Etourdissant, haut en couleur, en danses et musique : une réussite absolue !
Opéra Grand Avignon, samedi 18 juin 2022, 20h ; dimanche 19 juin, 14h30. Durée 3h45
Le Malade imaginaire, Comédie-ballet en 3 actes, Molière. Musique, Marc-Antoine Charpentier. Nouvelle édition de la partition de Marc-Antoine Charpentier par Catherine Cessac / C.M.B.V. Représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 10 février 1673.
Mise en scène et direction artistique, Vincent Tavernier, Les Malins Plaisirs. Direction musicale, Hervé Niquet, Le Concert Spirituel. Chorégraphie. Marie-Geneviève Massé, La Cie de Danse l’Eventail. Décors, Claire Niquet. Costumes, Erick Plaza-Cochet. Lumière, Carlos Perez. Assistante à la mise en scène, Marie-Louise Duthoit. Assistant à la chorégraphie, Olivier Collin
- Les comédiens des Malins Plaisirs : Argan, Pierre-Guy Cluzeau. Toinette, Marie Loisel. Angélique, Juliette Malfray. Béline, Jeanne Bonenfant. Béralde/ Le Praeses, Laurent Prévôt. Polichinelle/ Diafoirus père, Quentin-Maya Boyé. Diafoirus fils/ M. Fleurant, Benoît Dallongeville. Bonnefoy/ M. Purgon, Nicolas Rivals. Cléante, Olivier Berhault. Louison (4 distributions selon les 6 lieux : Massy, Avignon, reims, Angers, Nantes, Tourcoing), Gabrielle Godin-Duthoit
- Les solistes du Concert spirituel : Flore/ maure/ apothicaire, Axelle Fanyo (dessus). Climène/ maure/ apothicaire, Lucie Edel (dessus). Daphné/ soldat du guet/ maure/ apothicaire. Flore Royer (bas-dessus). Tircis/ soldat du guet/ maure/ premier chirurgien, Blaise Rantoanina (haute-contre). Dorilas/ soldat du guet/ second chirurgien, Romain Dayez (taille). Pan/ soldat du guet/ médecin, Yannis François ou Nicolas Brooymans (basse)
- Les danseurs de la Cie de Danse l’Eventail: le Carnaval/ maure/ carabin, Anne-Sophie Ott. Le Carnaval/ maure/ carabin, Clémence Lemarchand. Le Carnaval/ soldat du guet/ maure/ carabin, Céline Angibaud. Le Carnaval/ soldat du guet/ carabin, Olivier Collin. Le Carnaval/ soldat du guet/ maure/ carabin, Robert Le Nuz. Le Carnaval/ soldat du guet/ maure/ carabin, Artur Zakirov. Le Carnaval/ soldat du guet/ carabin, Romain Di Fazio. Le Carnaval/ soldat du guet/ maure/ carabin, Pierre Guilbault
- Les instrumentistes du Concert spirituel : Violons, Olivier Briand (Premier violon), Augustin Lusson, Koji Yoda, Giovanna Thiebaut, Guillaume Hubrecht. Haute-contre de violon, Benjamin Lescoat, Younyoung Kim, Alix Boivert. Taille de violon, Géraldine Roux, Samantha Montgomery. Tormod Dalen, Nils de Dinechin, Pablo Garrido. Viole, Yuka Lusson-Saito. Hautbois et flûtes, Luc Marchal, Nathalie Petibon, Xavier Miquel. Bassons, Nicolas André, Lucile Tessier. Clavecin, Elisabeth Geiger (chef de chant), Clément Geoffroy. Percussions, Laurent Sauron, Morgan Laplace-Mermoud. Théorbe, Bruno Helstroffer, Stéphanie Petibon
Coproduction : Les Malins Plaisirs, Le Concert Spirituel, La Cie de Danse L’Eventail, Angers-Nantes Opéra, Le Grand T, L’Atelier Lyrique de Tourcoing, L’Opéra de Massy, L’Opéra de Reims, L’Opéra Grand Avignon, Le Centre de Musique Baroque de Versailles, Le Théâtre Montansier de Versailles, La Barcarolle – Théâtre du Pays de Saint-Omer, Le Théâtre Alexandre Dumas de Saint-Germain-en-Laye, La ville du Touquet-Paris-Plage
Que du beau monde ! Avec le trio Niquet-Tavernier-Massé, il faut s’attendre à tout, surtout au talent !
Pour le 4e et dernier volet de l’année Molière, l’Opéra Grand Avignon voit grand. A contrario du Sicilien interprété par les mêmes artistes, récemment donné dans la petite salle – fort agréable au demeurant – de l’Autre Scène à Vedène, en formation réduite avec quelques musiciens, quelques comédiens et quelques danseurs, il sort ici le baroque de compétition ! Pas moins de 10 comédiens, 6 solistes voix, 8 danseurs, 25 musiciens, sous la direction du chef en personne, l’inimitable Hervé Niquet dont on attend toujours facétie, surprise, saillie, extravagance, au détour du concert !!! Et pas moins de 14 structures en co-production, dont des poids lourds du monde baroque.
C’est à Avignon que se terminait donc la – première ? – tournée de ce Malade, après Massy, où il a été créé le 15 janvier 2022, puis Nantes, Angers, Reims, et Tourcoing. Une production conçue avant la pandémie, mûrie pendant, et réalisée après.
On redécouvre aujourd’hui les comédies-ballets de Molière, qui ont longtemps été snobées comme mineures ; c’est pourtant la moitié du répertoire de Molière, avec 14 titres sur 33 – répartis pour moitié aussi entre Lully et Charpentier -. Sans se départir d’être d’aimables divertissements, ces œuvres ajoutent, aux contraintes propres à chaque art – théâtre, chant et danse -, la question toute particulière de l’articulation cohérente entre les trois : construction, sens, ton, primauté éventuelle…
Le 400e anniversaire de Jean-Baptiste Poquelin est l’occasion de (re)découvrir ce riche répertoire, qui est tout sauf mineur. Surtout interprété par des artistes qui se sont lancé le défi de monter tout ce répertoire moliéresque. Après l’Amour médecin, Monsieur de Pourceaugnac et les Amants magnifiques, après le Sicilien récemment proposé, on pouvait s’attendre à voir et entendre, ce week-end, avec les Malins Plaisirs, avec le Concert spirituel et avec la cie l’Eventail, un Malade imaginaire… tel qu’on ne l’aurait jamais imaginé ! Un travail rigoureux de documentation jusqu’aux sources d’époque, une réflexion collective, un formidable appétit de ces petites pépites, et surtout un art consommé de la scène, lui donnent – dans l’esprit plus que dans la lettre – la vigueur d’une inépuisable jeunesse.
La musique des comédies-ballets de Molière est due soit à Lully (essentiellement dans la décennie 1660) soit comme ici à Marc-Antoine Charpentier (pour la décennie suivante et la seconde moitié des pièces), qui composera quelques années plus tard le fameux Te Deum, dont l’introduction servira, encore bien plus tard, d’indicatif à l’Eurovision.
Les comédiens chantent, les chanteurs jouent, on passe de la maison-étouffoir d’Argan au Carnaval débridé de la rue… Joyeux anniversaire, monsieur Molière !
Joyeux anniversaire, en effet, avec une production à grand spectacle qui a fait l’unanimité à l’Opéra Grand Avignon en ce samedi soir 18 juin 2022. Six minutes d’applaudissements nourris, aux alentours de minuit, ont salué cette version complète, celle de 1673, qui fut créée pour Louis XIV par le trio Molière/ Charpentier/ Beauchamp : théâtre (ici la troupe des Malins Plaisirs), musique et chant (Le Concert Spirituel), danse (La Cie L’Eventail). Dommage qu’une communication tardive sur la durée réelle (initialement prévue en version abrégée sur 1h30) et l’horaire avancé de 30 minutes, n’aient dissuadé quelques spectateurs, notamment le public familial.
La pièce de Molière, le Malade imaginaire, que tout le monde garde en mémoire, prend ici un sacré coup de jeune ; confinée mais jamais pesante dans les scènes solo d’Argan, bien rythmée par l’irruption primesautière de Toinette ou l’arrivée tonitruante des Diafoirus père et fils, elle retrouve toute sa fraîcheur et son impertinence.
Elle devient surtout un spectacle truculent, haut en couleur et en musique, où tout se mêle et s’enrichit mutuellement, où l’on passe de l’intérieur de la maison à la rue en effervescence, par le simple jeu d’un décor à pans mobiles (Claire Niquet).
Le 40 premières minutes sont un enchantement : une vingtaine de personnages masqués, dont un âne binoclard portant clystère préfigurant la suite, chantent et dansent, dans un Carnaval débridé, de feux follets multicolores (costumes joyeusement bariolés d’Erick Plaza-Cochet, lumières de Carlos Perez), de farandoles et danses légères, accompagnées de tambour et clochettes-chevilles sur scène, castagnettes et tambourin dans la fosse ; une grande marionnette articulée, cousine des compagnies Royal de Luxe ou Archibald Caramantran à Carpentras, culmine à 5-6 mètres au milieu de la foule joyeuse, objet des attentions, révérences et apostrophes à « Louis », où l’on sent néanmoins poindre l’ironie salvatrice des Saturnales.
Les musiciens, dirigés par Hervé Niquet dans sa redingote moirée, impriment un tempo allègre à toute l’action, ne se privant pas d’échanges drolatiques avec le plateau…
On ne saurait, on ne voudrait, décrire toute la richesse inventive de cette production foisonnante et bigrement réussie. Les applaudissements, et les commentaires de coursives manifestaient un enthousiasme revigorant qu’on n’avait guère entendu depuis longtemps. Du grand art, auquel on souhaite longue vie et belles tournées !
G.ad. Photos Hélène Aubert
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