Enchantement… : oui, concert bien nommé
Vendredi 24 mai 2024, 20h, Opéra Grand Avignon
Orchestre National Avignon-Provence
Débora Waldman, direction
Geneviève Laurenceau, violon
Wolfgang Amadeus Mozart, ouverture de la Flûte Enchantée. Guirne Creith, concerto pour violon. Robert Schumann, symphonie n° 4
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Pour leur dernier concert de la saison, l’ONAP et Débora Waldman nous ont à nouveau offert un excellent moment de musique. Un programme constitué d’une ouverture bien connue de Mozart, du concerto d’une compositrice inconnue et d’une symphonie de Schumann ne me paraissait pas, a priori, apte à remplir la salle. Et pourtant ! C’est devant une salle bien garnie que nos musiciens se produisirent, preuve que le travail effectué par Débora Waldman depuis son arrivée à Avignon porte ses fruits.
Le concert débutait donc par l’ouverture de la Flûte Enchantée qui, après son introduction solennelle sur les trois accords orchestraux évoquant peut-être les réunions de francs-maçons, voyait son développement fugué se poursuivre « tambour battant », si j’ose dire, sous la direction enlevée et dynamique de la cheffe. Belle entrée en matière !
Fidèle à ses objectifs de découverte ou redécouverte d’œuvres sans doute injustement oubliées et en particulier du patrimoine musical laissé par de nombreuses compositrices, Débora Waldman nous proposait, cette fois, le concerto pour violon de la compositrice et pianiste anglaise Gladys Mary Cohen (1907–1996), nom qu’elle abandonna, dans le monde musical, pour le pseudonyme Guirne Creith, choisi en 1923, lors de son entrée à l’Académie Royale de Musique. Elle y apprit la composition, la direction et le piano.
Inconnue en France, son concerto, créé en 1936, l’était tout autant puisque la violoniste Geneviève Laurenceau – que nous avions déjà entendue en récital à Apt en 2022 – et nos musiciens nous en offraient, ce 24 mai, la création française.
Concertiste, chambriste, enseignante, titulaire de plusieurs prix internationaux, Geneviève Laurenceau fut également premier violon super-soliste de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse et est actuellement enseignante à l’IESM d’Aix-en-Provence. C’est elle qui, après avoir découvert l’œuvre enregistrée sur CD en 2008, par Lorraine McAslan, Martin Yates et l’Orchestre Royal d’Ecosse, la proposa à Débora Waldman qui, bien sûr, l’accepta volontiers.
Guirne Creith fut, en son temps, plus connue comme concertiste, jusqu’en 1952, où, à la suite d’un accident, elle perdit l’usage de sa main droite. Il n’est, cela dit, pas blâmable de ne pas connaître la compositrice, sa production ayant été assez restreinte et ne subsistant pratiquement que ce seul concerto, plusieurs autres compositions ayant été perdues. S’intéressant au chant, elle l’enseigna avec le piano, et, ayant vécu quelques années en France, elle devint experte en… cuisine et vins français, publiant deux livres sur le sujet (1969 et 1972).
Guirne Creith n’est donc pas, dans l’histoire, une compositrice de premier plan, mais elle est, comme peuvent l’être d’autres compositeurs et compositrices, l’autrice d’UNE œuvre, qui est, elle, de premier plan, son concerto méritant largement, d’après l’interprétation qui nous en a été donnée, de figurer au répertoire de tout violoniste.
L’œuvre, en sol mineur, d’une durée de 25 mn, est présentée comme étant écrite en un seul mouvement. Elle comporte en réalité trois parties distinctes enchaînées, quoique Débora Waldman ait observé un court silence entre la deuxième et la troisième partie, évitant par-là de passer trop brutalement d’un final tout intériorisé à une attaque enlevée et joyeuse. L’inspiration se rapproche du dernier romantisme russe, Glazounov, Arenski. Des influences de Délius et Sibelius peuvent aussi être évoquées.
Les indications de la première partie marquent la richesse et la variété du développement : maestoso, quasi recitativo, allegro non troppo, tranquillo, adagio. L’attaque débute aux cordes, suivies des bois et des cors, avant de laisser la place au violon seul puis au retour de l’orchestre. Le développement voit un orchestre, parfois léger, accompagner le violon, l’un et l’autre se répondre ou dialoguer, le violon à nu ou l’orchestre, plus dense, libérer son flot d’énergie. Il se termine adagio pour enchaîner avec l’adagio de la deuxième partie, désigné « con intimo sentimento », pur moment de poésie et d’émotion, apaisé, où le violon, tendant plus vers l’aigu, accompagné de l’orchestre, chante sa rêverie. Le discours s’enfle, passionné, puis se calme, méditatif, pour finir en mourant.
La troisième partie, allegro vivace, est enlevée, joyeuse, optimiste, comme un retour à la vie. Le mouvement s’achève sur un joli moment retenu et méditatif, avant une reprise rapide menant au final.
L’ovation du public salua cette belle interprétation d’une découverte tout à fait convaincante. Débora Waldman et l’orchestre s’y sont donnés avec application et implication, sans faille, accompagnant une Geneviève Laurenceau au jeu passionné, expressif, nuancé, entièrement investie dans l’œuvre qu’elle interprétait. Elle a offert au public un bis virtuose, dont je n’ai pu, malheureusement, saisir l’intitulé. Là encore, la voix des artistes n’étant pas toujours aisément compréhensible, et sachant que d’autres ne disent pas un mot, il est à regretter que les bis donnés ne soient pas mieux annoncés aux auditeurs. Les panneaux lumineux situés au-dessus et sur les côtés de la scène pourraient à cette fin être d’un bon secours pendant l’entracte.
La quatrième symphonie de Schumann, en réalité la deuxième écrite (1841), mais numérotée 4 après sa révision de 1851, clôturait le concert. Elle comporte, de façon classique, quatre mouvements, mais doit être jouée d’un seul tenant, comme le voulait le compositeur, prescription que Débora Waldman a, bien entendu, respectée, enchaînant le tout sans aucun répit. Sa direction précise, dynamique, expressive, à la gestuelle parfois saccadée, aux tempi plutôt rapides, aux rythmes parfois marqués, nous en a proposé une version vigoureuse et prenante. Ce choix en atténue, certes, le lyrisme, la prive quelque peu de sensualité ou d’émotivité, mais la tension qui en résultait, la force dégagée ne furent pas pour me déplaire.
L’orchestre, à tous les pupitres, entièrement engagé, a parfaitement répondu aux sollicitations de la cheffe, les interventions du violon solo dans le 2ème mouvement étaient justes et bien senties, l’entrée solennelle et grave du dernier mouvement bien menée, mouvement dégageant, en un final brillant, une force vitale triomphante.
Le public ne pouvait qu’être enthousiasmé par une telle interprétation et ses ovations remerciaient les musiciens autant pour leur prestation du jour que pour l’ensemble d’une saison réussie.
B.D. Photo Stéphane Remael
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