Une réussite complète pour cette création mondiale
Innocence, opéra de Kaija Saariaho. Festival lyrique d’Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence (03-07-2021)
Direction musicale, Susanna Mälkki. Mise en scène, Simon Stone. Scénographie, Chloe Lamford. Costumes, Mel Page. Lumières, James Farncombe. Chorégraphie, Arco Renz
Magdalena Kožená (Waitress) ; Sandrine Piau (Mother-in-Law) ; Tuomas Pursio (Father-in-Law) ; Lilian Farahani (Bride) ; Markus Nykänen (Groom) ; Jukka Rasilainen (Priest) ; Lucy Shelton (Teacher) ; Vilma Jää (Student 1 – Marketa) ; Beate Mordal (Student 2 – Lilly) ; Julie Hega (Student 3) ; Simon Kluth (Student 4) ; Camilo Delgado Díaz (Student 5) ; Marina Dumont (Student 6)
Orchestre : London Symphony Orchestra
Chœur : Estonian Philharmonic Chamber Choir
Evènement au festival d’Aix-en-Provence, avec la première mondiale du nouvel opéra de Kaija Saariaho. Depuis L’Amour de loin, créé en 2000 au festival de Salzbourg, la compositrice finlandaise en est seulement à sa cinquième partition d’opéra… et l’occasion est donc à ne pas rater ! D’autant plus que le spectacle est une réussite complète, en commençant par une musique assez facile d’écoute, d’une richesse et d’un intérêt permanent, qui intéresse toujours et surprend souvent, très variée dans son instrumentation et ses nuances, entre un son d’une infime petitesse et quelques climax explosifs. Comme la veille pour Tristan et Isolde, le London Symphony Orchestra se montre impeccable, en particulier les pupitres très sollicités des cuivres et des percussions. Il est placé cette fois sous la baguette de Susanna Mälkki, l’une des meilleures spécialistes des répertoires des 20e et 21e siècles, la cheffe finlandaise ayant été, entre autres, directrice musicale de l’Ensemble Intercontemporain entre 2006 et 2013.
L’action du livret écrit par Sofi Oksanen, pour cet opéra en cinq actes qui s’enchaînent sans pause en une heure et quarante-cinq minutes environ, prend place en Finlande de nos jours et fait des va-et-vient entre le présent et un drame survenu dix ans plus tôt. C’est d’abord une fête de mariage qui bat son plein au restaurant, salle de réception et cuisine au rez-de-chaussée, restaurant, bar et toilettes à l’étage. Mais un mystère pèse rapidement : le frère aîné du marié n’a pas été invité ; on apprend petit à petit qu’il avait commis une tuerie dans son lycée : dix élèves avaient été assassinés, ainsi qu’un adulte. Une serveuse, appelée en extra, avait perdu sa fille au cours de ce sanglant fait divers et reconnaît à présent la famille, accusant le père d’avoir facilité à son meurtrier de fils l’accès à l’arme objet du malheur. Au fur et à mesure, le restaurant se transforme en école, avec salle de classe à l’étage et salle de permanence en bas, les étudiants rejouant les séquences ayant précédé le meurtre. Finalement, le marié avoue qu’il avait participé aux préparatifs du carnage, mais qu’il s’était dégonflé au moment d’agir. C’est alors le mariage qui se dégonfle complètement, la conclusion laissant tout de même la place à l’espoir, avec le temps qui guérit les angoisses et les phobies des uns et des autres.
Pas rancunier pour un sou, le public aixois, après avoir copieusement hué Simon Stone la veille à l’issue de Tristan et Isolde, lui réserve cette fois un véritable triomphe. La réalisation est en effet brillante et le spectateur est pris par la vérité du théâtre joué à l’intérieur de ce grand décor placé sur un plateau tournant. Le plateau tourne pendant toute la représentation, et pourtant on ne se lasse pas, avec des angles de vue changeants et certaines pièces du bâtiment qui subissent des modifications.
La distribution regroupe à la fois des chanteurs d’opéras et des titulaires de rôles parlés, et fait appel par ailleurs à de nombreuses langues : le livret est chanté en majorité en anglais et finnois, mais on entend aussi du tchèque, de l’espagnol, de l’allemand, du suédois, du grec, du roumain. Parmi les chanteurs, la mezzo Magdalena Kožená impressionne et émeut en serveuse inconsolable, tout comme les parents désemparés du marié, la soprano Sandrine Piau et le baryton-basse Tuomas Pursio. Le jeune couple des mariés est aussi bien chantant, avec la voix agile, musicale et très aiguë de la soprano Lilian Farahani et celle du ténor Markus Nykänen. On descend dans les graves avec la basse Jukka Rasilainen en prêtre, mais on remonte vers les cimes avec la voix aérienne de la jeune Vilma Jää qui interprète, au micro, le fantôme de Marketa, la fille morte de la serveuse. Son style se rapproche de chansons, parfois de comptines pour enfants, parfois plus folklorique, avec de formidables et stimulants effets de modulations dans l’aigu qui lui font recueillir les applaudissements les plus nourris aux saluts. Les rôles davantage parlés sont également touchants et bien en place, comme celui de l’enseignante Lucy Shelton, ou encore l’étudiant allemand Simon Kluth, l’étudiant espagnol Camilo Delgado Díaz, l’étudiante française Marina Dumont, sans oublier l’apport des choristes de l’Estonian Philharmonic Chamber Choir qui s’expriment en coulisses.
I.F. Photos Jean-Louis Fernandez
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