Abolies les frontières…
Vendredi 20 octobre 2023, & samedi 21 octobre 2023, 20h. L’Autre Scène, Vedène (84)
Ballet de l’Opéra Grand Avignon : Veronica Piccolo, Sylvain Bouvier, Lucie-Mei Chuzel, Léo Khebizi, Ari Soto
Danseurs additionnels pour le film : Marion Baudinaud, José Meireles
La Parenthèse : Nina Morgane Madelaine, Alexandre Tondolo
Conception et chorégraphie, Christophe Garcia. Emprunts chorégraphiques à Michel Kelemenis avec son concours et son autorisation, et à Michel Fokine (1880, Saint-Pétersbourg-1942). Costumes, Pascale Guéné. Assistante à la chorégraphie, Julie Compans. Lumières, Simon Rutten. Scénographie, François Villain. Vidéo, Matthieu Dehoux. Direction technique et son, Bruno Brevet. Décors, Atelier de l’Opéra de Rennes. Costumes, Atelier de l’Opéra Grand Avignon
Direction musicale, Nicolas Simon. Transcription musicale, Julien Giraudet. Mezzo-soprano, Anna Reinhold. Harpe, Vincent Buffin. Percussions, Tristan Pereira. Flûte, Coline Richard. Violon, alto, Antoine Paul. Violoncelle, Amelie Potier. Clarinette, clarinette basse, Christine Cochennet
Production La parenthèse / Christophe Garcia. En coproduction avec l’Opéra de Rennes, Centre Chorégraphique National de Nantes, CCN Biarritz Malandain Ballet, CCN Ballet de l’Opéra du Rhin, Klap Maison pour la Danse à Marseille, Théâtres Municipaux d’Angers – Salle Claude Chabrol, Collégiale Saint-Martin à Angers. Avec le soutien de Harlequin Floors et de Mécène & Loire fondation d’entreprises Maine-et-Loire.
Deux événements en amont : mercredi 18 octobre 2023 de 19h45 à 21h, à L’Autre Scène à Vedène, une répétition publique des Nuits d’été, suivie d’échanges avec le chorégraphe et les danseurs du ballet de l’Opéra Grand Avignon. Et samedi 14 octobre de 17h à 19h, au Studio Jean Vilar de l’Opéra Grand Avignon, une masterClass du chorégraphe Christophe Garcia pour des danseurs contemporains niveau intermédiaire/avancé.
Voir toute la saison 2023-2024 de l’Opéra Grand Avignon
Les Nuits d’été se donnent à une vingtaine de kilomètres de l’Opéra Grand Avignon, dans la salle de l’Autre Scène dédiée aux petites formes, devant un public relativement nombreux malgré deux représentations, et parfois très jeune.
Christophe Garcia, le chorégraphe, emprunte à Michel Fokine dont il se réclame – chorégraphe des Ballets russes de Serge Diaghilev et collaborateur occasionnel de Maurice Ravel (Daphnis et Chloé, 1912) -, le mariage consubstantiel entre musique et danse ; tous les artistes sur le plateau portent des costumes analogues de lin souple, conçus par Pascale Guéné et réalisés par l’atelier couture de l’Opéra Grand Avignon dirigé par Elza Briand, en 15 nuances de gris léger ; le glissement entre les 6 musiciens, les 9 danseurs et la chanteuse se fait dans la fluidité, dans une large occupation de l’espace ; les musiciens et la chanteuse entrent dans l’univers chorégraphique, par des déplacements lentement étirés au début, par des départs de course fulgurants plus tard. Cette interpénétration signe une belle homogénéité des divers langages, du corps, de la voix, des instruments, enveloppés des lumières sublimes de Simon Rutten.
Le Ballet de l’opéra d’Avignon (site officiel) – dont ne restent plus de cette époque, dans Les Nuits d’été, que Sylvain Bouvier et Ari Soto – a déjà dansé Qu’importe (2008) et les Forains (2013), du même chorégraphe. On est sensible aux performances vigoureuses des danseurs, entre duels/ duos, harmonie de quelques beaux ensembles, et explosions de vitalité débordante.
La mezzo-soprano Anna Reinhold (site officiel), que Musique Baroque en Avignon avait invitée il y a quelques années, offre sa voix souple et expressive – sonorisée -, dans une diction raffinée, aux poèmes de Théophile Gautier mis en musique par Berlioz. Elle est entourée de 6 musiciens dirigés par Nicolas Simon (site officiel), notamment fondateur de la Symphonie de poche et du Philharmonicœur, chef associé de l’orchestre Les Siècles – ensemble que nous avons récemment entendu à Aix-en-Provence -, et chef du projet Démos. Si la partition, dans une transcription fine et chatoyante de Julien Giraudet, met surtout en valeur l’alto d’Antoine Paul, la harpe de Vincent Buffin et le violoncelle, néanmoins les percussions de Tristan Pereira, la flûte de Coline Richard et la clarinette de Christine Cochennet sont des acteurs importants du spectacle.
Pour autant, il n’est pas certain que la soirée ait favorablement impressionné les plus jeunes spectateurs.
L’univers de la Comédie de la mort (1838), de Théophile Gautier, dont Hector Berlioz a choisi 6 poèmes pour les mettre en musique sous le titre commun des Nuits d’été (1841), n’a rien du Songe shakespearien. Il chante l’amour fragile, déçu, douloureux, tant dans sa forme initiale (pour mezzo ou ténor, et piano) que plus large (orchestre, 1856), comme en témoignent les titres, parfois légèrement différents du recueil initial, avec l’accord du poète : L’Absente, L’ile inconnue (intitulée Barcarolle dans le recueil initial), Villanelle (Villanelle rythmique), Au cimetière, clair de lune (Lamento1), Sur les lagunes, lamento (Lamento 2).
Et quant au lent déshabillage intégral, dos au public, d’un danseur (Léo Khebizi ou Alexandre Tondolo ?), et, en fond de scène, d’Ari Soto à peine visible, il ne laisse d’interroger : s’allonger, nu, contre un cadavre est-il image de paisible sommeil éternel, ou plutôt de régénération, de renaissance ?
Un cadavre, en effet, ou plutôt 5, occupent aussi le plateau. Des formes enveloppées dans des linges blancs, d’abord suspendues au-dessus de la scène, puis annonçant le début du spectacle en tombant à grand bruit au milieu des danseurs, avant d’être portées par eux, avec respect, presque avec tendresse.
Il fallait en effet un choc, visuel et auditif, pour entamer l’action ; car, au lieu d’entrer par la porte habituelle, le public avait été invité à entrer, en groupes de 10, par les coulisses et le plateau, au milieu des artistes en train de s’échauffer. Dans la quasi-obscurité, le pied hésitant, chaque groupe a ainsi traversé la scène, entre les musiciens, frôlant les danseurs. Déstabilisation, ou immersion, déjà, dans un spectacle où seraient abolies les frontières entre les genres… et entre les gens ?
Même un 7e poème de Théophile Gautier, Adieux à la poésie, mis en musique par Laurier Rajotte (site officiel) à la demande du chorégraphe, dans un « postlude électroacoustique », prolonge cette union entre amour et musique, « les deux ailes de l’âme », selon Berlioz, dans une totale continuité artistique.
Ainsi, si nous n’avons pas humé, comme le suggérait pourtant le chorégraphe, « l’odeur du jasmin » ni la « promesse de liberté » après une « traversée éreintante » d’une « trop longue journée d’été » « pour trouver l’île inconnue », en revanche nous avons totalement apprécié son « envie d’immerger les spectateurs, danseurs et musiciens au cœur d’un même paysage et de former une meute indestructible autour de la chanteuse ».
G.ad. Photos G.ad.
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