Dimanche 10 novembre 2019, 17h. Opéra de Marseille. Dans le cadre de la XIVe édition du Festival de Musiques Interdites (10 novembre-1er décembre)
Le Château de Barbe-Bleue. Opéra en 1 acte de Béla Bartók
Nouvelle version française d’après l’originale en hongrois, de Michel Pastore et Enikö Sombrin
Direction musicale Jean-Philippe DAMBREVILLE. Mise en espace Michel PASTORE. Lumières Roberto VENTURI. Vidéos Philippe VENAULT
Judith Chrystelle DI MARCO
Barbe-Bleue Nicolas CAVALLIER. Le Regös Lorenzo LEFEBVRE
Avec la participation de la Fondation Vasarely et de DALI PARIS pour les vidéos et les effets scéniques
Avec l’Orchestre Philharmonique de Marseille
Des chanteurs acteurs d’exception pour un chef d’œuvre intemporel : une mise en espace et en abyme avec des œuvres de Victor Vasarely et Salvador Dali
Dans le cadre de l’original Festival des Musiques Interdites, la re-création, en français de « l’opéra » – si du moins il s’agit bien d’un opéra – Le Château de Barbe-Bleue de Bela Bartok. Avec, excusez du peu, Nicolas Cavallier dans le rôle-titre… A l’opéra de Marseille, représentation unique.
« Je ne peux pas croire à tout ce qui s’est passé – Le recommencer en esprit au-delà », Mallarmé, Pour un Tombeau d’Anatole, fragment 147
Bartók, « l’auto-interdit » qui exigea en 1938 de faire partie de l’exposition nazie Musiques Dégénérées et qu’aucune de ses œuvres ne soit jouée ni qu’aucune rue ne porte son nom tant que les dictatures persisteraient… Bartók, « l’auto-exilé » qui tel Barbe-Bleue se mure dans l’adieu définitif de la création intérieure… et qui dans son seul opéra composé en 1911, pose les questions de l’art et de l’amour, de la liberté et de l’inéluctable, du passage de « l’incertitude à l’insupportable certitude » tel qu’il définit son exil vers les États-Unis en 1940. Certitude et incertitude projetées sur la scène et conjuguées dans une mise en abyme par les œuvres d’un autre exilé hongrois Victor Vasarely et les appels au surréel d’un Salvador Dalí. Pourquoi un nouveau livret en français ? Bartók dès la composition de Barbe-Bleue avait demandé à la femme de Kodály une traduction en allemand du livret de Balazs pour sa future création à Weimar (1925). C’est dire s’il tenait à l’intelligence par le public des paroles : vue son exigence du parlando des chanteurs (« Jusqu’ici, j’ai partout constaté que, dans Barbe-Bleue, les chanteurs veulent interpréter les passages parlando (la majeure partie des parties chantées se compose de tels passages parlando) dans un rythme fixe (tempo giusto). C’est pourquoi j’attire votre attention sur le caractère complètement erroné d’une telle conception, alors qu’une sorte de chant parlé doit régner sans partage », Lettre de Bartók au chef d’orchestre Ernst Latzko (1924) pour la création de l’opéra à Weimar (1925)), la traditionnelle traduction française de Michel Calvacoressi nous a semblé prendre trop de licence par rapport au sens premier et nous proposons une nouvelle traduction en collaboration avec Mme Enikö Sombrin du Consulat de Hongrie à Marseille. Pourquoi Vasarely et Dalí ? Bartók participa au mouvement pictural et culturel de la Modernité Hongroise (1905-1920) ainsi qu’a pu le souligner la critique de Izor Beldi lors de la création du Château à Budapest :« la musique de Bartók renchérit sur le texte « pathologique » de Balazs… il se peut qu’elle soit la musique de l’avenir, mais elle n’est en aucun cas celle du présent… Pourtant le génie de Bartók s’y exprime dans toute sa redoutable grandeur. Il fut révolutionnaire, il est anarchiste désormais ; il a suivi le néo-impressionnisme, à présent il dépasse même le cubisme musical ». On considère le portrait de Bartók par Bereny (1913) que l’on rapproche de ce jugement du peintre dans son essai sur le compositeur «… l’ensemble des sons se présente à lui comme la totalité des couleurs (la nature visible) au peintre ; il perçoit les sons à la manière du peintre qui distingue les couleurs de la nature qu’il observe » (Journal Nyugat 1911). Nous pensons ici au clavier synesthésique de couleurs de Scriabine, à son Poème du Feu (1910) et aux Noces de Stravinsky que Raman Schlemmer d’après les archives de son grand-père donna en 2008 à Bâle.
Barbe-Bleue un opéra ? ou le rituel de la création ? L’adresse du Regös (le « shaman » du folklore hongrois) dans le Prologue sert de véritable cadre à la création :« Hoi ! le conte, où le cacher/ Était-il ou n’était-il pas une fois ? ». Demeny, membre des jurys des concours de 1911 et 1912, explique sa décision : « Cette œuvre (…), il la présenta aux concours d’opéra qui la refusèrent. Avec raison puisque tout génial qu’il soit, le Château de Barbe-Bleue ne correspond pas à la définition élémentaire d’un opéra – ce n’est pas un opéra ». On repense à l’article de Kodály « Ce texte « sans événements » est dépourvu de tous les poncifs habituels de l’opéra… la courbe dramatique et la courbe musicale se développent en parallèle et se renforcent mutuellement, en un double arc-en-ciel grandiose ». On serait tenté, de pair avec le sous-titre de Balazs « Mystère », non de se diriger vers un médiévisme art nouveau dû à la figure du « Barde » mais en se référant au primitivisme du « Regös » hongrois de se réorienter vers la mantique archaïque. Résurgence et renouveau du passé. À la structure en arche – chère à Bartók – on peut juxtaposer une structure cyclique (la mélodie pentatonique du début et sa tonalité reprenant avec la fin de l’œuvre), la temporalité dramatique (Aube, Midi, Crépuscule, Nuit) des « femmes » de Barbe-Bleue renaissant avec l’aurore de sa nouvelle solitude. S’agirait-il d’un opéra de l’éternel retour ne s’accomplissant que dans son devenir ? Et dépassant l’anecdotique rapport homme-femme, une parabole humaine où le « trajet » est certes un tracé scénique mais qui doit sans cesser réinventer le sens de sa provenance et de sa fin…(Michel Pastore, mise en espace ; Directeur du Festival Musiques Interdites)
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