Une Flûte sacrément irrévérencieuse : délicieusement réenchantée !
La Flûte enchantée, opéra de Wolfgang Amadeus Mozart. Livret d’Emmanuel Schikaneder.
Mardi 23 novembre 2021, 20h, cinéma Rivoli, Carpentras (84). Enregistré le 4 août 2019 à Glyndebourne (Grande-Bretagne) ; réalisation François Roussillon
Mise en scène, décor et costumes : André Barbe & Renaud Doucet. Lumières : Guy Simard. Concepteur marionnettes : Patrick Martel.
David Portillo, Tamino ; Sofia Fomina, Pamina ; Brindley Sherratt, Sarastro ; Caroline Wettergreen, la Reine de la nuit ; Björn Bürger, Papageno ; Alison Rose, Papagena ; Jörg Schneider, Monostatos ; Esther Dierkes, 1e Dame, soprano ; Marta Fontanals-Simmons, 2e Dame, mezzo-soprano ; Katharina Magiera, 3e Dame, contralto ; Michael Kraus, l’Orateur ; Freddie Jemison/Aman De Silva/Stephen Dyakonov, trois garçons ; Thomas Atkins, 2e Prêtre/ 1er Homme en armes, ténor ; Martin Snell, 1er Prêtre/ 2e Homme en armes, basse
The Glyndebourne Chorus (chef de chœur : Aidan Oliver) ; Orchestra of The Age of Enlightenment, direction : Ryan Wigglesworth.
Cette Flûte ouvre la saison opératique du cinéma indépendant le Rivoli à Carpentras – après le ballet Notre-Dame de Paris du 14 septembre que nous avons manqué -, où nous la voyons le mardi 23 novembre. Au Capitole-Studios du Pontet, elle était, le jeudi 11 novembre, la 2e production, après Faust. Elle a été enregistrée à Glyndebourne, dans le Sussex, le 4 août 2019 ; un festival ambitieux a été créé il y a environ un siècle dans cette magnifique demeure historique, ancienne fabrique d’orgue transformée, et, comme à Bayreuth, le président est toujours un descendant du fondateur. Six productions de qualité s’y succèdent de mai à août, et Mozart y est particulièrement à l’honneur. Chaque année, 4 productions sont éditées en CD réunis dans un coffret : cette Flûte fait partie des 4 CD de 2019.
Et c’est une production sacrément irrévérencieuse et formidablement réjouissante qui nous a été offerte ainsi en différé sur grand écran. Les nombreux spectateurs en sont sortis revigorés, et j’ai été moi-même prise d’un fou rire mémorable !
Inventive de bout en bout, elle ne trahit en rien un livret pour le moins incohérent, et qui se révèle redoutable pour de nombreux metteurs en scène.
André Barbe & Renaud Doucet, eux, ont pris le parti de l’intelligence et de la réinterprétation roborative… Un plateau solide, des voix parfaitement distribuées, une présence scénique autant que vocale, une finesse sonore excellente dans la restitution comme dans la captation, avec un orchestre magistralement dirigé par le jeune chef anglais Ryan Wigglesworth – quadragénaire -, assurent la qualité de l’ensemble.
Un décor en 3D mais graphiquement dessiné nous projette chez Lewis Caroll, après les croquis de costumes dessins préparatoires défilant pendant l’ouverture. Un visage qui semble sorti de la galerie d’Arcimboldo… L’ensemble de la production est nourri de cette veine à la fois syncrétique et furieusement inventive, cohérente jusque dans les camaïeux de couleurs. Et si elle est dynamitée de l’intérieur, c’est dans une juvénilité tranquille dont on s’étonne à peine mais dont on se régale…. jusqu’au 3e acte.
C’est là que la dynamite explose et que les rires fusent avec une généreuse spontanéité, dans la salle de Glyndebourne comme dans celle de Carpentras. La grande scène d’initiation – planche savonneuse dans beaucoup de productions -, le croirait-on ? se passe dans une cuisine : l’initiation par le feu (la cuisson au four !) et par l’eau (la plonge !), est totalement inattendue, mais justement irrésistible selon la géniale intuition de Bergson !
Dans une cuisine, car tout se passe dans un hôtel-restaurant viennois. Une hypothèse incongrue, cocasse, mais sans loufoquerie ni inconvenance. Les trois garçons-grooms, les toques-lumignons, les tabliers de cuistots noués avec solennité – qui deviendront plus tard tabliers maçonniques -, les verres musicaux, et même le discret clin d’œil à Freud via la flûte et les clochettes – toutes ces coquecigrues jamais ne détournent de l’essentiel. Jusqu’à cette scène, qui se décline ensuite en renversement des suffragettes, en détournement du mariage dans ses activités les plus triviales, et surtout en accouchements en accéléré de Papagena…
Avec cette totale liberté de ton, la lecture de Barbe et Doucet, loin de trahir la Flûte de Mozart, la réenchante et lui redonne peut-être une verdeur que trop de fidélité mal comprise a bien souvent ternie.
Il eût été vraiment dommage de manquer cette soirée !
Prochains rendez-vous d’une saison éclectique : exposition « Le collectionneur danois » (mardi 14 décembre, 18h) ; ballet Le Lac des cygnes (jeudi 6 janvier, 20h30) ; Comédie Française Tartuffe (samedi 15 janvier, 20h10) ; opéra Les Noces de Figaro (jeudi 3 février, 19h15).
G.ad.
Laisser un commentaire