« Faggots » à la conquête du Festival d’Aix
The Faggots and their friends between Revolution, musique de Philip Venables et texte de Ted Huffman, Festival d’Aix-en-Provence au Pavillon Noir (09-07-2023)
Direction musicale, Yshani Perinpanayagam. Chorégraphie et costumes, Theo Clinkard. Décors, Rosie Elnile. Lumière, Bertrand Couderc. Son, Simon Hendry
Interprètes : Yshani Perinpanayagam, Kerry Bursey, Jacob Garside, Katherine Goforth, Kit Green, Conor Gricmanis, Deepa Johnny, Mariamielle Lamagat, Eric Lamb, Themba Mvula, Meriel Price, Collin Shay, Joy Smith, Sally Swanson, Yandass
Malheureusement très utilisé dans le monde anglo-saxon au cours des décennies 1970 à 1990, « Faggot » ou « fag » est un terme extrêmement péjoratif pour désigner un homosexuel. Le spectacle présenté au Pavillon Noir, pour trois représentations, choisit de traduire l’injure en français par « pédé » ou « pédale » suivant le texte qui défile en sur-titrage. Créé fin juin au Manchester International Festival, The Faggots and Their Friends Between Revolutions trouve son origine dans l’ouvrage éponyme de Larry Mitchell paru en 1977, duquel Ted Huffman a tiré le livret. Il s’agit d’une parabole dans un monde imaginaire et sans doute un peu futuriste, dans lequel les « faggots » sont opprimés par « the men » (« It’s been a long time since the last revolutions and the faggots and their friends are still not free. »). Nous sommes à Ramrod, société bureaucratique où les hommes produisent et aiment les « papiers », une paperasse qui peut évoquer le film kafkaïen Brazil. Mais le thème est surtout centré sur l’asservissement des homos par « the men », montré ici comme une guerre entre deux peuples, d’un côté les « faggots » qui pratiquent leurs codes et savent se reconnaître et de l’autre des « men » avides de pouvoir. Plusieurs révolutions passeront et ce seront plus généralement les opprimés qui trouveront au final une plus grande liberté, luttant aussi contre le pouvoir patriarcal ou religieux lorsque les « women » font alliance avec les « faggots ». Cela aboutit à une conclusion toutefois un peu douce-amère, les faggots désormais plus libres se remémorant, par un doux rituel, les violences qu’ils ont subies dans le passé.
On ne s’ennuie en tout cas pas un instant au cours de ce spectacle d’un peu moins de deux heures sans entracte, donné par les formidables quinze interprètes, aussi bons acteurs que chanteurs, musiciens et danseurs. Sur le plateau nu – et tout noir ! – du Pavillon Noir, chacun et chacune vient jouer d’un ou plusieurs instruments : à clavier (piano, clavecin), à vent, à cordes (guitare, luth, violons) et percussions également. La musique composée par Philip Venables forme une partition particulièrement riche, malgré la simplicité des orchestrations successives. Les artistes sont rythmiquement très au point, frappant généreusement sur leur seau en plastique dans une impeccable cohésion. De nombreuses mélodies flattent aussi l’oreille, comme la ballade « On a corner of a city is a house » délicatement accompagnée au luth, ou encore quand tous ont un violon en main et assurent la base du soliste qui prend à son compte la partie principale.
Mais la mélancolie est loin de dominer, avec de nombreux moments festifs, parfois déjantés, dans la mise en scène animée et pleine de vie de Ted Huffman : une séance de clapping, une autre où les artistes piquent un sprint en long et en large, un moment davantage rave-party avec musique électro et stroboscopes, ou encore la participation du public demandée par Kit Green, qui réussit à le faire chanter dans la joie, la bonne humeur… et en utilisant un délicieux humour anglais ! La musique aussi est très diverse, entre romance accompagnée par un petit fond de piano, qui enchaîne sur le déchaînement tonitruant de tous les instruments quand « the men » déclarent la guerre aux « faggots », ou bien encore l’orgue d’église qui illustre un prêche homo très provocateur !
L’équilibre est maintenu entre texte parlé, chant, musique, danse et joyeux happening collectif et l’on est décidemment bluffée par ces artistes anglo-saxons qui savent tout faire, avec talent.
IF. Manchester International Festival 2023 © Tristram Kenton
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