Dernière ligne droite avant la cérémonie officielle des Victoires de la musique classique ce mercredi. C’est Débora Waldman, directrice musicale de l’Orchestre National Avignon-Provence, et première femme en France nommée – en 2019 – à la tête d’un orchestre permanent, qui sera au pupitre, sous les feux des projecteurs et des caméras. Rencontre avec une cheffe sereine, enjouée parfois, qui « positive »…
-Mercredi 1er mars, 21h10, 170 minutes, en direct sur FR3 et sur France-Musique.
-Débora Waldman, j’ai déjà eu le plaisir de vous interroger plusieurs fois depuis votre nomination en terre avignonnaise. Comment la directrice musicale de l’Orchestre Avignon-Provence se retrouve-t-elle à diriger la cérémonie des Victoires de la musique ?
–C’est un maillon de cause à effet. Quand je suis venue diriger Don Pasquale à Dijon en mai 2022, l’Opéra et l’Orchestre ont été très satisfaits de cette collaboration. La Direction administrative de l’auditorium a appelé les organisateurs des Victoires, qui cherchaient un chef.
-Parce que l’Orchestre de Dijon, dont vous êtes cheffe associée, était déjà choisi pour cette cérémonie ?
-Oui. En fait, j’étais au bon lieu au bon moment (rires).
-Quand on vous a fait cette proposition, avez-vous hésité, ne serait-ce qu’une seconde ?
-(rire) J’ai immédiatement regardé mon agenda. Je n’ai hésité que le temps de vérifier que j’avais bien deux semaines de liberté dans cette période.
-Que représentant les Victoires de la musique pour un artiste ? Un passage obligé, un tremplin pour une carrière, une reconnaissance de la profession, ou une simple ligne sur son CV ?
–D’abord un lieu de visibilité. Tous les artistes qui comptent dans le paysage musical français sont passés par les Victoires. C’est une reconnaissance, surtout une mise en valeur, une opportunité à saisir.
-Comment se prépare la cérémonie ?
–Les musiciens arrivent à la fin. Mon travail, c’est de savoir comment anticiper. Les lauréats ont déjà été choisis. Pour éviter de devoir improviser, j’ai pris la liberté d’appeler chaque artiste, pour connaître leurs souhaits des œuvres qu’ils voulaient interpréter. Tout doit être en cohérence avec ce qui se joue autour, c’est un vrai casse-tête ! Et il y aura aussi des flash-backs, puisque ce sont les 30 ans…
-Cela vous laissera, à vous, une respiration ?
-(rire) C’est le propre de ces soirées : dans 2h d’émission, on joue effectivement 50 minutes, mais quand on joue 3 minutes, on attend ensuite 10 minutes (rire). En termes d’énergie il faut toujours être au top dès qu’on reprend. C’est un exercice nouveau pour un chef. Mais j’avais déjà fait pendant le 2e confinement la Symphonie pour la vie : on était sur place pendant 12h, de 10h à 22h, et j’ai dirigé 20 minutes !
-Anecdotiquement votre costume sorti de l’atelier de couture de l’Opéra Grand Avignon est-il prêt ?
-(rire) Oui, il est ici, à Dijon, il attend….
-Sans dévoiler le palmarès, pouvez-vous nous dire si vous avez déjà eu l’occasion de diriger certains des lauréats, voix, instruments ou compositeurs, à Avignon ou ailleurs ?
–Non, tout est nouveau. Evidemment, j’avais déjà dirigé les chœurs de l’Opéra de Dijon, mais tous les lauréats sont nouveaux pour moi. J’ai eu maintenant contact avec chacun ; c’est agréable de savoir ce qu’ils veulent, et cela permet d’aller un cran plus loin.
-Les participants à la soirée ont-ils le droit de vote ?
-Oui, les organisateurs me l’ont bien confirmé, et j’ai donc voté.
-Racontez-nous quelle sera votre journée du 1er mars 2023.
–Le matin, je vais me concentrer, réviser mes partitions. A 14h, répétition avec les artistes qui arrivent dans la journée. En fin de journée dans ma loge, je m’assieds en position de yoga ; dans un dernier regard sur la partition, je visualise tout ce qui peut arriver, tout ce que je veux de positif, comme un sportif qui fait la piste dans sa tête ! A 20h commencent le cérémonial, maquillage, derniers préparatifs, pour une émission qui commence à 21h.
-Un chef, un musicien, un comédien, ont l’habitude du « live », du spectacle vivant. Or vous allez être vue en direct par des millions de téléspectateurs. Est-ce pour vous une angoisse ou un défi ?
–C’est une chance. (Un temps) Mais je n’avais pas pensé comme ça ! C’est vous qui me révélez cette dimension… (Un temps, puis vivement) Je vais jouer pour les gens dans la salle, et les caméras en plus c’est que du bonheur, pour plus de gens. On peut transmettre une émotion et une énergie supplémentaires. J’ai confiance en toutes ces belles choses qui arrivent.
-Depuis quelques semaines on entend parler des maisons d’opéras qui ferment ou doivent réduire leurs ambitions, ou font appel aux dons : Montpellier et Rouen en France, le Metropolitan de New York, le Royal Opera House à Londres… Qu’en pensez-vous ?
–Le baryton Thomas Dollé a publié récemment une lettre ouverte sur le sujet (Le Monde du 19 février 2023, « La fermeture des opéras n’est pas inéluctable », NDLR). Il faut être inventif, il ne faut pas toujours se plaindre. C’est l’ensemble du contexte qui est défaillant. Ce n’est pas seulement la situation de telle ou telle institution qui est grâce, c’est la crise mondiale à grande échelle qui m’inquiète. La vie culturelle, et la vie en général, n’ont plus la même valeur. Chacun est sur son téléphone, et en oublie d’écouter son voisin. J’habite dans un quartier où je ne connais pas tous mes voisins dans la résidence, et c’est le cas de beaucoup. Quelque chose se perd dans la fraternité, et c’est ce qui m’inquiète le plus.
-Vous pensez que cela relève d’une crise mondiale de civilisation plutôt que d’une crise de la culture, conséquence de la « culture non essentielle » de l’époque Covid ?
-Oui, c’est une longue chaîne, et il faut agir beaucoup plus largement.
-Et pour terminer sur une note légère, qu’avez-vous envie de dire aux téléspectateurs des Victoires de la musique classique ?
-Se laisser emporter, goûter tous les bonheurs qu’il y aura, un continent à découvrir, une soirée magnifique.
Propos recueillis par G.ad. Photos : Christoph Abramovitch, G.ad. (7 février 2023), Opéra Grand Avignon, G.ad. (3 octobre 2021), G.qad. (3 août 2019)
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