Une réussite, liliputienne et poétique à souhait !
Voir aussi la présentation de l’ensemble de l’édition 2022
Vendredi 8 juillet 2022, 21h30, durée 1h20. Théâtre antique d’Orange. Chorégies 2022 (site officiel)
L’Elisir d’amor. Opéra comique en 2 actes. Musique de Gaetano Donizetti (1797-1848). Livret de Felice Romani. Création : Teatro della Canobbiana de Milan, 12 mai 1832
Production de l’Opéra de Lausanne
Direction musicale, Giacomo Sagripanti. Mise en scène, Adriano Sinivia. Décors, Cristian Taraborrelli. Costumes, Enzo Iorio. Éclairages, Patrick Méeüs. Récitatifs, Kira Parfeevets
Nemorino, Francesco Demuro, en remplacement de René Barbera. Adina, Pretty Yende. Belcore, Andrzej Filończyk. Dulcamara, Erwin Schrott. Giannetta, Anna Nalbandiants
Orchestre Philharmonique de Radio France
Chœurs des Opéras d’Avignon et de Monte-Carlo
S’il faut déterrer complaisamment un charnier pour créer l’événement artistique, comme récemment à Aix-en-Provence avec l’antiphrastique Résurrection, alors cet Elisir ne marquera pas l’histoire. Les inconditionnels de créations festivalières – dont nous sommes souvent – en seront aussi déçus : cette production a été créée il y a déjà 10 ans, pour la réouverture après travaux de l’Opéra de Lausanne ; la dernière reprise, après Monte Carlo et Tours, et toujours avec le même succès, s’est faite à Bordeaux en avril 2022 – on imagine combien le livret de Donizetti a alors chatouillé délicieusement le chauvinisme viticole local !- A Orange, dans une configuration – une scène de 110m de long et un grand mur de 30mx60m – qui a nécessité malgré tout quelques adaptations, l’Elisir d’amore n’avait jamais été donné, et nous n’avons pas boudé notre plaisir, non plus que le bambin qui nous accompagnait.
Cet Elixir est une réussite ; une réussite poétique, inventive, légère, originale.
Contrairement à la mise en scène précédente d’Adriano Sinivia en ce même lieu en 2018, un Barbier version Cinecittà, cette production-ci fait l’unanimité. Pour cet opéra tout en légèreté, le metteur en scène a imaginé un univers inspiré tout à la fois des Minimoys, d’Astérix (la distribution de potion magique… pardon : de bordeaux en guise d’élixir), voire des nains de Blanche-Neige, de Microcosmos, et de légendes diverses, comme le souligne le metteur en scène dans une interview à Bordeaux. Solistes et choristes évoluent au milieu d’objets démesurés mais jamais écrasants : des boîtes de conserve dont l’une tient lieu de caserne, une roue de tracteur, et surtout d’immenses épis de blé et quelques coquelicots que le vent agite souplement.
La démesure de la scène du théâtre antique, fatale à de nombreux metteurs en scène, et redoutable pour beaucoup, se trouve ici totalement apprivoisée. Les chœurs de l’Opéra de Monte Carlo et du Grand Avignon s’en emparent avec allégresse, dans une belle homogénéité qui n’exclut pas la finesse exquise.
Dans cet univers de conte, l’œuvre de Donizetti prend une vigueur aérienne, à laquelle participent les lumières de Patrick Meüs, ainsi que les projections vidéo sur le grand mur romain bi-millénaire, comme cette immense frimousse de chat derrière une fenêtre, mais aussi quantité de bestioles géantes qui semblent traverser la scène… ! Nous ne sommes même pas certains d’avoir pu tout apercevoir, tant cet univers est foisonnant, inattendu et tout simplement charmant.
Mais ce soir-là il fallait compter aussi avec un invité de taille : le mistral, qui, après les 98km/h de la veille lors du concert dirigé par Chung, avait quelque peu faibli, et offrait aux spectateurs une température agréable ; mais il demeurait bien présent. Les musiciens rattrapaient leurs partitions, et les rafales s’engouffrant dans la voile ornant le véhicule bric-à-brac de Dulcamara laissaient craindre pour la basse Erwin Schrott un épisode analogue à celui du mémorable Mefistofele… acrobatique en ce même lieu en 2018, première production de la programmation du nouveau directeur Jean-Louis Grinda, reprise d’autres lieux… Tiendra, tiendra pas ? On imagine l’inquiétude du directeur et de son équipe.
La captation par France Télévision, en vue d’une diffusion quelques jours plus tard, le 20 juillet, imposait une sonorisation : un dispositif bienvenu, donnant aux chanteurs une véritable souplesse dans le phrasé, une liberté dans les nuances, que la lutte contre un mistral tenace, sans micro, aurait empêchées.
La bigarrure des costumes, la disparité des accessoires, elles, auraient pu devenir fatras déconcertant. Même pas, bien au contraire : l’imagination s’en trouve délicieusement stimulée, et, si l’on en croit tout à la fois les commentaires d’après-spectacle, l’attention bienveillante et les applaudissements et « bravos » chaleureux, c’est un spectacle qui fait du bien.
Dans le rôle, ingrat, de ce sympathique benêt de Nemorino, le ténor italien Francesco Demuro, appelé en dernière minute pour remplacer René Barbera testé positif à la Covid – mais fort applaudi quelques jours plus tôt à Musiques en Fête justement dans le « tube » de l’Elisir – a su composer un personnage sensible et attachant, jouant avec souplesse d’une voix qui s’affirme en même temps que la situation narrative. La « furtiva lacrima », évidemment attendue, a été un pur moment de grâce ; si le timbre n’a pas le velouté ou la clarté d’autres interprètes, l’instant a conjugué un ciel étoilé, à peine traversé par les chauves-souris après les hirondelles vespérales, et un air transparent et léger comme seul un concert en plein air peut évidemment en offrir ; même le mistral s’est fait caresse, et a permis au ténor de bisser son air.
Pretty Yende – récemment entendue dans MEF, et qui devrait participer au concert du 14 juillet devant la tour Eiffel avec le même air de La Fille du régiment – a campé une Adina lumineuse, d’une présence scénique chaleureuse, déployant toutes les nuances d’une voix agile, de la moquerie joyeuse à la tendresse mutine…
Quant à Dulcamara, il devient, sous les traits et la faconde d’Erwin Schrott, époustouflant de bout en bout, un professeur Raoult plus vrai que nature ! Et Andrzej Filończyk en Belcore déploie ce qu’il faut de jactance et de muflerie pour éviter d’être victimisé.
L’exagération, l’emphase, ne boursouflent jamais cette production résolument « buffa » sans débordement…
Le jeune chef Giacomo Sagripanti, qui pour ses débuts à Orange dirige sans partition, se montre très attentif au plateau, à chaque chanteur, à chaque attaque des chœurs. Sous sa direction, l’orchestre Philharmonique de Radio France offre une interprétation alerte comme un matin d’été dans un champ de blé, vigoureuse comme la moisson, brillante comme un ciel azuréen, ciselée comme un bijou d’exception.
Une soirée totalement réussie.
Et l’Elisir a repris sa route, comme l’an dernier, le 13 juillet grâce à Arsud et au concept « Beau comme un camion » : une remorque de poids lourd se fait scène de spectacle itinérante, et apporte l’opéra ailleurs que dans le théâtre antique ; une version du même metteur en scène, mais totalement adaptée à ce lieu inédit, et avec une distribution évidemment allégée.
G.ad. Photos M.A.
Le garff dit
vu à la TV ,MAGNIFIQUE !!! tout était parfait chanteurs orchestre décors, cela donne envie de retourner à Orange qui avait un peu baissé
Classique dit
Bonjour,
Merci pour votre message. C’était en effet un « Elisir » délicieux, et pour tous publics, de tous âges.
N’hésitez pas à revenir à Orange – et à nous envoyer vos commentaires -, dans la magie des soirs d’été. Nous vous annonçons les spectacles : le programme général est déjà en ligne (rubrique « annonces »), et nous détaillerons au fut et à mesure chaque soirée.
Cordialement,
G.ad.