Hayato Sumino-Cateen, entre classicisme raffiné et modernité débridée, un nouvel artiste est né !
Il restera comme un des grands moments de cette édition
La Roque d’Anthéron, jeudi 7 août 2025—20 heures
Hayato Sumino-Cateen, piano(s)
Première partie, 20 heures
Wolfgang Amadeus Mozart, Andante Grazioso-Menuetto-Rondo « alla turca ». J. S. Bach, Concerto Italien en fa majeur BWV971, Allegro, Andante, Presto. F. Chopin, Ballade n°2 en fa majeur op38
Seconde partie, 22 heures
Wolfgang Amadeus Mozart -H. Sumino, Turkish March, Variations in all 24 keys. F. Gulda, Prélude et fugue. N. Kapustin, Eight Concert Etudes op 40 N°1,2 et 3. H. Sumino, Two Pieces of Chopin’s recompositions. New Birth et Recollection, Human Universe. M. Ravel et H. Sumino, Boléro
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Sous les platanes du Parc du Château de Florans, le pianiste japonais Hayato Sumino, également connu sous le pseudonyme Cateen, a littéralement envoûté le public avec un programme d’une rare richesse, mêlant œuvres du grand répertoire, créations originales et transcriptions audacieuses. À la croisée des mondes musicaux, entre rigueur classique et liberté contemporaine, sa prestation a démontré non seulement une virtuosité étourdissante, mais aussi une vision artistique personnelle, sincère et nouvelle.
Ce pianiste a accédé à la notoriété internationale en atteignant en 2021 la demi-finale du 18ème concours Chopin de Varsovie. Amoureux des maths et de la physique, il a, parallèlement à ses études musicales, obtenu un master en ingénierie. Il a passé six mois en 2018 à l’Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (Ircam) à Paris, pendant lesquels il s’est intéressé à l’intelligence artificielle et la musique. D’ailleurs, s’il aime la musique de Bach, c’est bien parce qu’elle est « harmonieuse » et « mathématiquement belle » dit-il à un journaliste tout comme un autre grand pianiste Kit Armstrong élève d’A. Brendel qui nous avait fait la même remarque alors qu’il étudiait en master de maths à La Sorbonne.
Une première partie tout en équilibre
Le concert s’est ouvert avec la Sonate n°11 en la majeur K.331 de Mozart, dans une lecture limpide, élégante et d’un naturel confondant. Hayato Sumino fait preuve d’une grande élégance dans le phrasé et la gestuelle, il a su éviter toute affectation, laissant respirer chaque phrase avec une grâce fluide. La célèbre Marche turque finale, souvent surjouée, s’est ici imposée comme un couronnement jubilatoire d’un discours lumineux et maîtrisé. Certains spectateurs ont été surpris car Bach était annoncé en ouverture du concert, mais la plupart des mélomanes ont vite compris l’inversion de la programmation. On ne peut confondre Bach et Mozart !
Avec le Concerto italien en fa majeur BWV 971 de J.S. Bach, le pianiste a dévoilé une tout autre facette de son jeu : articulé, vif, rigoureux d’une grande clarté contrapuntique. L’aisance de son toucher et le sens du phrasé baroque ont offert à cette œuvre rarement jouée une nouvelle jeunesse. Enfin, place à Frédéric Chopin, avec deux pièces phares du romantisme : la Ballade n°2 en fa majeur op.38, d’une poésie mélancolique bouleversante, et la monumentale Polonaise « Héroïque » op.53, interprétée avec panache, puissance et une précision digitale sidérante. L’improvisateur H. Sumino était en embuscade dans la fin de cette première partie car au lieu d’interrompre son concert entre les deux pièces de Chopin, (et d’accueillir les applaudissements du public), il a improvisé une courte et sensible phrase musicale pour introduire la Polonaise. Sans jamais tomber dans la démonstration, Sumino a su incarner la grandeur tragique et fière du compositeur polonais, soulevant dès cette première partie les premiers bravos enthousiastes du public.
Une seconde partie virtuose et expérimentale
Après le long entracte dû à cette « Nuit du piano », Sumino a surpris et enthousiasmé son auditoire avec une œuvre aussi audacieuse qu’étonnante : ses propres Variations sur la Marche turque de Mozart, dans les 24 tonalités. Véritable marathon tonal et pianistique, cette suite libre et inspirée est un condensé d’ingéniosité harmonique, d’humour musical et de technique maitrisée. Chaque variation se distingue par un caractère propre, un univers singulier, parfois jazzy, parfois presque debussyste, offrant une relecture brillante et inédite d’un thème archiconnu. L’artiste se joue du clavier et nous entraîne dans une ronde échevelée, surfant sur le thème de Mozart et sur des dissonances nouvelles ; il se libère des carcans traditionnels pour s’approprier sa musique.
Mais Hayato Sumino ne s’est pas arrêté là : il a enchaîné des pièces rares et exigeantes avec un naturel confondant. Le Prélude et fugue de Friedrich Gulda, jazzifié à souhait, s’est imposé comme un clin d’œil au goût de Sumino pour les passerelles entre les genres. Puis, trois études extraites des « Eight Concert Etudes op. 40 n°1, 2 et 3 » de Kapustin ont littéralement mis le feu à la scène, entre swing survolté, main gauche galopante et envolées chromatiques éclatantes.
Le public, conquis, a eu droit à une création nouvelle : deux « recompositions personnelles de Chopin », intitulées New Birth Recollection et Human Reverse, où Sumino mêle subtilement lyrisme romantique et textures contemporaines.
Enfin, ultime surprise : une œuvre inspirée, sans aucun doute la plus connue et la plus jouée dans le monde : Le Boléro de Ravel, jouée ici sur deux pianos : un piano droit (et sans doute arrangé) pour le rythme joué à la main gauche, l’autre pour la mélodie, dans une mise en scène sonore aussi originale qu’innovante. Manifestement H. Sumino a deux cerveaux, et cette dichotomie dans la gestuelle a de quoi troubler car l’artiste donne une version magnifique et nouvelle de son Boléro qui envoute le public par son faste monumental !
Un triomphe mérité
C’est sous une standing ovation que le jeune prodige a offert deux bis au public : De Mozart et revu par Cateen : les Variations sur Ah vous dirais-je maman suivies de G. Gershwin : Songbook N°14 Swanee. Le pianiste a quitté la scène, visiblement ému par l’accueil enthousiaste du public provençal. Hayato Sumino n’est pas seulement un pianiste virtuose, il est un créateur, un passeur, un chercheur de sons capable de faire dialoguer Mozart avec le jazz, Bach avec l’improvisation, Chopin avec la modernité. Son passage à La Roque d’Anthéron restera comme l’un des grands moments de cette édition 2025. Nul doute que ses 1,5 millions de followers parleront de ce concert donné en France !
D.B. Photos Valentine Chauvin
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