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Un monument bien mené, bien construit
Mardi 4 avril, 20h30, Grand Théâtre de Provence, à Aix-en-Provence. Page officielle du concert
Czech Philharmonic. Semyon Bychkov, Directeur musical et chef principal
Gustav Mahler (1860-1911), Symphonie n° 6 en la mineur « Tragique »
Tragique ! Assurément, elle l’est, cette 6ème symphonie de Gustav Mahler. L’œuvre, créée en 1906 à Essen, est prémonitoire. Achevée en 1904, dans une période heureuse (il s’est marié en 1902, sa deuxième fille vient de naître), comment imaginer alors un tel pessimisme, une telle vision de son propre destin, car, comme le dira son épouse Alma : « Aucune œuvre ne lui est sortie du cœur aussi directement que celle-là… La sixième, son œuvre la plus personnelle, est tout aussi prophétique » ? Le qualificatif de tragique fut inscrit sur le programme de la création viennoise de janvier 1907, année du malheur, qui verra, quelques mois plus tard, la mort de sa fille aînée, la détection de sa maladie cardiaque et sa démission de l’Opéra de Vienne. Il semble que Mahler lui-même la désignait ainsi, mais il ne l’adopta jamais à l’écrit.
L’œuvre est construite en quatre mouvements, deux allegros de bonne durée encadrant deux autres mouvements de dimensions moins importantes sur l’ordre desquels Mahler hésita toujours : Scherzo-Andante ou Andante-Scherzo ? Bychkov a préféré la succession Scherzo-Andante, choix qui nous paraît le mieux adapté, l’entame du scherzo poursuivant la dynamique du 1er mouvement et sa fin plus apaisée introduisant l’andante, sorte d’évasion qui contraste ainsi avec l’immense et fatal allegro final. C’est d’ailleurs là la version initiale de Mahler et la plus fréquemment donnée.
Le Philharmonique Tchèque et son chef Semyon Bychkov nous ont proposé une interprétation intense, dense, énergique, de ce combat intérieur et violent du héros, c’est-à-dire Mahler lui-même, comme il se définit à Alma, entrecoupé de phases d’espoir, contre un destin qui sera finalement victorieux, le menant à sa perte.
Le premier mouvement impose une marche forcée, au rythme implacable, qui semble mener vers un abîme ; martèlements de timbales et trompettes imposent aussi l’inexorable, mais ouvrent sur des épisodes d’espoir auxquels le héros veut se raccrocher, comme le fameux thème d’Alma ou ce moment irréel, avec son bruissement champêtre et ses cloches de vaches lointaines, chaque fois interrompus par la reprise de cette marche terrible, grinçante, grimaçante, agrémentée des quelques notes macabres du xylophone. Ce sera pourtant le thème d’Alma qui clora le mouvement, entretenant encore l’espoir. Le chef et ses musiciens ont parfaitement maîtrisé ce mouvement complexe et tourmenté, et mis en évidence ses richesses sonores.
Le scherzo démarre sur une courte marche puissante et rythmée. Il est noté « Pesant », il est vrai, mais avec une orchestration tout de même plus légère, sautillante, dansante. Des passages se veulent rassurants, comme ce trio qui, par deux fois, rappellerait, selon Alma, les jeux désordonnés d’enfants sur le sable. Mais le tout reste parodique, voire sarcastique.
L’andante est un refuge d’espoir, une émouvante évasion champêtre. Il est difficile de ne pas ressentir là ces paysages alpestres, ces pâturages que Mahler avait l’habitude de fréquenter en été. Quelques cloches de vache se font entendre, mais elles ont ici été trop discrètes et même couvertes par le tutti de l’orchestre. On devine un désir de sérénité, mais aussi le désespoir de ne plus pouvoir en jouir.
Avec l’immense final, reprend le combat contre un destin impitoyable qui verra la chute du héros. Après une sombre introduction, reprend le rythme de marche, le martèlement impitoyable des timbales, les climax se succèdent, entrecoupés d’instants plus sereins, comme ces retours à la nature et leur bruissement de cloches, presque irréels dans un temps suspendu. La marque de ce mouvement est aussi ces deux coups de marteau (il y en avait trois initialement) du destin. Je dois dire avoir été ici un peu déçu. Le premier, surtout, constitue l’un des climax essentiels du mouvement et le coup doit être la conclusion libératrice d’une forte tension intérieure montant « des tripes ». Pas assez convaincant, j’en ai connu de plus efficaces. Il faut dire que la scène du Grand Théâtre est limite pour un orchestre de cette ampleur et qu’il manquait sans doute de la place pour installer convenablement le marteau, avec pour effet un geste du percussionniste manquant d’amplitude. Et je ne parlerai pas de la poussière assez curieuse qui s’en dégagea après le choc, mais ce n’est là qu’anecdote.
L’œuvre, fatalement, s’achève dans la douleur, les timbales ne clament pas le triomphe du destin, mais meurent avec la chute du héros.
Hormis les quelques réserves que j’ai pu émettre, c’est un monument bien mené, bien construit, sachant mettre en valeur les émotions et les conflits intérieurs du compositeur, tenant en permanence l’auditeur en haleine, que nous ont offert un Philharmonique Tchèque sans faiblesses et Sermyon Bychkov, qui imposa au public, après la dernière note, un long silence de recueillement, avant de laisser libre cours à ses ovations enthousiastes.
Ma critique portera cependant sur le programme distribué aux auditeurs, trop succinct, limité à une seule présentation globale de l’œuvre, sans un mot ni sur le compositeur, ni sur les interprètes.
B.D. Photos B.D.
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