Enchantement ravélien
Mardi 12 août 2025, 20h et 22h, Château de Florans, Auditorium du Parc, La Roque d’Anthéron. Site officiel
Tanguy de Williencourt, piano
Nathanaël Gouin, piano
Jean-Frédéric Neuburger, piano
Œuvres pour piano de M. Ravel :
1ère partie : Sérénade grotesque, Menuet antique, Pavane pour une infante défunte, Jeux d’eau, Menuet en ut dièse mineur, Sonatine, Miroirs, Gaspard de la nuit.
2ème partie : Menuet sur le nom de Haydn, Valses nobles et sentimentales, Prélude en la mineur, A la manière de Borodine, A la manière de Chabrier, Le tombeau de Couperin, La valse.
Le cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Maurice Ravel ne pouvait bien évidemment pas échapper aux organisateurs du Festival de La Roque d’Anthéron. Après les Tableaux d’une Exposition, les deux concertos pour piano et le Boléro donnés en juillet, ainsi que, déjà, un Gaspard de la nuit proposé par le jeune pianiste Saehyun Kim, venait, en cette nuit, le tour des œuvres pour piano seul, ou, du moins, d’une partie de ces œuvres, n’étant pas notamment au programme Les Contes de ma mère l’Oye ou les réductions pour piano, par l’auteur lui-même, de certaines de ses œuvres orchestrales.
Trois pianistes français se partageaient les interprétations, en suivant la chronologie de la composition des pièces, dans l’ordre d’apparition, Jean-Frédéric Neuburger, Nathanaël Gouin et Tanguy de Williencourt. Tous trois ont su faire honneur à ces joyaux ravéliens – on peut parler de joyaux, tant l’écriture en est raffinée – laissant au final un public enchanté, malgré quelques faiblesses ou imprécisions ayant pu être notées par-ci, par-là.
Neuburger (photo 1), avec sa maîtrise technique, sa sensibilité, sa lecture des œuvres, s’est montré pratiquement irréprochable. Il offrait, pour débuter, une Sérénade grotesque (œuvre de jeunesse de 1893, seulement publiée en 1975), parfaitement maîtrisée, au rythme marqué, accords appuyés, mais pourvue d’une partie centrale plus lyrique.
Le menuet antique (1895), que Ravel orchestrera par la suite, léger, alternant parties rapides et décidées et parties plus rêveuses et poétiques, était rendu avec grâce et délicatesse.
Viendront encore sous ses doigts, en deuxième partie, le court et élégant Menuet sur le nom de Haydn (1909), des Valses nobles et sentimentales (1911), également orchestrées par la suite, pleinement réussies, très appréciées du public, et Le tombeau de Couperin (1917), dont quatre pièces encore seront plus tard orchestrées, joué avec noblesse, offrant en particulier un rigaudon vigoureux, un menuet délicat, une toccata virtuose, martiale, avançant vers un final plein de fureur.
Gouin (photo 2), de son côté, débutait par la Pavane pour une infante défunte (1899), œuvre qui, elle aussi, sera plus tard orchestrée, interprétation délicate, en demi-teinte, exprimant une certaine mélancolie. Les Jeux d’eau (1901) étaient aussi bien rendus : jeu clair et fluide, notes étincelantes, passages virtuoses et nerveux évoquant des eaux tour à tour vaporeuses, calmes, tumultueuses. Mais l’aisance fut moindre dans Gaspard de la nuit (1908), œuvre difficile, cheval de bataille auquel de nombreux pianistes se veulent confronter, qui demande virtuosité et technicité de haut niveau. Jeu plus crispé, moins de maîtrise des effets sonores, en particulier dans l’Ondine, mais l’évocation de l’élément liquide était tout de même là, et l’on fut, malgré tout, pris par la noirceur du sujet, le sinistre Gibet, avec sa pédale lancinante de si bémol, et l’inquiétant Scarbo, le tout, finalement, malgré ses défauts, très apprécié du public.
Gouin proposera encore en deuxième partie le court Prélude en la mineur (1913) et les deux pastiches de 1913, A la manière de Borodine et A la manière de Chabrier, dans lequel on peut aisément reconnaître une paraphrase sur l’air de Siebel (acte III, scène 1) du Faust de Gounod.
Quant à Williencourt (photo 3), il enchaînait directement sur la Sonatine (1905) après un bien calme et court Menuet en ut dièse mineur (1904). Interprétation bien menée, nuances et dynamiques bien gérées, bons tempi, troisième mouvement virtuose. Suivaient immédiatement les Miroirs (1906), connus pour leurs deux pièces ultérieurement orchestrées, Une barque sur l’océan et l’Alborada del gracioso. Les noctuelles (papillons de nuit) étaient expressives, les oiseaux tristes épanchaient leur tristesse, la barque sur l’océan rendait bien l’atmosphère, affichant l’expressivité et la virtuosité voulues, mais laissant échapper quelques imprécisions, l’Alborada del gracioso était brillamment exécuté et la vallée des cloches était prenante par sa retenue et son ton rêveur.
Venait enfin le final attendu, la version première de la Valse (1920), pour deux pianos, à laquelle s’attelaient Gouin et Williencourt. Virtuoses et complices, parfaitement coordonnés, les deux pianistes surent nous entraîner dans ce tourbillon étourdissant, « fantastique et fatal » (dixit Ravel). Le public bien sûr leur délivrait une formidable ovation récompensée par un bis surprenant et humoristique à la fois, toujours de Ravel, un Frontispice pour 2 pianos à 5 mains, une découverte, sans doute, pour beaucoup, immédiatement suivi d’un arrangement pour 2 pianos et 6 mains de Laideronnette, impératrice des pagodes, tiré des Contes de ma mère l’Oye.
Bel hommage à Ravel, en tout cas, que cette nuit qui lui était entièrement dédiée.
B.D. Photos
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