A l’Opéra de Toulon : Orphée et Eurydice en Liberté !
Orphée et Eurydice, opéra de Christoph Willibald Gluck, à Toulon, Théâtre Le Liberté, vendredi 8 mars 2024
Direction musicale, Jean-Christophe Spinosi. Mise en scène, Pierre Audi. Chorégraphie, Arno Schuitemaker. Décors & lumières, Jean Kalman. Costumes, Haider Ackermann. Réalisation des lumières, Valério Tiberi. Vidéo, Gilbert Nouno
Sahy Ratia, Orphée ; Hélène Carpentier, Eurydice ; Emy Gazeilles, Amour
Orchestre de l’Opéra de Toulon en collaboration avec l’Ensemble Matheus
Chœur, Vox 21
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Pendant les travaux en cours de rénovation du bâtiment historique, l’Opéra de Toulon poursuit sa saison « hors les murs », en investissant cette fois le Théâtre Le Liberté en plein centre-ville. Cette salle aux dimensions modestes convient idéalement au spectacle du soir pour ce qui concerne la proximité du public à la scène, même si l’on sent les danseurs un peu à l’étroit par moments sur le plateau.
Créée à Florence en 2022 pour le festival du Maggio Musicale Fiorentino, la production d’Orphée et Eurydice signée de Pierre Audi, actuel directeur du festival d’Aix-en-Provence, est assez simple et lisible, qui ne s’embarrasse pas non plus d’une machinerie spécialement lourde. Les trois protagonistes de l’intrigue, tout de blanc vêtus et d’abord regroupés au tout début, se séparent rapidement, et c’est Orphée qui se retrouve à pleurer sa chère épouse Eurydice décédée, devant un voile noir qui ferme l’ouverture de scène. Quand le voile tombe, deux imposants cadres noirs sur roulettes sont poussés par les neuf danseurs, eux habillés de noir et constamment présents, pour bouger, courir, mimer, danser. Même si parfois à la limite de la sur-agitation, la performance est à saluer, réglée par la chorégraphie d’Arno Schuitemaker. L’écran du fond diffuse des vidéos abstraites, d’abord sortes d’éclairs ou de grands arcs électriques, pour se transformer, plus tard dans la représentation, en ombres ou parfois traces, en négatif, de la projection des formes humaines sur les deux grands cadres. Des lumières colorées amènent un contraste, en fin de spectacle, avec la réalisation jusqu’à présent en noir et blanc, dans une atmosphère joyeuse de discothèque où tout le monde danse. Mais la conclusion est plus aigre-douce, quand Orphée, en proie à la jalousie, finit tout seul sur scène, montrant un visage désespéré.
La présence du chef Jean-Christophe Spinosi en fosse assure une bonne qualité baroque à l’entreprise, il est à la tête d’un alliage de musiciens provenant de l’Orchestre de l’Opéra de Toulon et de son Ensemble Matheus. Dans une acoustique sèche, mais bien généreuse en décibels et que l’oreille apprécie, on ne sait pas vraiment distinguer entre les instrumentistes des deux formations, mais les nuances sont bien marquées entre élégie et fureur… et un coup de chapeau à la splendide flûte pendant le Ballet des Ombres heureuses ! Le chœur est disposé dans la salle, plus précisément sur les places à mi-hauteur en balcon côté cour, soit au-dessus de la majorité des spectateurs. Le chef obtient une bonne coordination de l’ensemble en tournant sa tête très légèrement de côté pour signifier ses attaques. Cet ensemble Vox 21, de 21 chanteurs comme son nom l’indique, se montre dynamique mais d’une homogénéité pas toujours optimale, particulièrement pour le pupitre de basses qui, assez régulièrement, ne se fond pas assez dans la masse vocale.
De loin le plus sollicité des trois rôles, Orphée est défendu par Sahy Ratia, ténor léger et au style élégant, mais aux sonorités nasales et parfois fragile en stabilité lorsqu’il appuie ses aigus. L’air très virtuose « Amour, viens rendre à mon âme » qui conclut le premier acte, dans cette version française révisée par Hector Berlioz, le met en difficulté pour les vocalises, et l’on préfère plus tard l’élégie et la tristesse du fameux air « J’ai perdu mon Eurydice ». Puis, par ordre d’intervention, on admire le timbre charmant de la jeune Emy Gazeilles (Amour), aigus aériens et diction extrêmement soignée, quitte à rouler franchement ses « R » (dans un autre contexte, voir notre entretien). Un peu plus avancée dans la carrière, Hélène Carpentier en Eurydice est une soprano plus puissante, voix d’ampleur qui peut fréquenter sans problème un répertoire plus lyrique et des salles plus importantes en volume, comme ce fut le cas en ouverture de saison avec L’Africaine à l’Opéra de Marseille.
Au bilan, un très beau spectacle dans toutes ses composantes d’un réel chef-d’œuvre du répertoire, qui peut s’exporter dans tout théâtre, même de taille modeste.
I.F. © Frédéric Stéphan
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