Une Lucia comme éthérée…
Opéra Grand Avignon. Opéra en trois actes. Musique de Gaetano Donizetti (Editions musicales Ricordi). Livret de Salvatore Cammarano, d’après le roman de Sir Walter Scott, The Bride of Lammermoor. Création au Teatro San Carlo de Naples, le 26 septembre 1835. Co-production des Opéras de Marseille et de Lausanne
Direction musicale : Roberto RIZZI-BRIGNOLI. Direction des chœurs : Aurore MARCHAND. Etudes musicales : Marie-Claude PAPION. Mise en scène : Frédéric BELIER-GARCIA. Assistante à la mise en scène : Caroline GONCE. Décors : Jacques GABEL. Costumes : Katia DUFLOT. Lumières : Roberto VENTURI
Lucia : Zuzana MARKOVA. Alisa : Marie KARALL. Edgardo : Jean-François BORRAS. Enrico : Florian SEMPEY. Raimondo: Ugo GUAGLIARDO. Arturo : Julien DRAN. Normanno : Alain GABRIEL
Orchestre Régional Avignon-Provence. Chœur & Chœur supplémentaire de l’Opéra Grand Avignon
Nous y serons…
(« Nous y étions » : voir ci-dessous)
« Lucia, c’est la Fureur de vivre des années 1835 », lance Frédéric Bélier-Garcia, qui connaît bien l’œuvre, pour l’avoir déjà mise en scène, à Avignon, en 2009 – l’année aussi de sa Traviata triomphale aux Chorégies -. La jeunesse de la distribution avignonnaise le réjouit : Zuzana Markova (Lucia), en remplacement de Julie Fuchs initialement prévue, et Jean-François Borras (Edgardo), comme Florian Sempey (Enrico, frère de Lucia), ont pratiquement l’âge des rôles, ce qui est loin d’être toujours le cas ! Ils donneront fraîcheur et sensualité à cette grande et folle histoire d’amour presque adolescente.
Le chef Roberto Rizzi-Brignoli, lui, c’est à Bergame, ville natale de Donizetti, où il est maintenant installé, qu’il a découvert le compositeur, à l’occasion d’un grand festival Donizetti, et alors que lui-même était pianiste débutant dans ce théâtre. Cette belle musique, qui annonce l’immense Verdi dont elle n’a pourtant pas toujours la perfection, rompt, dit-il, avec le bel canto virtuose et parfois gratuit d’un Rossini. Chez Donizetti, la musique, même virtuose, est toujours liée à la profondeur psychologique des personnages.
Quant à la fameuse scène de la folie, Zuzana, l’interprète, soprano lyrique légère, la voit comme un véritable défi physique (20 minutes, tout de même), mais souligne que les fêlures, la fragilité du personnage, sont perceptibles dès la première aria. Et, depuis sa prise de rôle à Marseille, elle-même a nourri sa vie, a enrichi son personnage des multiples rôles – dont Marianne des Caprices en 2015 – que sa jeune et brillante carrière a déjà endossés.
Si Lucia de Lammermoor s’est imposé comme un grand classique lyrique, c’est pour des qualités intemporelles, intrinsèques à l’œuvre ; il faut y ajouter à Avignon, le week-end prochain, cette interprétation « rajeunie » et tonique. (G.ad.)
Nous y étions… Une Lucia comme éthérée
C’est le « festival des cannes », plaisantait mon voisin, emporté par la foule fébrile des 3e voire 4e âges, un public qui n’est ni alerte ni affable… ni discipliné souvent ! Pourtant ce public dominical, dont nous étions, a été conquis par cette Lucia de Lammermoor, comme l’ont prouvé l’applaudimètre et les conversations de couloir. Et le public du mardi davantage encore.
Nous avions vu cette même production dans le même lieu en 2009, et nous l’avions alors trouvée plombée par la médiocre prestation du rôle-titre.
Un tout autre regard aujourd’hui, par la grâce d’une autre distribution…
Si c’est bien la longue scène de la folie qui signe la qualité d’une Lucia, celle-ci est toute en finesse et retenue. A mille lieues d’une Lucia hystérique et vociférante, Zuzana Markova à l’Opéra Grand Avignon, après Marseille en 2014, compose un personnage d’une lumineuse beauté ; elle est comme tombée délicatement d’un autre monde, toute en troublante fragilité, habitée par la clarté d’un ailleurs aperçu d’elle seule. Cette seule scène donne à l’ensemble une espèce de légèreté et de pureté rédemptrice, malgré l’amour interdit, malgré le poids de la vengeance, le mariage forcé, le meurtre, le suicide… Malgré aussi l’obscure menace des légendes familiales et l’univers sombre tracé par le metteur en scène. Les fêlures, perceptibles dès les premiers airs jusque dans l’agilité cristalline de la voix, confèrent à la fraîche Lucia et à toute la production cette tension délicate qui fait battre le cœur un peu plus vite…
Comme Lucia, chaque personnage semble avoir été conçu pour son interprète : Enrico le frère (le magnifique baryton Florian Sempey – notre entretien -, dans une prise de rôle magistrale, vigoureux, combatif sans être monolithique), Edgardo l’amour impossible (le puissant ténor Jean–François Borras), Raimondo le chapelain (la basse Ugo Guagliardo, au jeu plein de nuances). Et même ceux dont le talent mérite mieux que leur bref passage sur scène : Alisa la suivante (la mezzo Marie Carral, toujours convaincante), ou Normanno le grand veneur d’Enrico (le ténor Alain Gabriel). Quant au ténor Julien Dran, fils et petit-fils d’artistes lyriques, qu’on a vu, au fil des années, acquérir autorité et précision, on rêve de l’entendre, comme à Massy en février dernier, dans le rôle d’Edgardo plutôt qu’en Arturo, l’épisodique mari imposé… ou en messager d’Aida, tant à Avignon qu’aux Chorégies (2010) !
Les ensembles aussi font vibrer la corde esthétique. Le choc Edgardo/Enrico se révèle titanesque, la confrontation Enrico/Lucia spectaculaire, le duo Enrico/Raimondo intense. Le fameux sextuor est, lui, sublime, et l’impressionnant silence de la salle lui a donné lors de la première représentation une profondeur exceptionnelle. Devrait-on s’en étonner, quand tous ces artistes ont des engagements internationaux, dont la Fenice, ou le Met…
Ils portent par ailleurs avec panache les costumes soyeux de Katia Duflot, toujours déclinés dans les délicates palettes de gris et pastels qu’elle affectionne.
Il ne faudrait pas oublier les chœurs, avec des supplémentaires, tous aux subtils accents pré-verdiens. Ni l’orchestre – notamment harpe (Aliénor Girard) et flûte -, mené de baguette de maître par un « donizettien » de grande classe, Roberto Rizzi-Brignoli.
De cette production, on peut dire, comme Lucia, que « celui qui ne s’émeut pas a dans sa poitrine un cœur de roc ».
Par ailleurs, cette Lucia a été largement médiatisée. Le mardi 26 avril était sur Radio-Classique une Journée spéciale Lucia de Lammermoor. A 13h, Le Journal du Classique présenté par Laure Mézan, avec pour invité Raymond Duffaut, conseiller artistique de l’Opéra Grand Avignon. A 18h, Passion Classique, émission présenté par Olivier Bellamy, avec pour invité Frédéric Bélier-Garcia, metteur en scène de Lucia. A partir de 20h, Lucia di Lammermoor, en direct de l’Opéra Grand Avignon, et présenté par Laure Mézan. Une captation a été réalisée par France Télévision, qui permettra de voir le spectacle sur France 3.
Pour l’instant et jusqu’au 27 octobre 2016, il est accessible sur Culturebox.
G.ad.