Il était temps de découvrir Ramon Vargas à Avignon !
Samedi 19 octobre 2024, 20h, Opéra Grand Avignon
Ramón Vargas, ténor
Orchestre National Avignon-Provence (site officiel, https://www.orchestre-avignon.com/ )
Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Alan Woodbridge, chef de chœur
Giulio Prandi, direction
Extraits d’opéras de Verdi, Donizetti, Mascagni, Cilea, Puccini
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La salle de l’Opéra du Grand Avignon n’avait pas fait le plein, ce 19 octobre, pour accueillir le ténor mexicain Ramón Vargas, Giulio Prandi et nos musiciens et chanteurs avignonnais dans ce concert présenté dans le cadre de la 8ème Semaine Italienne d’Avignon en coréalisation avec le Consulat Général d’Italie à Marseille et Petit Palais Diffusion. Cela est bien à regretter, pour une ville dont le public est réputé traditionnellement porté vers le chant lyrique. Peut-être le début des vacances scolaires y est-il pour quelque chose, peut-être aussi la renommée de Ramón Vargas n’est-elle pas arrivée jusqu’à Avignon, même si les Chorégies d’Orange l’avaient accueilli en juillet 2019 dans le cadre des concerts de la Cour Saint-Louis.
Ramón Vargas, pourtant, que nous recevions pour la première fois, est un grand ténor lyrique. Sa carrière prit véritablement son envol en 1992 lorsqu’il fut appelé au Metropolitan de New-York pour remplacer Luciano Pavarotti dans le rôle d’Edgardo de Lucia de Lammermoor. Mais il est vrai que sa notoriété n’a pas atteint chez nous celle d’autres grands ténors, tels Roberto Alagna, Rolando Villazon, ou Jonas Kaufmann. Un marketing, une publicité moindres en sont probablement la cause, tout comme ses rares venues en France, dans une carrière principalement menée à l’étranger, dans les salles les plus prestigieuses.
Il était temps, en tout cas, de faire sa connaissance et de découvrir sur notre scène un Ramón Vargas de 64 ans, étonnant de longévité et de santé vocale. Sa voix est encore souple, ferme, l’émission haute et claire, élégante, la technique impeccable, le souffle puissant, mais sachant jouer avec subtilité et sensibilité. L’âge est là malgré tout, l’aigu, encore maîtrisé, demande cependant un peu plus d’effort et on lui pardonnera volontiers quelques petites faiblesses, tant il sut nous emporter par sa vaillance, ou ses accents plus sombres, l’intensité de son chant et son évident plaisir communicatif d’être sur scène. Il ne le cachait d’ailleurs pas, tant il paraissait ravi d’être là. Sans doute doit-il ces qualités à un parcours prudent, parfaitement géré, n’ayant abordé que progressivement les rôles plus exigeants, sans jamais dépasser ses limites.
Vargas débuta son récital par deux romances pour ténor de Verdi, sorte d’essais de jeunesse, orchestrées par Luciano Berio, « in solitaria stanza » et « l’Esule », façon de se chauffer la voix et de révéler une belle orchestration bien verdienne, en particulier pour « L’Esule », offrant une introduction aérienne, quasi féérique, et un ténor douloureux, héroïque, s’orientant vers un final décidé et vainqueur, qui souleva les acclamations du public.
Il se mit encore en évidence avec « l’Angelo casto e bel » d’Il Duca d’Alba de Donizetti, démonstration de musicalité et de sens du phrasé, dont le point d’orgue final, longuement tenu, souleva encore le public.
Courte fatigue vocale, peut-être, la célèbre « Una furtiva lagrima » de l’Elisir d’amore, chantée avec intensité, manqua cependant de nuances et de délicatesse, laissant apparaître également une petite faiblesse sur le piano final.
En deuxième partie, autre point fort, Vargas fit encore valoir ses qualités dans l’air d’Oronte « O madre mia… La mia letizia infondere … Come poteva un angelo » d’I Lombardi alla prima crociata, maîtrisant à nouveau ses points d’orgue finaux. A noter ici, sur quelques mesures, les bonnes répliques d’une alto du chœur, Clelia Moreau, dans le rôle de Sofia.
Moment fort encore, avec l’expression douloureuse du Lamento de Federico, de l’Arlesiana de Cilea, et beau final avec deux airs de Cavaradossi, tirés de Tosca, « recondita armonia » et le fameux « E lucevan le stelle ».
Le chœur de l’Opéra, sous la direction d’Alan Woodbridge, de son côté, a fait également valoir ses qualités. Son « Patria oppressa », extrait de Macbeth, expressif et dramatique, aux accents patriotiques et révoltés, a été joliment réussi. Son chœur d’hommes « Percorrete le spiagge vicine », de Lucia de Lammermoor, réfugié dans les loges du premier, également, avec l’intervention soliste de l’un de ses membres, le ténor Cyril Héritier. On ne pouvait ensuite échapper à l’incontournable « Va pensiero » avec un chœur traduisant de belle manière les sentiments empreints de nostalgie et de souffrance des esclaves hébreux et finissant sur un joli pianissimo. Moins satisfaisant cependant fut le chœur à bouche fermée de Madama Butterfly, manquant un peu d’homogénéité et de voix plus soutenues. Sa position en fond de scène, pour cette pièce, ne l’avantagea sans doute pas.
L’orchestre a, lui, parfaitement tenu son rôle d’accompagnant, et s’est aussi montré à son avantage, à tous les pupitres, dans les pièces qui lui étaient réservées. On aura apprécié l’ouverture de Nabucco, avec ses cuivres en évidence, notamment les quatre trombones, exprimée avec clarté, bien dosée et maîtrisée, alternant énergie et retenue, qui fut très acclamée du public. Le prélude d’Attila et l’interlude de Cavalleria rusticana ont révélé les mêmes qualités, les cordes leur sensibilité et leur belle sonorité, la harpe et les bois se mettant aussi, dans ce dernier, en évidence.
Toute cette réussite enfin n’aurait pu être obtenue sans l’efficace direction du chef italien Giulio Prandi – qui dirigera le lendemain le concert baroque La Giudetta de Scarlatti et qu’on avait déjà vu dans la Cité des papes à la tête de l’Onap en 2023 -. Dirigeant sans baguette, de toute évidence familier de ce répertoire dans tous ses détails, il a su conduire, attentif, ses interprètes avec précision et clarté, maîtrisant les tempi, les dosages, les équilibres, les nuances, les expressions, et sachant transmettre ses volontés à un orchestre aux pupitres aptes, à tous niveaux, à lui répondre sans failles.
Cet excellent concert ne pouvait que s’achever dans l’enthousiasme général et les bis. D’abord le court air passionné « Amor ti vieta » du comte Loris Ipanov de la Fedora de Giordano, confirmant les qualités du ténor, et pour finir en beauté, le classique « brindisi » de La Traviata, rythmé par les claquements de mains du public, et dans lequel une soprano du chœur, Agnès Ménard, donna avec une aisance remarquable, la réplique à Ramón Vargas.
Une soirée, donc, à ne pas oublier. Prochain concert de l’Onap : Le Chant de la Terre, de Mahler.
B.D.
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