Dimanche 11 février 2024 (report du dimanche 12 mars 2023), 17h, durée 1h15. Avignon, Théâtre du Chien qui Fume (problèmes de chauffage au Conservatoire Grand Avignon, initialement prévu)
Lucile Richardot, mezzo-soprano. Jean-Luc Ho, clavecin
Programme : Magiciennes baroques
MEDEE. Haendel, Ouverture d’Ariodante *, « Dolce riposo » Teseo (Acte II, scène 1 – 1713, HWV 9). Cavalli, « Dell’antro magico », Il Giasone (Acte I, scène14 -1649). Cabanilles, Tiento por A la mi ré *. Charpentier, « Quel prix de mon amour », Médée (Acte III, scène 3 – 1693)
ARMIDE. D’Anglebert, Prélude en sol *. Lully, Monologue d’Armide (Acte II, scène 5 – 1686) ; Passacaille d’Armide * (Acte V, scène 2)
CIRCE. Webb, Powerful Morpheus, let thy charms. Purcell, Music for a while. Couperin, La Dangereuse *. De Blamont, Circé (1ère version, Cantates françaises à voix seule avec symphonie et sans symphonie, Livre premier – 1723)
* Pièces pour clavecin solo
En co-réalisation avec l’Opéra Grand Avignon
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Le concert était initialement prévu le 12 mars 2023, et le même programme a été donné notamment le 23 mars 2023 à Marseille dans le cadre du Festival Mars en Baroque.
Le théâtre du Chien qui fume a fait le plein. Nouveau partenaire de Musique Baroque en Avignon en raison d’un défaut de chauffage durable au Conservatoire initialement prévu, c’est l’une des 5 scènes « historiques » de la Cité des papes, avec le Balcon, les Carmes, le Chêne noir et les Halles, auxquelles se sont ajoutés Golovine et Transversal sous l’appellation officielle des Scènes d’Avignon. On y apprécie l’accueil toujours bienveillant de Danièle et Gérard Vantaggioli, l’agrément du lieu, et l’acoustique propice aux concerts, où se produisent déjà divers spectacles musicaux voire récitals intimistes, comme ceux du compositeur Éric Breton ou de la soprano Lydia Mayo.
La configuration se prête à des utilisations diverses, ce que n’a pas manqué de faire la mezzo-soprano Lucile Richardot, en grande forme et rajeunie par un carré seyant. Un vrai talent scénique, une théâtralisation démonstrativement « baroque », jusqu’à l’utilisation de la mezzanine, ont fait du récital de ce dimanche un véritable spectacle.
Après une pièce introductive interprétée au clavecin solo par Jean-Luc Ho, jeune étoile montante qu’on aura plaisir à suivre, Lucie Richardot a très longuement expliqué tous les détails d’un programme très intelligemment construit avec son partenaire. Un fil narratif soutenu, qu’elle a présenté avec un pittoresque parfois désopilant, flirtant avec une gouaille coquine voire égrillarde, a su piquer la curiosité des adultes et retenir l’attention de bambins très jeunes.
Le très talentueux claveciniste, lui, a créé tout au long du concert avec une grande finesse un continuum d’atmosphères subtiles, dans un dialogue créatif avec les lumières de Franck Michallet. Si les compositeurs successifs ont fait traverser des couleurs différentes, le musicien en a tissé les nuances avec une exquise délicatesse sur les deux claviers.
Lucile Richardot pour sa part déploie de vraies dispositions lyriques, à la fois vocales et scéniques. Ses entrées/sorties sont étudiées, son chant qui s’élève dans l’obscurité en fond de scène, ou qui éclate devant le clavecin au plus près de la salle, son regard ravageur qui se plante dans celui des spectateurs, ses bras qui se tendent comme vers un interlocuteur unique, un pas de danse esquissé, un visage diablement expressif…, nous voilà vraiment au théâtre.
Les deux artistes portent les accents de trois magiciennes de la mythologie et de l’imaginaire collectif, Médée – amoureuse de Jason et matricide -, Armide – musulmane amoureuse de son ennemi le croisé Renaud -, et Circé – qui retint Ulysse revenant de la guerre de Troie – ; les douleurs et fureurs de ces femmes ont été mises en musique sur près d’un siècle par divers compositeurs, français, anglais, italiens, espagnols, allemands : « des femmes de caractère, nous avait précisé Jean-Luc Ho en entretien préalable, des moments véhéments d’expression puissante exprimés à la première personne », avec « des émotions vivantes, l’amour, la peur, la tendresse, tout ce qui est coloré », auxquelles Lucile Richardot donne vie et corps de façon magistrale.
Dans un registre vocal assez resserré, la mezzo installe en quelques notes tout un univers. Douleur déchirante, fureur redoutable, désespoir insondable, se modulent à travers la violence frémissante de l’italien, l’élégante délicatesse du français et le sombre mystère de l’anglais, les trois langues convergeant dans une parfaite intelligibilité. La voix s’arrondit en aigus chaleureux et souples, le vibrato se fait émouvant, le velours ample de la ligne mélodique s’amincit jusqu’à la transparence d’un fil ténu, comme un souffle suspendu.
Le miracle, avec une telle personnalité, est ce parcours sans faute aux côtés d’un clavecin toujours présent, et qui ne le cède en rien dans la vocalité expressive. L’exubérance explosive de Lucile Richardot et la sensibilité réservée de Jean-Luc Ho tracent une ligne musicale où jamais l’un ne domine ou n’occulte l’autre, dans une complémentarité remarquable, et en alternance entre pièces instrumentales et pages clavecin-voix. Deux bis répondront volontiers à l’enthousiasme du public.
Le concert suivant sera donné par Marie-Domitille Murez à la harpe triple, dans l’écrin feutré de la Collection Lambert.
G.ad. Photos G.ad.
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