« L’un des meilleurs récitals entendus à Simiane », un lieu qui n’a pourtant pas manqué de talents…
Dimanche 22 septembre, 18h, Espace Simiane, Gordes. Dans le cadre des Saisons de la Voix (site officiel)
Apolline Raï-Westphal, soprano, lauréate du Concours international de la mélodie de Gordes 2023. Paul Coispeau, piano, lauréat du Concours international de la mélodie de Gordes 2023
Mélodies françaises : Charles Gounod, Le Soir. Cécile Chaminade, Les Sylvains. Francis Poulenc, Sanglots. Claude Debussy, Apparition. Pièces pour piano : Maurice Ravel, La Pavane pour une infante défunte. Jules Massenet, Méditation de Thaïs. Airs d’opéra : Jules Massenet, Manon, « Je suis encore tout étourdie » et « Adieu notre petite table ». Vincento Bellini, I Capuleti e Montecchi, « Eccomi in lieta vesta ». Igor Stravinsky, The Rake’s Progress, « No Word from Tom »
Voir aussi notre annonce du concert,
le programme 2024 des Saisons de la Voix de Gordes
et tous nos articles de septembre 2024
Les Saisons de la Voix ont accueilli, pour leur Concert d’automne, la soprano Apolline Raï-Westphal et le pianiste Paul Coispeau, lauréats du Concours2023, tous deux formés au CNSMD de Paris. Leur programme, « automnal » donc, inspiré par la saison déclinante, nous a ravis par sa cohérence et sa douce et belle mélancolie, loin du pot-pourri où l’on entend tout et son contraire. De la cohérence – on le répète – inspirée, dans le choix de mélodies françaises et d’airs d’opéras proposé par le duo.
Dans la lumière déjà vespérale du dimanche 22 septembre, jour de l’équinoxe, le récital a été ouvert par Le Soir de Gounod. Habillée d’une ravissante robe longue bleu profond, toute simple mais dévoilant le scintillement d’une dentelle brodée, Apolline Raï-Westphal, modeste et sans esbroufe, a déployé son chant aux graves chaleureux, aux médiums ronds et suaves. Ses aigus mordants, « carnassiers » m’a-t-on dit, étincelants comme sa tenue (on serait tenté de filer la métaphore entre sa robe et la tessiture de sa voix) ont ravi le public, sans jamais l’assourdir ; ses aigus filésparticulièrement raffinés dans les pianissimi on fait la joie des connaisseurs. Paul Coispeau, tout à l’écoute de sa partenaire, au point de chuchoter à l’unisson avec elle, a fait sonner le vieux piano de l’espace Simiane comme on l’a rarement entendu, le charme et la sensibilité de ses interprétations faisant oublier les défauts – les grincements de la pédale ! – de l’instrument.
Le programme s’est poursuivi devant un public conquis d’emblée, avec le piano solo du peu connu Les Sylvains, de Cécile Chaminade, délicat, sensible, élégant. Les sublimes Sanglots de Poulenc ont plongé notre écoute plus loin encore dans une délicieuse mélancolie vespérale, tout comme la célébrissime pièce pour piano de Ravel, La Pavane pour une infante défunte. Apparition de Debussy, tiré des Mélodies de jeunesse, a déployé un lyrisme d’une rare intensité, soutenu par unpiano dont les arpèges imitent la harpe, comme l’a noté Vladimir Jankélévitch ; et là, nous sommes partis très loin, vers l’hivers et ses flocons… Le meilleur de la mélodie française. Diction parfaite, quel bonheur (triste et exquis) d’entendre les vers de Mallarmé :
« La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.
C’était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S’énivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d’un rêve au cœur qui l’a cueilli.
J’errais donc, l’œil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m’es en riant apparue
Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées. »
En deuxième partie, des airs d’opéra, tout de même (public oblige ?). Thaïs, Manon, Giulietta : la jeunesse, l’amour contrarié, le chagrin jusqu’à la mort. D’abord, au piano, la Méditation de Thaïs de Massenet, suivie par un « Je suis encore tout étourdie » si incarné, si expressif, que nous voilà secoués des délicieuses torpeurs méditatives (oui, un programme vraiment bien composé, saisis par la beauté vivante d’un chant chaloupé ; enfin « Adieu notre petite table », dont on n’a pas raté un mot, une note. Là, on a sorti les mouchoirs. L’émotion a atteint son comble avec une incarnation de Giulietta, avec « Eccomi in lieta vesta », où la jeune héroïne de I Capuleti e Montecchi de Bellini a surgi devant nous désespérée, bouleversante.
Au final, Paul Coispeau a proposé une belle interprétation au piano de l’« Intermezzo » de l’opéra L’amico Fritz de Mascagni, en invitant le public à en découvrir « les harmonies changeantes et variées ». Les deux artistes ont choisi de conclure leur récital avec « No Word from Tom », l’aria périlleuse d’Anne dans The Rake’s Progress de Stravinsky, que le duo a réussie avec maîtrise et dynamisme :
« Quietly, night, oh! find him and caress.
And may thou quiet find his heart,
although it be unkind. nor may its beat confess,
although I weep, it knows of loneliness.
Guide me, oh! moon, chastely
when I depart.
And warmly be the same
he watches without grief or shame.
It can not be thou art a colder moon
upon a colder heart. »
En bis, assez de tristesse ! mais un air français, gai et joyeux comme nous l’étions tous, peu connu sans doute, où il était question de reflets de lune… une mélodie de Francis Poulenc sur un thème de son opéra Les Mamelles de Tirésias – opéra qui sera d’ailleurs joué les 6 et 8 juin 2025 à l’Opéra Grand Avignon -.
Une soirée mémorable. Le privilège et le plaisir de retrouver de jeunes artistes d’une telle excellence, découverts lors du Concours, il y a un an à peine, et ayant parcouru déjà tant de chemin, constituent les attraits principaux des concerts des Saisons de la Voix. Apolline Raï-Westphal et Paul Coispeau ont fait l’unanimité : « l’un des meilleurs récitals entendus à Simiane », selon l’avis de Raymond Duffaut, toujours présent, toujours passionné, et du public (pas assez nombreux !) qui a entouré les deux artistes pour les remercier, lors du traditionnel verre de l’amitié. « Cela donne du sens à notre mission » a commenté, heureux, le nouveau président des Saisons, Yves Senn.
C.R., texte & photo
Laisser un commentaire