Mireille sous le mistral
Orange. Théâtre Antique. 04-VIII-2010. Charles Gounod (1804-1849), Mireille, opéra en 5 actes sur un livret de Michel Carré, d’après l’œuvre de Frédéric Mistral, Mirèio (1859). Mise en scène : Robert Fortune. Assistants à la mise en scène : Sylvie Auget, Pierre Ziadé. Scénographie : Christophe Vallaux, Robert Fortune. Chorégraphie : Eric Belaud. Costumes : Rosalie Varda. Lumières : Jacques Rouveyrollis. Assistante aux éclairages : Jessica Duclos. Etudes musicales : Kira Parfeevets. Coordination chorale : Giulio Magnanini.
Nathalie Manfrino, Mireille ; Marie-Ange Todorovitch, Taven ; Karen Vourc’h, Vincenette ; Caroline Mutel, Clémence ; Amel Brahim-Djelloul, La Voix/ Andreloun.
Florian Laconi, Vincent ; Franck Ferrari, Ourrias ; Nicolas Cavallier, Ramon ; Jean-Marie Fremeau, Ambroise ; Jean-Marie Delpas, Le Passeur ; Philippe Ermelier, un farandoleur.
Chœurs de l’Opéra-Théâtre d’Avignon et des Pays de Vaucluse (chef de chœur : Aurore Marchand). Chœurs de l’Opéra de Marseille (chef de chœur : Pierre Iodice). Chœurs de l’Opéra de Nice (chef de chœur : Giulio Magnanini). Maîtrise des Bouches-du-Rhône (direction : Samuel Coquard). Ballet de l’Opéra-Théâtre d’Avignon et des Pays de Vaucluse (direction : Eric Belaud). Musique de scène : Ensemble instrumental des Chorégies d’Orange. Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine. Alain Altinoglu : direction musicale.
2010, annus horribilis ? Chacune des quatre programmations des Chorégies a été touchée. On imagine volontiers l’angoisse du directeur Raymond Duffaut et de son équipe.
Pour Tosca, le chef Mikko Franck, souffrant, avait dû se faire remplacer au pied levé – mais excellemment – pour la Générale le 12 juillet par Emmanuel Joël.
Dans le récital du 17 le mistral avait considérablement gêné le déroulement, sans pour autant l’annuler.
Pour Mireille, la pré-générale et la générale avaient été annulées à cause d’un orage (dimanche 1er août) puis d’une panne de courant (mardi 3) ; et le IVe acte de la 1e représentation avait été interrompu dix minutes par quelques gouttes de pluie.
Enfin dans le concert symphonique du 6 le pianiste Fasil Say a dû être remplacé, pour raisons de santé, par le Russe Andreï Korobeiniko.
2e acte du feuilleton. L’opéra de Gounod en Provence.
Mireille, créée en 1864 à Paris, est vite revenue sur ses terres dès 1865 (à l’Opéra de Marseille puis à Avignon en 1890), mais ce n’est que trente ans plus tard que cette « épopée de la Provence » y prendra sa dimension quasi mythique dans des lieux patrimoniaux de la région.
Elle est jouée dans les Arènes d’Arles en 1899 (Frédéric Mistral conseille la mise en scène, grandiose), où elle sera reprise en 1909 pour le Jubilé de Mistral. Puis aux Arènes de Nîmes, toujours en présence de Mistral, ovationné, en 1899, un mois après Arles. En 1913 à St-Rémy-de-Provence pour le cinquantenaire de la composition par Gounod, en présence de Mistral (qui mourra l’année suivante) et du fils du compositeur. En 1930, le centenaire de la naissance Mistral est fêté à Nîmes (Mireille dans les Arènes), et pour la première fois à Orange (Mireille en version opéra-comique, se terminant par le mariage des tourtereaux), dans le théâtre antique restauré grâce au félibrige quelque soixante ans plus tôt, avec « le mur » pour seul décor (premières Chorégies en 1888). Au Théâtre antique d’Arles Mireille sera jouée en 1941, un événement au cœur de cette sombre époque, dans la version récemment restaurée par Reynaldo Hahn (les 5 actes initiaux, et la mort de Mireille), celle qui se joue depuis lors, représentation radiodiffusée en direct !
Mireille continuera d’être jouée « chez elle » : en 1954 au Val d’Enfer (dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence), en 1964 aux Chorégies d’Orange, en 1980 à Maillane pour le 150e anniversaire de la naissance de Mistral, sous l’égide de l’Opéra d’Avignon.
C’est dire si Orange attendait et redoutait tout à la fois cette Mireille, après 40 ans d’absence. Or cette production, placée dès l’incipit sous le patronage de Mistral (« Canto uno chato de Prouvènço ») est une franche réussite !
La mise en scène de Robert Fortune se révèle sobre et sensible, intelligente et respectueuse ; avec les costumes de Rosalie Varda, et avec la chorégraphie d’Eric Belaud (acte II) elle restitue dans les huit décors l’âme d’une autre époque et d’une région, peignant à petites touches les différences sociales et culturelles entre les deux familles, évitant les deux écueils du faux folklore et du pathos passéiste (car Mistral était un sacré réactionnaire, même du haut de ses 25 ans !). Le grand mur de scène est partiellement occulté sans être jamais absent, mis en relief par deux colonnes jumelles (répliques de celles du théâtre antique d’Arles ?), et après la fin du spectacle une projection fixe de peinture pompéienne lui rend sa pleine valeur historique. En projection diapo, parfois vidéo (mort d’Ourrias et mort de Mireille), le fond deviendra rocaille tourmentée du Val d’Enfer, et, grâce à Van Gogh, il sera successivement amandiers en fleurs ou nuit étoilée, il prendra ensuite visage des Saintes-Maries alors qu’une procession imitée de Courbet honorera la châsse-reliquaire, transposition heureuse de l’église camarguaise. Le soleil de la Crau y luira aussi de toute sa noirceur accablante. Et le doigt levé d’Auguste, nouvelle statue du Commandeur, foudroiera Ourrias dans la barque de Charon. Les farandoles, elles, sortent tout droit des Arlésiennes du peintre Léo Lelée, ami de Mistral. Chaque invention scénographique, réalisée sans doute dans une relative simplicité de moyens, mérite d’être saluée pour sa pertinence propre. A une réserve près : la mort de Mireille y est accompagnée de belles écumes de vagues mourantes ; alors que les familiers de Mistral savent bien que l’expiration de l’adolescente, martyre de l’amour, est une ascension glorieuse vers le ciel, et que toutes les productions successives peinent désespérément à la suggérer…
La distribution, exclusivement française, a rempli tous les espoirs. On peut regretter le sous-emploi de la lumineuse Karen Vourc’h (Vincenette), qui nous avait éblouis plusieurs fois à Avignon, de Caroline Mutel (Clémence), et de la cristalline Amel Brahim-Djelloul (Andreloun), qui avait excellemment donné la réplique à Florian Laconi dans L’Elisir d’amore – que nous avions également chroniqué – ; on peut déplorer que Franck Ferrari (Ourrias) n’ait pas toujours eu la puissance requise, et que les basses profondes de Nicolas Cavallier – venu au chant lyrique grâce à une figuration en 1981 dans la … Mireille d’Antoine Bourseiller – aient parfois été couvertes par un orchestre que toute la finesse d’AlainAltinoglu n’a pas toujours réussi à tempérer.
Il reste aussi l’indéniable qualité du beau couple d’amoureux. Nathalie Manfrino, à laquelle dans le 1er acte nous aurions volontiers substitué la légèreté mutine de Karen Vourc’h, s’est révélée excellente soprano dramatique dans la terrible traversée de la Crau puis dans la redoutable scène finale. Florian Laconi, que nous suivons depuis plusieurs années, a magnifiquement montré, avec puissance dans la projection vocale, avec sensibilité dans l’expression, que Roberto Alagna (présent ce soir-là dans les gradins) n’est pas le ténor exclusif des Chorégies, comme nous l’avions souligné en 2009 pour Vittorio Grigolo dans la Traviata, que l’on reverra d’ailleurs en 2011 dans Rigoletto. On ne peut que se réjouir de la richesse de ce vivier.
N’oublions pas les seconds rôles, ni les pitchouns de la Maitrise des Bouches-du-Rhône. Ni Marie-Ange Todorovitch, qui, dans le rôle ingrat de Taven, a soulevé un enthousiasme bien mérité.
2010 signe donc un somptueux retour de Mireille sur l’imposante scène des Chorégies !
G.ad. Photos Philippe Gromelle/Chorégies
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