Encore une réussite ! Applaudissements largement mérités…
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Jeudi 06 avril 2023, 20h 30, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
10e Festival de Pâques – Aix en Provence
B’ Rock Orchestra. René Jacobs, direction. Birgitte Christensen, soprano. Helena Rasker, contralto
Johann Sebastian Bach, Cantate pour alto solo BWV 170 (version 1746/47). Johann Sebastian Bach, Cantate pour soprano solo BWV 199 (version de 1714). Giovanni Battista Pergolesi, Stabat Mater (instrumentation de Bach)
Encore une réussite à inscrire au palmarès de ce 10ème Festival de Pâques, si l’on en juge par l’applaudimètre. L’enthousiasme qu’exprima le public à la fin du concert marquait sa pleine satisfaction. Ainsi René Jacobs, contreténor, musicologue et chef baroque connu et apprécié, se produisait-il pour la première fois au Festival de Pâques, une première invitation n’ayant pu aboutir, par le passé, à cause de l’épidémie de covid. Mais avant d’aller plus loin, je reviendrai ici, à nouveau, sur l’insuffisance du programme distribué aux auditeurs, toujours limité à une seule présentation globale du concert, sans rien dire des compositeurs, ni des interprètes et sans informations un peu plus détaillées sur les œuvres jouées. Il manque quand même là des renseignements qui seraient fort utiles aux moins avertis ou initiés, qui n’auraient pas eu l’idée, au préalable, d’aller s’informer sur internet.
Nous découvrions donc, sans doute pour beaucoup, ce B’ Rock Orchestra, à l’appellation quelque peu curieuse. Orchestre créé à Gent (Belgique) en 2005, il interprète particulièrement la musique baroque, mais pas seulement, collaborant également avec divers artistes des mondes du théâtre, de la danse et des arts visuels. Il collabore avec René Jacobs depuis 2012 et a notamment enregistré avec lui un cycle des symphonies de Schubert.
Nous avions à découvrir également la soprano norvégienne Birgitte Christensen, qui fait plutôt carrière en Allemagne, mais a pu se produire à Versailles, Rouen et Paris, et, remplaçant Lawrence Zazzo, initialement prévue, la contralto hollandaise Helena Rasker, une habituée du travail avec René Jacobs, que le Festival d’Aix-en-Provence avait déjà accueillie dans la Flûte Enchantée.
Le Stabat Mater de Pergolèse était donc l’œuvre majeure attendue de ce concert, mais Bach en était aussi la figure principale, puisque cette œuvre, réinstrumentée par ce dernier, était précédée de deux de ses cantates, des cantates religieuses, plus intimes et plus courtes, réservées chacune à une seule voix soliste, sans chœur, avec accompagnement instrumental.
La cantate BWV 170 « Vergnügte Ruh, beliebte Seelenlust » (Bienheureuse paix, bien aimée béatitude), pour alto solo, ouvrait le concert. Composée en 1726, pour le 6ème dimanche après la Ste Trinité, elle était donnée dans sa version de 1746/47, dans laquelle Bach remplaça par une partie de flûte traversière, la partie d’orgue de la dernière aria. L’œuvre comporte trois arias séparées de courts récitatifs. Comme pour les suivantes, un surtitrage (en français) permettait au public de suivre le texte. Celui-ci est une déploration sur un monde de péchés qui s’éloigne de Dieu et un appel à Jésus pour l’en sortir. La belle voix chaude d’Helena Rasker et l’orchestre l’ont parfaitement porté, voix et instruments se mariant bien dans la première aria au ton pastoral, et dans la dernière, vive et enjouée, malgré son texte pessimiste. Dans l’aria centrale, la soliste a bien assuré l’ornementation de sa ligne mélodique, une aria par ailleurs quelque peu déstabilisante, du fait de l’absence, volontaire de la part du compositeur, de basse continue, pour marquer la vie déséquilibrée de ceux qui ne suivent pas la parole de Dieu. Il est encore à noter, dans les deux dernières arias, la belle prestation de la flûtiste.
Birgitte Christensen assurait la cantate BWV 199 « Mein Herze schwimmt im Blut » (Mon cœur baigne dans le sang) écrite en 1714 pour le 11ème dimanche après la Ste Trinité et dans une version révisée, dite de Weimar, avec l’introduction d’un alto obligé dans le choral (6ème mouvement). L’œuvre commence par un récitatif, suivi de trois arias et d’un choral, séparés par des récitatifs. Elle évolue, sur la base du texte, du désespoir du pécheur jusqu’à la joie du pardon, en passant par la reconnaissance des fautes. Le hautbois, dans une belle prestation, également, et la soprano, dans son registre grave, assuraient, avec la basse continue (orgue, violoncelle, luth) la première aria, chant de déploration. La seconde, plus animée et expressive, qui reste dans ce même thème de la déploration, était, elle aussi, bien maîtrisée par ses interprètes, ce qui lui valut les applaudissements du public. Le choral, avec le bel accompagnement de l’alto obligé, et l’aria finale, une gigue animée et joyeuse, avec le retour du hautbois, mariait parfaitement voix et instruments.
Pergolèse avait achevé son Stabat Mater en 1736, quelques jours avant sa mort. Devenu rapidement populaire, Bach s’y intéressait et, y plaquant un texte allemand, le réinstrumentait en 1746, notamment en renforçant les cordes, violons et altos. C’est cette réinstrumentation, mais en revenant au texte latin, que René Jacobs nous proposait en cette soirée. Le B’ Rock Orchestra présentait ainsi 8 violons, 3 altos, 2 violoncelles, 1 contrebasse, orgue, harpe, luth, Birgitte Christensen et Helena Rasker assurant les parties solistes. L’œuvre comporte treize épisodes, qui maintiennent l’intérêt et l’attention par l’effet d’une écriture variée, proposant, en alternance, voix solistes ou duos, dans certains desquels les voix interviennent séparément avant de se superposer. Les influences aussi sont variées, le style d’église (duo de la partie 8 et l’Amen final, par exemple) côtoyant le style de l’opéra, dont Pergolèse était fervent, dans l’expression de l’émotion et la dramatisation.
René Jacobs et ses interprètes ont su nous rendre toute la beauté de cette œuvre dédiée aux douleurs de la Vierge, en exprimer les nuances, les tensions dramatiques, l’émotion. Les deux voix, une soprano dramatique dans son registre grave, l’autre dans l’alto, s’accordaient parfaitement. Les instrumentistes, bien en place et précis, ont permis un excellent mariage de l’ensemble et le succès de cette production. De beaux moments ont été atteints dans tous les épisodes de ce Stabat Mater ; j’en retiendrai en particulier l’expression douloureuse du I (Stabat Mater dolorosa), le duo du VIII (Fac, ut ardeat cor meum) et celui du IX (Sancta Mater), ou encore celui du XII (Quando corpus morietur), lent, funèbre, empreint d’une émotion intériorisée, pleine de douceur et de recueillement. Et pour finir, l’Amen conclusif, rapide et joyeux, mais trop court.
Les applaudissements nourris du public, je l’ai dit, étaient bien mérités.
B.D. Photo B.D.
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