« On ne comprend pas »

Karine Deshayes (photo Aymeric Giraudel) est très présente dans nos pages. En ce mois de décembre 2025, elle évoque pour nous sa triple actualité : son concert imminent Armida abbandonata du 14 décembre 2025 à l’Opéra Grand Avignon (1er volet), son rôle tout récent de conseillère artistique de Musique Baroque en Avignon (2e volet), enfin le coup de tonnerre des Chorégies, avec une édition 2026 dont elle vient d’être évincée sans préavis (ci-dessous)…
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3e volet de notre entretien
Voir aussi notre dossier sur les Chorégies 2026

-Nous venons d’évoquer votre concert et la saison de MBA. Beaucoup moins réjouissante, je suppose que vous avez vu la récente actualité dans notre département, notamment avec l’annonce des Chorégies d’Orange ?
-Ah oui, ça je l’ai vu parce que moi je suis directement concernée. Je devais participer à une production, et elle a été supprimée.
-J’ai cru comprendre que c’était le second opéra ? Est-il indiscret de vous demander comment vous avez appris qu’il était purement et simplement annulé ?
-Par la presse, comme vous (nous-même assistions à la conférence de presse, NDLR). J’aurais bien aimé l’apprendre personnellement, directement. Mais non. Ce vendredi soir-là, quand c’est tombé, on n’en avait pas été personnellement informés, malheureusement.
-Et quel était cet opéra ?
-C’était les Vêpres siciliennes, en français, oui, c’était un beau programme, même concertant. Une coproduction avec le festival d’Aix-En-Provence. On s’est même demandé si Aix allait quand même le faire, mais il semble que oui, avec une seule représentation. C’est très triste pour les Chorégies qui représentaient un très grand festival. On ne comprend pas, moi je ne comprends toujours pas, parce qu’il n’y a pas eu moins de subventions que les autres années, donc je ne comprends toujours pas quel est le problème. Raymond (Raymond Duffaut, directeur des Chorégies de 1981 à 2016, dont nous publierons sous peu la – très longue – mise au point, NDLR) arrivait à faire deux productions par an, alors pourquoi maintenant ça n’a pas marché ? On ne comprend pas : il y a eu des projets et il y a eu de l’argent, alors pourquoi ?
-J’imagine qu’autour de vous les autres artistes, même moins directement concernés, ont les mêmes réactions d’incrédulité, d’indignation….
-Oui parce qu’on comprend pas. Evidemment, on nous dit qu’il y a partout une énorme baisse de subventions, c’est le cas dans plusieurs opéras : au lieu d’en faire huit par an, on en fait trois. Mais là ? S’il y a moins de subventions, à la rigueur qu’on fasse un seul opéra. Au moins un ! On ne voit plus aux Chorégies de mises en scène, que des mises en espace. Pour moi le dernier, Don Giovanni, a été en 2019. On peut comprendre d’ouvrir ce lieu à d’autres styles, à un concert avec Mika, avec Philippe Katerine… Mais ce n’est pas parce qu’un public nouveau va assister à ces concerts-là qu’il va venir ensuite voir du lyrique ; ça peut être le même public, mais ça peut être aussi un public différent. Et puis, l’image d’Orange, c’est le lyrique ! Et il y avait un public à Orange ; il y avait beaucoup, beaucoup de monde ; le théâtre antique était rempli. On a connu les grandes heures d’Orange ! Moi j’y suis allée en 2004 la première fois, pour Carmen, avec Béatrice (Béatrice Uria-Monzon, une amie très proche de Karine Deshayes et Delphine Haidan, disparue cette année même, le 19 juillet, NDLR) et Roberto (Roberto Alagna, NDLR) ; je jouais Mercedes, c’est ma première fois à Orange, eh oui, il y a 21 ans ! C’est un lieu mythique pour nous, les plus grands y sont passés quand même. Oui, tous les grands chanteurs sont venus chanter sur cette scène, et on ne comprend pas pourquoi ça ne marche pas aujourd’hui. Ça veut dire que maintenant il n’y a plus Orange, il n’y a plus comme avant aussi le festival d’Antibes, le festival de Lacoste, enfin tous ces lieux où on pouvait faire des mises en scène, on faisait vraiment de l’opéra. Mais il y a toujours un public, qui attend, qui espère… À Toulouse, tous les soirs, c’était complet quand même (Karine vient de terminer pas moins de neuf représentations de Don Giovanni, toutes à guichets fermés, du 20 au 30 novembre, avec Agnès Jaoui à la mise en scène et Riccardo Bisatti à la direction, NDLR).
-Oui mais Toulouse a connu une remontée spectaculaire depuis quelques années, grâce à la pugnacité d’un nouveau directeur. C’est ce qu’on souhaite pour les Chorégies… Vous ne seriez pas candidate ?
-Non, je ne pourrais pas. Conseiller artistique c’est une chose, mais une direction, c’est tout à fait autre chose, avec l’administratif, le financier, tout un ensemble…
-Evidemment, c’était juste une plaisanterie que je me permettais, puisque nous nous connaissons depuis longtemps….
-C’est un peu compliqué en fait, tant qu’on est en carrière, de mener plusieurs activités de front. Je suis très contente de reprendre Musique Baroque en Avignon, mais c’est parce qu’on est trois (avec Delphine Haidan et Jean-Michel Dhuez, NDLR) ; seule je n’aurais pas pu. La preuve, c’est que dans l’année, je vais pouvoir venir voir le concert de clavecin du mois de janvier (Violaine Cochard le 25 janvier, NDLR), mais pour les concerts suivants moi je suis en production, à Dijon, à Montpellier…
-C’est une très belle perspective pour vous.
-J’aimerais venir davantage, je suis triste de ne pas pouvoir le faire. Mais heureusement Delphine et Jean-Michel seront présents, eux.
-Et pour revenir à Armida, voulez-vous ajouter quelque chose ?
-Ce sont des compositeurs que tout le monde connaît, donc il n’y aura pas de surprise en ce sens. Mais nous proposons un certain regard sur ce répertoire, et les instrumentistes vont donner aussi un extrait de l’ouverture d’un opéra de Lulli, et une sonate de Haendel. Un moment que nous attendons tous…
-Tout comme le public…
Propos recueillis par G.ad.
Voir l’intégralité de notre entretien : présentation générale, le concert (volet 1), le conseil artistique de MBA (volet 2), et l’éviction sans préavis des Chorégies (volet 3, supra)
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