Compte tenu de la crise sanitaire, Le Messie du Peuple chauve, dont la création devait ouvrir la saison lyrique de l’Opéra Grand Avignon, a bien créé aux jour et heure prévus, mais sur Internet, en direct et gratuitement. Il est visible dans son intégralité sur YouTube jusqu’au 15 décembre 2020
De même pour le ballet L’Histoire du soldat
Saison 2020-2021. Durée 1h30
Le Messie du Peuple Chauve, Opéra en un acte d’Éric Breton. Chanté en français
Adaptation libre d’Éric Breton du roman Le Messie du Peuple Chauve d’Augustin Billetdoux
Direction musicale Samuel Jean. Études musicales NN. Mise en scène et lumières Charles Chemin. Scénographie Adrian Damian. Costumes Robin Chemin, réalisés dans les Ateliers de l’Opéra Grand Avignon. Collaboration aux lumières Gaëtan Seurre
M.M., Marie Kalinine. Capilea Domina, Géraldine Jeannot. La mère, Lydia Mayo. Elsa, Chloé Chaume.
Simon Pierre-Antoine Chaumien. Le Président Laurent Deleuil. Judas Adrien Djouadou.
Chœur de l’Opéra Grand Avignon. Direction Aurore Marchand
Ballet de l’Opéra Grand Avignon. Direction NN
Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon. Direction Florence Goyon-Pogemberg
Orchestre national Avignon-Provence
Création. Nouvelle production, en coproduction avec le Festival de Sarajevo
« Dans une minute… Dans 20 secondes… ». Comme quelques jours plus tôt pour L’Histoire du soldat, la petite poignée de journalistes invités ont la sensation de vivre un moment exceptionnel avec cette création sur la Toile, sans public et en plein confinement. Le petit frémissement qui accompagne les dernières minutes avant le direct, et la vague appréhension que l’on suppose chez les acteurs de ce qui va être une création mondiale. Un moment toujours rare.
Résumé : un jeune homme découvre, dans sa calvitie, l’image de la déforestation, voire du désastre auquel court la planète ; endossant une mission salvatrice, il se rend au sommet de l’ONU pour plaider la cause de la planète et de l’homme ; sur un malentendu il y sera abattu, renvoyant l’humanité à ses interrogations.
Inspirée d’un roman éponyme, et d’une pièce de théâtre, tous deux signés d’Augustin Billetdoux, l’œuvre repose sur donc une analogie originale : l’alopécie androgénétique serait la métaphore de la catastrophe écologique qui touche la planète.
Sur scène et dans la fosse, une distribution importante pour les dimensions de la structure éphémère Confluence, encore rétrécie par les distanciations sanitaires. Sept chanteurs solistes ont le redoutable honneur de cette grande première. Tous sont les héritiers de l’école française, soucieuse d’articulation textuelle et de projection vocale ; néanmoins dans la salle, les syllabes atones sont totalement amuïes, et les milieux de phrases inaudibles, rendant l’ensemble peu inintelligible ; les internautes, eux, ont bénéficié de sous-titres, qu’on espère pérennes.
Le ténor Pierre-Antoine Chaumien, sur cette même scène est passé en un an de simple utilité dans La Périchole au devant de la scène ; il endosse avec conviction le rôle-titre, Simon le messie du peuple chauve, paradoxalement lui-même chevelu ; on espère qu’une amélioration de la situation sanitaire lui permettra d’assumer une autre création le 20 décembre à Montpellier, Le Voyage dans la lune du CFPL, qu’Avignon accueillera au printemps 2023 en fin de tournée.
Formée au Conservatoire d’Avignon puis d’Aix-en-Provence, la soprano Géraldine Jeannot a déjà une belle expérience des scènes régionales, dans un répertoire varié, de plus en plus orienté vers la musique ancienne.
La jeune soprano Chloé Chaume a de solides atouts dans son phrasé précis, sa large palette vocale et sa présence en scène ; elle se glisse avec autant de souplesse et d’assurance dans le personnage d’Elsa que dans d’autres genres (lieder), d’autres pièces (Musiques en fête aux Chorégies 2018 et 2019) ou divers rôles que sa jeune carrière lui a déjà offerts, comme Marguerite à Nice ou Violetta. Le premier confinement l’avait empêchée de se produire dans Les Petites Noces prévues pour le 14 mars 2020 à Vedène.
La mezzo-soprano Marie Kalinine, déjà auréolée de quelques beaux rôles et d’une discographie éclectique, avait notamment annoncé il y a peu sur les réseaux sociaux sa participation au grand concert solidaire UNISSON au TCE le 17 octobre, au profit des jeunes artistes touchés de plein fouet par la crise sanitaire ; ses mediums chatoyants offrent à M.M. des couleurs multiples et bienvenues.
La soprano Lydia Mayo, favorablement connue dans la région après des débuts, très jeune, sur plusieurs scènes parisiennes, compose pour la mère un personnage attachant.
Le jeune Adrien Djouadou, autre ex-élève du Conservatoire d’Avignon, incarne un Judas dans toute sa complexité ; jouant au mieux de sa palette vocale, baryton pour le compagnon de Simon, basse profonde pour le personnage inquiétant par qui la mort arrive – rôle traditionnel pour cette tessiture -, c’est un soliste sans doute promis à d’autres beaux rôles.
Quant au baryton Laurent Deleuil, la brièveté de son rôle de président de l’ONU ne permet guère d’en apprécier toutes les possibilités.
Lenteur et pénombre, héritée de Bob Wilson, signeront la mise en scène de Charles Chemin. Seule cette obscure clarté qui tombe des ceintres et d’un globe fait de néons entrecroisés baigne les silhouettes qui se meuvent à peine ; comme si le ralenti démultiplié voulait compenser la précipitation de l’humanité et l’accélération du désastre planétaire. Tout au long des tableaux qui se succèdent par un passage au noir, les costumes intemporels imaginés par Robin Chemin, et réalisés dans l’atelier de couture d’Elsa Briand toujours heureusement actif au sein de l’Opéra Grand Avignon, sont plus nuancés que colorés, se détachant à peine sur le fond noir et dans l’obscurité durable, obscurité trouée seulement par le sommet de l’ONU, où Simon tentera en vain de plaider la cause de l’humanité en déshérence.
La partition de ce premier ouvrage lyrique d’Eric Breton, riche de ses nombreuses expériences antérieures en divers genres, offre des nuances diverses entre tutti, pupitres isolés voire solistes ; le leitmotiv, lui, « Combien de millions sommes-nous… », et l’anaphore « peuple abandonné, peuple bâillonné, peuple oublié, peuple humilié…. » demeurent effectivement accrochés à l’oreille, comme le souhaitait le compositeur. L’ONRAP (Orchestre National en Région Avignon-Provence) a su donner à ce Messie toutes les nuances de la partition : de belles inflexions, parfois des couleurs, en tout cas une solidité guidée par Samuel Jean au pupitre. Premier chef invité de l’Orchestre pendant huit ans, le maestro a rejoint le Sud-Ouest peu de temps avant que l’Orchestre Régional ne soit promu, grâce à lui et à Philippe Grison directeur général, « Orchestre National en Région » ; parti à sa demande et sans regret, il semblait néanmoins heureux de partager ce nouveau défi avec la phalange vauclusienne.
Les autres forces vives de l’Opéra Grand Avignon participent avec talent à la synergie de la production. Les Chœurs d’Aurore Marchand montrent une remarquable appropriation de l’œuvre, les enfants de la Maîtrise, en intervention conclusive, font honneur à leur formatrice Florence Goyon-Pogemberg, et l’on n’a pu que regretter l’emploi a minima du Ballet.
Mais sauvera-t-on la planète et l’humanité ? Ni l’auteur du roman éponyme, ni le librettiste-compositeur ne se prétendent donneurs de leçon. Si le sujet écologique est une préoccupation majoritaire et fédératrice, la narration se révèle complexe pour un public non préparé ; d’autant que le cri d’alarme pour la planète résonne en harmonie lugubre avec l’atmosphère pesante de la situation épidémique actuelle.
Quant à la dimension messianique de l’œuvre, qui échappe peut-être à un XXIe rien moins que spirituel, elle passe par une vision christique, culturelle sinon religieuse. Du texte même jaillissent des mots bibliques : « en ce temps-là », « ne me touchez pas », « tout est accompli » ; la réunion de l’ONU, aligne, auprès du président trônant au sommet d’une impressionnante tribune-colonne, douze ombres chinoises comme autant de participants à une Cène profane ; comment ne pas voir aussi, dans les trois chanteuses s’approchant du corps de Simon victime d’un agent de sécurité de l’ONU, les femmes arrivant au tombeau le matin de Pâques ? Et dans les énigmatiques initiales M.M., l’évidente figure de Marie-Madeleine qui essuya de sa chevelure les pieds du Christ baignés de larmes et de parfum ? Et que dire encore de Simon, le Messie né de donneur inconnu ?
Le compositeur souhaite légitimement voir son œuvre continuer à vivre, dans l’Opéra Grand Avignon du centre ville prochainement restauré, mais aussi dans d’autres maisons et d’autres lieux. S’il est difficile d’affirmer que ce Messie soit reconnu plus tard comme l’opéra écologique populaire du XXIe siècle, on peut reconnaître à son angoisse circonstancielle une valeur fédératrice, mais on souhaite qu’elle ne demeure pas « vox clamantis in deserto », de l’(encore) verdoyante plaine de l’abbaye qui sert d’écrin à l’inspiration du compositeur.
On peut voir l’intégralité de la captation (1h30) jusqu’au 15 décembre.
G.ad.
Photos captation en salle : G.ad
Photos spectacle : Cédric Delestrade/ACM-Studio/Avignon
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