Une fable tendre et amère sur la fin de l’enfance
Vendredi 19 avril 2024, à la Scala Provence. Avignon
Texte : Tiago Rodrigues. Traduction et mise en scène : Thomas Quillardet. Avec Maloue Fourdrinier, Marc Berman ou Jean Baptiste Anoumou, Christophe Garcia et Blaise Pettebone. Assistante à la mise en scène : Claire Guièze. Scénographie lumineuse : Sylvie Mélis. Scénographie : Lisa Navarro. Construction : Philippe Gaillard. Création costumes : Frédéric Gigout
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Elle, c’est Girafe. Une petite fille déjà très grande, d’où son nom. Elle a choisi pour thème de son exposé la vie des girafes. Seulement voilà : pour se documenter, il lui faut Disney Channel, et son acteur de père au chômage n’a pas les moyens de payer l’abonnement. Alors elle se lance dans un périple aventureux, une fugue où elle va chercher les moyens d’obtenir le sésame, l’accès à la chaîne indispensable pour tout savoir sur la vie des girafes. Ainsi commence la fable écrite par Tiago Rodrigues, directeur du festival d’Avignon, que l’on retrouve ici comme dramaturge. La mise en scène est signée Thomas Quillardet (également traducteur de Tiago Rodrigues). Elle nous fait entendre à merveille la langue du dramaturge, avec son phrasé singulier, et son recours à la dimension sonore. « ça, c’est le bruit de mes pas marchant dans la rue. ça, c’est celui des pas de mon père marchant a côté de moi… », nous dit la petite fille, accompagnant les mots de la sonorité adéquate rythmée par de vraies chaussures.
La fable recourt régulièrement à ce mode narratif singulier, indirect ; elle laisse les sons parler (un acteur-perchman est à la manœuvre tout au long de la pièce), les effets sonores sont sollicités, histoire de nous prévenir : ici, à hauteur d’enfance, il n’y a pas que les mots à entendre, il y a bien d’autres éléments, sonores, concrets. Et nous mettons nos pas dans ceux de Girafe, accompagnée de son lapin en peluche nommé Judy Garland, un animal à taille humaine qui préfère être appelé Spartacus, jure abondamment et devra mourir à la fin. Dans un Lisbonne en crise, elle croise un pédophile, malsain à souhait, qui lui enseigne à se méfier…des pédophiles, un banquier-baudruche qui finit par se dégonfler, un policier désarmé, un premier ministre désabusé. Des personnages tout à la fois caricaturaux, inquiétants, comiques, efficacement joués par un seul et même acteur. Girafe, elle, se joue des menaces, jette un regard naïf sur la dureté d’une société qu’elle interroge, sur les lois économiques dont elle sonde l’absurdité, telle un Candide. Si le sujet est grave, il est traité avec légèreté. On reste sur le mode de la fable, dans un univers scénographié façon BD assez réjouissant.
Mais ne nous y trompons pas : il y a de la profondeur dans ce récit doux-amer, qui est aussi un spectacle sur l’écriture. Le père acteur se réfère à Tchékhov pour expliquer à sa fille, avec des mots simples, que la qualité d’un exposé, comme celle d’une pièce de théâtre, tient à ce que l’on y met de soi. A la fin de ce périple initiatique, la petite fille devenue grande « espère ne pas nous avoir ennuyés avec son exposé ». Qu’elle se rassure, ainsi que l’auteur : l’ennui n’était pas au rendez-vous. Si au début on a un peu tardé à se laisser captiver par le récit, les multiples dimensions du texte, la mise en scène inventive, imagée, servie par des acteurs convaincants, ont su capter l’attention et obtenir l’adhésion du public.
C.I. Photos Pierre Grobois.
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