Une fête vocale, des huées pour la mise en scène
Tristan und Isolde, opéra de Richard Wagner. Festival d’Aix-en-Provence. Grand Théâtre de Provence (02-07-2021)
Direction musicale, Sir Simon Rattle. Mise en scène, Simon Stone. Scénographie, Ralph Myers. Costumes, Mel Page, Ralph Myers, Blanca Añón García. Lumières, James Farncombe. Vidéo, Luke Halls. Chorégraphie, Arco Renz
Stuart Skelton (Tristan) ; Nina Stemme (Isolde) ; Jamie Barton (Brangäne) ; Josef Wagner (Kurwenal) ; Franz-Josef Selig (König Marke) ; Dominic Sedgwick (Melot) ; Linard Vrielink (Ein Hirt / Stimme eines jungen Seemanns) ; Ivan Thirion (Ein Steuermann)
Orchestre : London Symphony Orchestra
Chœur : Estonian Philharmonic Chamber Choir
Cette première représentation de Tristan et Isolde, dans l’histoire du festival d’Aix-en-Provence, était attendue comme le sommet de l’édition 2021, et les oreilles ont été à la fête. Les musiciens du London Symphony Orchestra, placés sous la baguette de leur directeur musical Sir Simon Rattle se sont en effet montrés absolument admirables pour magnifier la sublime partition wagnérienne. Rattle est un habitué des lieux, on se souvient évidemment de sa venue ici quatre saisons d’affilée pour diriger la tétralogie du Ring des Nibelungen, avec les Berliner Philharmoniker. Les exemples de passages plus somptueux les uns que les autres sont innombrables ; l’on peut citer par exemple les unissons des cordes pleins de caractère lorsque Brangäne prépare le philtre pour Isolde au premier acte.
La distribution vocale est aussi ce qui se fait de mieux à l’heure actuelle. Pour preuve, le Metropolitan Opera de New-York montait Tristan et Isolde il y a cinq ans avec Stuart Skelton et Nina Stemme, et l’on retrouve les mêmes sur la scène du Grand Théâtre de Provence. Le ténor australien possède un format vocal taillé pour les grands héros wagnériens, mais il n’empêche que le dernier acte met son instrument à rude épreuve, même si la fatigue vocale évidente peut correspondre au personnage qui souffre et va mourir.
La soprano suédoise est quant à elle dans une forme éblouissante, à la fois puissante et expressive, envoyant quelques aigus vainqueurs comme des flèches. La mezzo Jamie Barton en Brangäne impressionne également, vocalement et visuellement lorsqu’elle apparaît le crâne à moitié rasé et les bras très généreusement tatoués. Le baryton Josef Wagner en Kurwenal chante avec application, mais c’est la basse Franz-Josef Selig en Roi Marke qui en impose encore davantage, avec ses graves abyssaux.
La réalisation visuelle ne recueille pas la même unanimité. Comme nombre de ses confrères ces dernières années, le metteur en scène Simon Stone nous raconte une histoire, au risque de s’écarter significativement du livret écrit par le compositeur. On découvre pendant l’ouverture un très bel appartement où habitent Tristan et Isolde qui accueillent quelques amis pour une soirée de fête. Madame, qui nourrit quelques soupçons envers son mari, consulte le téléphone portable de monsieur quand il est occupé à fricoter en cuisine avec une invitée. La vidéo en fond de plateau passe des bâtiments et lumières de la ville, pendant l’ouverture, aux vagues sur la mer ensuite pour suggérer le navire ramenant Isolde au roi Marke. On peut considérer ce premier acte comme l’étape « dodo » de la production, avec le lit placé à droite du décor.
On enchaîne avec le « boulot » au deuxième acte, dans un open space avec grandes tables et ordinateurs pour les salariés, tandis que Marke, en tant que patron, dispose de son propre bureau. C’est la fin de la journée de travail, le patron et les employés partent, Isolde en profite pour éteindre la lumière – la nuit tombe immédiatement -, puis Tristan débarque et se rapproche tendrement. Malheureusement, d’autres couples d’amoureux, plus ou moins jeunes, à l’image des deux protagonistes, jouent des petites saynètes en même temps, perturbant la concentration du spectateur sur le sublime duo d’amour des deux rôles-titres.
Pour compléter le concept « métro, boulot, dodo » (ou plutôt dodo, boulot, métro si l’on met dans le bon ordre), quoi de mieux que de proposer un wagon de la RATP plus vrai que nature ? Les petits clins d’œil sont sympathiques, comme les publicités pour le tourisme en Irlande ou le solo introductif du cor anglais à l’intérieur de la rame pour gagner quelques pièces de monnaie, … mais malheur aux spectateurs parisiens venus chercher le dépaysement à Aix-en-Provence ! Pour la précision, c’est la ligne n°11 qui est mise à l’honneur, avec les arrêts marqués aux stations depuis Mairie des Lilas jusqu’à Châtelet, en montrant parfois certains paysages de campagne par les fenêtres. On admire la performance technique, les portes qui s’ouvrent et les voyageurs qui entrent et sortent sur le quai comme dans la vraie vie, mais – après Zazie -, fallait-il mettre Isolde dans le métro ? Surtout que l’histoire qu’on nous raconte continue : après son assassinat en fin de deuxième acte, Tristan se porte bien mieux en début du troisième, en tenue de soirée accompagnant sa femme, mais il se fait trucider une nouvelle fois et saigne abondamment avant de se remettre sur pieds pour la fin de l’ouvrage ! Cette fois c’est Isolde qui le quitte en lui rendant sa bague de mariage. Ovations pour les parties vocale et musicale aux saluts, avant les huées nourries pour l’équipe de réalisation.
I.F. Photo Jean-Louis Fernandez
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