fernandes, Aurélie Garros, Paul Gouven
Ballet de l’Opéra Grand Avignon
Bande-son/enregistrement Harmonia Mundi (septembre 2018). Récitants, Didier Sandre, Denis Podalydès, Michel Vuillermoz de la Comédie-Française. Violon Olivier Charlier. Ensemble instrumental, direction Jean-Christophe Gayot
Diffusion ADMA-Production. Nouvelle production de l’Opéra Grand Avignon
Une salle vide, mais un public élargi…
Le virus n’aura pas plus raison du spectacle vivant que le diable du soldat ou de Faust ? Si seulement…
C’est pourtant le pari audacieux de Frédéric Roels, nouveau directeur de l’Opéra Grand Avignon, accueilli peu après sa prise de fonction par la 2nde vague (espérons que ce ne sera pas la 2e) de la Covid-19. Il a offert à deux créations la chance d’aller à leur terme et de toucher leur public, fût-ce en « virtuel », en direct sur le Net.
Et si quelques journalistes seulement ont pu assister in loco à la captation, aux jour et heure initialement prévus dans le programme de saison, mais interdits d’applaudissements, c’est un public bien plus large que ce Soldat a ainsi pu joindre, et de surcroît un samedi après-midi d’été indien : presque 1.500 connections en direct, sans préjuger encore de la quinzaine pendant laquelle la vidéo est en replay et en accès libre, c’est déjà près de quatre fois la pleine jauge de L’Autre Scène, et huit fois la demi-jauge sanitaire. Un succès pour cette initiative, à notre connaissance totalement inédite, et qui sera renouvelée la semaine suivante avec Le Messie du peuple chauve, d’Éric Breton. Seul le Ballet de l’Opéra de Paris a devancé Avignon de quelques heures en proposant aussi sur le Net sa création de la saison, également en direct, mais en accès payant… et avec d’autres moyens techniques et financiers !
Ainsi, avec une tranquille détermination le nouveau directeur affirmait en ouverture de rideau un bref message d’espoir raisonnable, soulignant le parallèle épidémique de cette année 2020 de pandémie, avec 1917, année de création de L’Histoire du soldat par Stravinsky sur un texte doux-amer de Charles-Ferdinand Ramuz.
Le sujet : le soldat Joseph revient en permission vers sa mère et sa fiancée ; le diable qu’il rencontre l’amène à échanger son violon (son âme) contre un livre (dont le sens lui échappera longtemps, comme sa vie) ; croyant acquérir ainsi richesse, succès et bonheur, Joseph découvre au contraire qu’il devient transparent aux yeux de ceux qu’il aimait, sa fiancée qui en aime un autre, et la princesse que, nouvel Orphée, il perdra en se retournant vers elle. Totale désillusion : sa vie a désormais perdu saveur et valeur. Le cadeau final rompra-t-il le sortilège ?
Eugénie Andrin – dont nous connaissons déjà les participations aux Chorégies d’Orange ou à la récente reprise d’Issue à Vedène également – signe cette nouvelle production d’un mélodrame dont elle souligne la complexité de genre et de ton. Une difficulté qu’elle a parfaitement maîtrisée, en offrant une vision légère et délicate sans occulter pour autant les zones d’ombre ; une chorégraphie fluide et cohérente jusque dans la porosité entre le réel et l’onirique ; une œuvre fine, poétique et « ciselée » suivant le mot d’Anthony Beignard, le rôle-titre, rencontré, avec l’équipe, après la représentation.
Si les conditions du direct demeurent toujours contraignantes même pour les plus aguerris (le Ballet de l’Opéra Grand Avignon est un habitué de Musiques en fête et de ses 2 millions de téléspectateurs), elles n’en constituent pas moins un stimulant pour des artistes toujours prêts à relever de nouveaux défis.
C’est cette impression d’énergie combative que nous gardons de ce spectacle, un univers d’enfant au milieu de peluches alignées tout autour de la chambre. Des peluches qui ont dû faire un clin d’oeil à celles que l’Orchestre de Montpellier avait récemment alignées comme public de substitution pour son concert quasi simultané.
Eugénie Andrin a donc transformé le poilu de 1917 en enfant qui refait le monde avec ses soldats de plomb, dans un décor délicatement rétroéclairé en couleurs sucre d’orge, par le talent de Laurent Castaingt. De Peter Pan à l’enfant-soldat Joseph en passant par Alain (La Fille mal gardée), depuis que Roland Petit l’avait remarqué alors qu’il était encore adolescent, puis Eric Belaud il y a 20 ans pour l’accueillir à Avignon, le tout jeune quadragénaire Anthony Beignard conserve dans ses rôles juvéniles cette part d’enfance nostalgique et de grâce vigoureuse qui peut toucher les plus jeunes et émouvoir les générations aînées.
Ari Soto, lui, confère au diable, en clown flashy et bondissant, une omniprésence trop primesautière pour n’être pas grinçante. Les quatre autres danseurs sont tantôt troupe marchant au pas réglé de soldats-pantins ou irrésistibles cartes à jouer (« que du cœur » !) ou villageois proches du Joseph d’antan, tantôt une touchante princesse-Marilyn (Anne-Sophie Boutant), une poupée-fiancée (Aurélie Garros), un fiancé (Paul Gouven) ou la mère (Noémie Fernandes).
Chaque plan est soigné, comme la ronde des villageois, ou cette belle scène d’amour sur le lit en arrière-plan, entre Paul Gouven et Aurélie Garros, aussi suggestive pour les petits que pour les grands… qui pour autant n’y verront peut-être pas les mêmes images !
La bande-son est signée de trois « Français » prestigieux : Didier Sandre, qui connaît ce rôle sur le bout des doigts, Denis Podalydès et Michel Wuillermoz, avec l’Ensemble instrumental Jean-Christophe Gayot parfois trop invasif, et du violon subtil d’Olivier Charlier.
On garde le cœur un peu chaviré après cette Histoire du soldat porteuse de désenchantements autant que de rêves.
G.ad. Photos Studio ACM/Cédric Delestrade (spectacle) & G.ad.
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