Vendredi 13 juin 2025, 20h, durée 1h, Opéra Grand Avignon
Direction musicale, Débora Waldman. Soprano, Laurène Paternò. Alto, Julie Robard-Gendre, en remplacement de la mezzo-soprano Eva Zaïcik, souffrante. Ténor, François Rougier. Basse, Philippe-Nicolas Martin
Avec la Compagnie des Petites Mains. Interprètes chansigneuses, Marie Lemot et Isabelle Voiseux. Mise en scène, Igor Casas, Marie Lemot et Isabelle Voiseux
Collaborateur artistique de la Directrice musicale, Sylvain Souret
Orchestre national Avignon-Provence
Chœur de l’Opéra Grand Avignon, direction Alan Woodbridge
Chœur de chambre Ekhô, direction Caroline Semont-Gaulon
Wolfgang Amadeus Mozart, Requiem, accompagné d’une interprétation poétique en chansigne, en partenariat avec la Cie Les Petites Mains
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C’est dans un enthousiasme délirant du public et de longues acclamations que s’achevait, à l’Opéra du Grand Avignon, la saison 2024-2025. La soirée était consacrée au seul Requiem de Mozart. Nous ne reviendrons pas sur l’histoire et les circonstances de sa composition. Tout le monde connaît les mystères et légendes entourant cette œuvre hybride à laquelle trois compositeurs participèrent, si l’on ne compte pas les petites touches d’autres intervenants : Mozart, qui en est l’origine et l’esprit qui la traverse, et ses élèves qui soit complétèrent l’orchestration, soit ajoutèrent les parties manquantes en respectant du mieux possible la manière du maître, Joseph Eybler, pour une part modeste, et Franz Xaver Süssmayr, le plus actif dans l’achèvement de l’œuvre. On notera en particulier que, faute de toute indication de la part de Mozart, le Sanctus et le Benedictus sont entièrement de la main de Süssmayr, tandis que l’Agnus Dei est maintenant reconnu comme étant de celle de Joseph Eybler. Quant à ce qui fut le summum de ce concert, redonné en bis, le Lacrymosa, il ne fut esquissé par Mozart que sur les huit premières mesures, Süssmayr les orchestrant et composant la suite.
On retiendra également de cette soirée l’expérience originale de la transcription de la musique en « chansigne », à l’intention des sourds et malentendants, artistiquement interprétée par la Compagnie Les Petites Mains (Marie Lemot et Isabelle Voiseux), dont les mouvements étaient projetés en fond de scène. Des gilets vibrants, mis à disposition des concernés et des curieux, permettaient de compléter le visuel en ressentant les vibrations de la musique.
Mais revenons au concert. Un chœur doublé, d’une quarantaine de personnes, un orchestre de même importance, malgré l’absence, dans l’orchestration, de flûtes, clarinettes et hautbois, répondaient à un choix que beaucoup font d’emploi de larges effectifs pour traduire la grandeur et la puissance de l’œuvre, sa force d’expression, de la colère divine au recueillement, de l’accablement à l’espoir. Ce choix et la direction passionnée de Débora Waldman, poussant vers des expressions intenses, se heurtaient cependant à l’acoustique de notre scène théâtrale qui ne favorise pas vraiment les tutti des grandes masses orchestrales et/ou chorales, tendant à diluer les lignes, effacer les subtilités, épaissir le résultat. L’effet de puissance peut ravir le public, mais le message émotionnel que veut porter la musique peut y perdre.
Le début du Requiem, de l’Introït au Rex tremendae, a été le plus affecté par ce défaut dans les moments associant en tutti puissants le chœur et l’orchestre, mais les moments plus apaisés et les parties suivantes, moins portées sur les épisodes puissants, ont permis d’apprécier avec plaisir toutes les qualités de l’interprétation, d’un chœur et d’un orchestre en parfaite adéquation, aux sonorités bien dosées, aux lignes nettes et bien articulées, avec la précision voulue. L’orchestre a parfaitement joué son rôle expressif et d’accompagnement. Les chœurs, puisqu’ils étaient deux, une fois oublié le léger flottement de coordination du tout début, ont su mettre en valeur leurs qualités expressives et la richesse de leurs voix, féminines et masculines. Le quatuor vocal, tout à fait coordonné avec les autres acteurs, s’est montré homogène, bien en place, mariant bien les voix, se mettant toutefois plus en évidence la soprano Laurène Paternò, et le ténor François Rougier, dont la diction exemplaire permettait de suivre le texte latin. La basse Philippe-Nicolas Martin et l’alto Julie Robert-Gendre, un brin moins assurée, complétaient efficacement l’ensemble, étant à noter que cette dernière remplaçait au pied levé Eva Zaïcik, initialement prévue, souffrante et forfait la veille du concert.
Si malgré une maîtrise parfaite d’ensemble, les pièces dévolues à l’orchestre et au chœur ont pu mener à des volumes sonores trop élevés pénalisant la clarté du propos et l’émotion dégagée, l’interprétation de l’œuvre a pu en particulier permettre d’apprécier un Tuba Mirum avec un trombone sans faille et un quatuor qui entrait en scène pour la première fois, un Confutatis, décidé, rythmé, bien dosé et maîtrisé par le chœur et l’orchestre, un lacrymosa magnifique, qui sut rendre toute la douleur qu’il porte en lui, un bon Domine Jesu Christe également, avec une belle fugue interprétée par le chœur. L’Hostias offrait aussi une jolie interprétation, mais manquant quelque peu d’émotion et se concluant encore sur un chœur trop puissant. Le Sanctus, intense et triomphant, se caractérisait lui aussi par une fugue sur « Hosanna » parfaitement menée, un Benedictus souriant mettait en valeur le quatuor et une nouvelle fugue du chœur sur « Hosanna », révélant ainsi un Süssmayr amateur de l’art de la fugue. L’Agnus Dei de Joseph Eybler, nuancé, implorant, au final contemplatif était lui aussi bien rendu par le chœur, qui clôturait le concert par un superbe Lux aeterna, baigné de la lumière des soprani, et sa double fugue parfaitement équilibrée et dosée.
Ainsi s’achevait un Requiem qui, au final, restera parmi les réussites de la saison, et, n’ayant pas préparé un deuxième bis, Débora Waldman nous donnait rendez-vous pour la saison prochaine.
B.D.
Notons que la plaquette de la saison 2025-2026 est déjà disponible, en livret papier et en version électronique… et que la saison ne se terminera qu’avec le concert suivant, le 20 juin 2025.
Par ailleurs, le hasard du calendrier propose trois interprétations presque simultanées du Requiem de Mozart, sur un territoire géographique de quelques kilomètres carrés seulement. Diverses configurations en donnent une approche différente : le Chœur Muzaïque et l’ensemble orchestral Artemuz (au total, une centaine d’interprètes, moitié amateurs, moitié professionnels) se produisent dans le Comtat venaissin (Beaumes-de-Venise, L’isle-sur-la-Sorgue, Carpentras), partout dans des églises bondées ; puis l’Orchestre National Avignon-Provence, le Chœur de l’Opéra Grand Avignon et le chœur de chambre Ekhô terminent ainsi en beauté leur saison, le vendredi 13 juin ; ce sera enfin aux Chorégies d’Orange le samedi 28 juin.
G.ad.
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