Sous le charme d’un texte plurimillénaire
Jardin de la rue de Mons. Durée : 1h15. Du 8 au 25 juillet 2025. Relâche les 10, 14 et 21 juillet. Réservations : 04 90 14 14 14
Avec Jeanne Bred, Fabrice Lebert, Gilféry Ngamboulou et Julie Palmier, interprètes professionnels rencontrés lors de l’atelier libre mené à Avignon depuis 2023 par Gwenaël Morin. Adaptation, mise en scène et scénographie, Gwenaël Morin. Assistanat à la mise en scène, Canelle Breymayer. Lumière, Philippe Gladieux. Régie générale, Loïc Even. Production, Emmanuelle Ossena, Charlotte Pesle Beal
Production déléguée, Compagnie Gwenaël Morin – Théâtre Permanent. Coproduction, Festival d’Avignon. Résidence, Festival d’Avignon, Maison Jean Vilar (Avignon)
La compagnie Gwenaël Morin – Théâtre Permanent est conventionnée par la Drac Auvergne-Rhône-Alpes.
« Démonter les remparts pour finir le pont » : à Avignon, le projet de Gwenaël Morin, aussi joyeux qu’impertinent, prend une saveur particulière, comme un clin d’œil à la configuration de la cité héritée d’une longue et tumultueuse histoire. Chaque année, avec les comédiens qui sont venus l’aider, dit-il, à « faire du théâtre », il s’empare d’un texte emblématique du répertoire. Des œuvres anciennes, très éloignées de notre monde, très étranges donc, avec lesquelles il s’agit de lancer des ponts : entre hier et aujourd’hui, entre les humains du passé et ceux du présent. Cette année, le metteur en scène s’empare d’une pièce d’Eschyle, Les Perses, considérée comme l’une des plus anciennes du répertoire européen (472 a. C.), et qui fut en 1961, par les yeux de Jean Prat, un fleuron de la télévision en noir et blanc.
Au jardin de la rue de Mons, un double cercle de craie est tracé au sol. Décor minimal, évocation du cercle primordial où naquit le théâtre. Nous sommes en Grèce, et le texte d’Eschyle nous parle des Perses, peuple ennemi, vaincu à Salamine à peine 8 ans plus tôt. La bataille a eu lieu. Nous sommes dans un « après ». Quatre comédiens : Jeanne Bred, Fabrice Lebert, Gilféry Ngamboulou et Julie Palmier, apparaissent, ils ne forment qu’un, arpentant d’une étrange marche le cercle de craie. La beauté d’une langue antique se fait entendre, on entre immédiatement dans son rythme, accompagné de temps à autre par la scansion d’un tambour ou le son d’une flûte. Langue plurielle reprise à quatre voix à la façon d’un chœur antique, ou bien soliloques évoquant avec force les épisodes tragiques d’une bataille, l’affrontement sur mer et sur terre, les morts, les cris, la désolation des hommes et des femmes. La grande singularité de ce texte est qu’il met en scène les vaincus, qu’il en convoque les grandes figures et en quelque sorte leur rend hommage : le roi Xerxès, de retour à Suze après sa défaite, sa mère la reine Atossa, et même le fantôme de son père le grand Darios – formidable Fabrice Lebert qui porte, immobile, la langue d’Eschyle jusqu’à l’incandescence -. Emportés par la force du texte, on est un peu gênés de voir surgir, parfois, quelques objets de notre trivial quotidien : un panonceau, une brique de lait, un flacon de miel en plastique…, parti-pris de mise en scène qui viennent casser notre rêve de spectateur éveillé. Façon peut-être de rétablir la distance entre cette antiquité et nous, de réactiver l’étrangeté. Toujours est-il que ce soir-là dans le jardin de la rue de Mons, par les talents conjugués d’un auteur antique, d’un metteur en scène et de quatre comédiens d’aujourd’hui, nous avons bel et bien aboli quelques remparts et marché avec bonheur sur le pont des siècles, pour partager la désolation commune, toujours actuelle, qui résulte de la guerre.
Carina. Photo Christophe Raynaud de Lage.
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