Vendredi 14 avril 2023, 20h 30, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
Festival de Pâques, 10e édition – Aix en Provence
Martha Argerich, piano. Lahav Shani, piano
Serguei Prokofiev, Symphonie n° 1, « Classique », transcription pour 2 pianos. Serguei Rachmaninov, Suite pour 2 pianos n° 2. Maurice Ravel, Ma mère l’Oye, pour piano à 4 mains. Maurice Ravel, La Valse, pour 2 pianos
Une très belle soirée, partagée entre la quasi mythique Martha Argerich, et un jeune pianiste israëlien, Lahav Shany, liés par une vraie complicité artisti
Standing ovation ! Cela peut-il étonnée ? Non, certes, la renommée et le talent d’une artiste exceptionnelle qui aura marqué le monde musical ne pouvaient amener qu’à cette chaleureuse conclusion. S’agissant de Martha Argerich, je ne puis m’empêcher, chaque fois, de penser à la première fois où je l’entendis. C’était à Toulouse, en 1973, 50 ans déjà, et déjà au premier plan international, sous la direction de Michel Plasson, dans le 1er concerto de Tchaïkovski. Elle n’est pas non plus une inconnue dans nos pages, Classiqueenprovence l’ayant déjà applaudie aux Chorégies d’Orange, où elle avait offert un final d’anthologie, partageant le piano avec Chung Myung-whun qui avait dirigé la soirée ; nous l’avions entendue également dans le Festival de Pâques en 2021, où elle partageait la scène avec Daniel Barenboim (voir notre compte rendu), comme elle vient de le faire d’ailleurs, avec un Daniel Barenboim heureusement rétabli, à la Philharmonie de Paris en ouverture de la Biennale Pierre Boulez, le 12 avril, 2 jours à peine avant le récital aixois.
Mais, en ce 14 avril au soir au 10e Festival de Pâques, elle n’était pas seule à nous régaler. On sait que Martha Argerich n’aime pas la solitude sur scène et qu’elle aime à la partager avec des amis et de jeunes artistes prometteurs. Elle avait donc choisi le jeune pianiste et chef d’orchestre israëlien Lahav Shani pour l’accompagner dans ce concert pour 2 pianos ou à 4 mains, et l’on doit dire que lui aussi ne nous a pas déçus, sachant se hisser à la hauteur de sa partenaire.
Le concert débutait par la symphonie « classique » de Prokofiev, dans une transcription pour deux pianos réalisée par le compositeur japonais Rikuya Terashima (né en 1964). Les deux pianistes ont parfaitement défendu cette œuvre, sachant rendre tout l’humour, la pétillance, la délicatesse, la préciosité même que le transcripteur a su conserver. Certains passages de cette transcription quelque peu dénués de densité ont pu parfois nous faire regretter l’orchestre, mais l’œuvre présente aussi de très belles réussites pianistiques avec des touchers délicats, des murmures, et nous avons particulièrement apprécié l’écriture du 4ème mouvement, molto vivace, avec ses sonorités se répondant et s’entremêlant en parfaite harmonie.
Ecrite en 1901, la 2ème suite pour deux pianos de Rachmaninov est contemporaine de son célèbre 2ème concerto pour le même instrument. Elle en exige la même virtuosité. Premier mouvement enjoué, décidé, sur un discret rythme de marche, 2ème mouvement presto, parfois ralenti, hésitant, plus délicat, puis reprenant son tournoiement pour s’achever avec légèreté. La romance est un bel andantino rêveur, pensif, apaisé, se terminant avec délicatesse. Et quelle tarantelle finale, rondement menée ! On y reconnaît aisément le style de Rachmaninov et sa parenté avec ses concertos. Magnifique interprétation, en tout cas, des deux pianistes, en parfaite harmonie et maîtrisant pleinement nuances et dynamique.
On peut l’avoir oublié, mais Ravel écrivit initialement Les Contes de Ma mère l’Oye pour piano à 4 mains (1910) pour des enfants de ses amis. Il ne l’orchestra que l’année suivante. L’œuvre est ainsi abordable pour de jeunes pianistes, mais le tout, et l’important, est de savoir en rendre toute l’âme, l’atmosphère, ce qu’ont réussi avec grâce Martha Argerich et Lahav Shani, nous transportant dans ce monde enchanté et enchanteur de l’enfance, dans la forêt mystérieuse du Petit Poucet, sur les traces de Laideronnette, dans les entretiens veloutés et inquiétants de la Belle et de la Bête, au milieu des notes distillées du jardin féérique. Une ovation du public salua ici la maîtrise affichée par les deux interprètes.
Enfin, vint la fameuse Valse, de ce même Ravel ; autre atmosphère, plus dramatique. Ecrite en 1920, il en donna une version pour piano seul, une version pour deux pianos et une autre, orchestrale. L’idée initiale, avant-guerre, était d’écrire une apothéose de la valse viennoise en hommage à Johann Strauss, destinée à être dansée. Les conséquences de la guerre la transformèrent, dans l’esprit du compositeur, en une apothéose de la décadence de la civilisation occidentale emportée dans un tourbillon fatal. Diaghilev la refusa. Le démarrage en est sombre, d’où s’extrait le thème de la valse en un tourbillon inquiétant, parfois violent ou cherchant à s’échapper vers plus de légèreté ; une ivresse sonore vous emporte, des glissandos rajoutant à la dramatisation, vers une fin fatale.
Réussite magnifique de deux pianistes virtuoses, en accord total, affichant une réelle complicité, maîtres de leur jeu et des œuvres interprétées, avec engagement, sensibilité et dynamisme, ce concert fut un grand moment !
Les ovations amenaient bien sûr aux bis. Une pièce de Bach, pour piano à 4 mains, d’abord, pour revenir au calme et à la sérénité.
Suivaient, pour se maintenir dans la douceur, le « tube », la danse de la fée Dragée, du Casse-Noisette de Tchaïkovski, et, pour terminer cette bien belle soirée, la reprise d’un mouvement de la 2ème suite de Rachmaninov.
B.D. Photo Festival de Pâques
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