La substantifique moelle de Werther
Werther & Charlotte, extraits de Werther, opéra de Jules Massenet, Place de l’église (19-08-2021)
Festival Durance-Luberon, Grambois, place de l’église
Piano et mise en scène, Vladik Polionov ; Sarah Laulan (Charlotte) ; Rémy Poulakis (Werther)
Pour sa 24ème édition, le Festival Durance Luberon proposait une riche affiche, dont pas moins de trois titres lyriques au cours de soirées intitulées « Opéra de poche ». Ce sont ainsi la rare Rita de Donizetti (dans la Cour d’Honneur du Château-Mairie de Peyrolles), I Pagliacci de Leoncavallo (à Saint-Estève-Janson, puis dans la Cour d’Honneur du Château de La Tour d’Aigues) et Werther de Massenet (sur la Place de l’église de Grambois) qui ont été mis sur le métier cette année. Nous avons assisté à Grambois aux extraits de Werther, dans des conditions rendues par moments difficiles par le fort vent qui soufflait. Le petit podium placé contre le haut mur de l’église est heureusement abrité par celui-ci et le lieu est en tout cas enchanteur, comme l’ensemble des endroits choisis pour accueillir les spectacles en itinérance.
Fidèle à la manifestation, le pianiste Vladik Polionov – nous l’avons vu l’année dernière, ainsi que Rémy Poulakis dans Rigoletto au sein de ce même festival – est un peu le factotum du spectacle : il tient non seulement le clavier, mais règle la mise en scène et a également réalisé la réduction de la partition (déjà elle-même une réduction de l’orchestre pour piano) pour la concentrer exclusivement autour des deux personnages principaux Werther et Charlotte. Pas d’Albert donc, ni de Sophie, Schmidt et Johann, ni de Bailli à l’exception de l’unique phrase « Charlotte ! Charlotte ! Albert est de retour ! » de ce dernier prononcée par le pianiste.
Les premiers accords au piano plantent l’atmosphère, tour à tour sentimentale entre les deux amoureux, et plus dramatique, pour aboutir in fine au suicide du rôle-titre. La scène est d’abord d’un grand dépouillement, avec un banc au centre, puis après l’entracte en fin d’acte II quelques éléments de décors sont amenés, tapis, table (le vent capricieux empêchera l’allumage des deux bougies !), chaise, fauteuil, et le coffret qui contient les pistolets. Werther apparaît comme dans l’imagerie qu’on peut se faire du romantisme allemand « Sturm und Drang », habits noirs sur chemise blanche, une rose à la main. Le ténor Rémy Poulakis joue à fond le personnage, serrant la rose sur son cœur, se prenant la tête à deux mains, se jetant plus tard aux pieds de Charlotte, pour se tirer enfin un coup de pistolet pendant la transition entre les actes III et IV. Passé un petit grelot dans le timbre qui n’exerce pas une séduction immédiate sur l’auditeur, le chanteur tient ensuite son rôle avec une certaine vaillance et un instrument ferme, surtout au premier acte où il est très sollicité. Ses moyens diminuent sensiblement par la suite, en particulier l’aigu sonne de manière moins épanouie, mais on apprécie surtout chez lui une remarquable diction qui permet au spectateur de ne pas perdre une miette du texte.
Sarah Laulan distribuée en Charlotte est dotée d’une évidente puissance vocale, mais sa prononciation est malheureusement moins claire et détachée. Dès que la chanteuse donne du volume, avec un vibrato plutôt développé dans le registre aigu, le contour de nombreux mots perd en netteté. On apprécie dans ces conditions certaines phrases dans le grave et données à mezza voce, comme « Pourquoi les hommes noirs ont emporté maman ? ». L’interprète n’en reste pas moins en situation, dégageant parfois une autorité naturelle (« Albert m’aime et je suis sa femme ») ainsi que de l’émotion en seconde partie où les deux rôles sont plus équilibrés. Sa phrase « Comme on trouve en priant une force nouvelle » est aussi bienvenue lorsqu’elle sort par la porte du bâtiment attenant à l’église.
Après le tube de l’opéra « Pourquoi me réveiller ? » du III, l’acte IV est chanté sans forcer par Rémy Poulakis et correspond bien au Werther qui meurt à la fois dans la souffrance mais aussi sans doute dans le bonheur de l’amour avoué par Charlotte. Au bilan, une agréable et intéressante soirée où le public a pu déguster la substantifique moelle de Werther, servie avec une intelligence décuplée par la modestie des moyens à disposition du Festival Durance Luberon.
F.J. Photos I.F.
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