Noëmi Waysfeld (site officiel) est une artiste inclassable, « atypique », dit-elle. Qu’elle vous parle en tête-à-tête ou qu’elle chante devant une salle, elle porte la même légèreté juvénile, en même temps que la sagesse et la poésie d’un vieux moine tibétain – elle nous pardonnera, c’est la première image qui me vienne spontanément -.
Plutôt que de se réclamer elle-même de telle ou telle influence, ce sont les divers univers musicaux qui la revendiquent, tant elle est « chez elle » aussi bien dans le classique de sa formation initiale que dans la chanson, de diverses couleurs, où elle a posé ses valises.
Elle a enregistré, en novembre 2023, un CD « Barbara » à la Scala-Provence accompagnée par l’Orchestre National Avignon-Provence dirigé par Débora Waldman, et nous l’avions déjà rencontrée à cette occasion. Une année plus tard, elle entreprend, en commençant par la Scala d’Avignon, la tournée promotionnelle. Maxime Le Forestier sera à ses côtés sur scène, et il a accepté lui aussi de répondre à nos questions quelques jours avant le concert.
-Noëmi Wasfeld, vous chantez Barbara, accompagnée par un orchestre symphonique ; est-ce habituel pour vous ?
-Ce n’est pas la première fois, mais je privilégie habituellement des formes plus légères, en trio, soit avec piano et contrebasse soit deux violoncelles. Et j’ai en même temps d’autres programmes qui tournent.
-Le monde de la musique classique est votre univers, et vous vous produisez avec le Quatuor Zaïde, avec les pianistes David Kadouch ou Guillaume de Chassy, avec le Quatuor Dutilleux, avec l’Ensemble Contraste ou le Quatuor Psophos, pour ne citer qu’eux… Mais vous avez aussi enregistré bien d’autres xxx, comme le chant yiddish, le fado ou le flamenco. Comment vivez-vous cette pluralité ?
–C’est une bonne question. J’ai en effet un parcours atypique. J’ai été initiée dès mes 3 ans à la musique classique par ma sœur aînée Chloé, qui avait 11 ans (rattrapée par la maladie en 2013, Chloé laissera un grand vide, NDLR). Tout mon parcours est lié à elle. J’ai pris un cours de chant par jour, de 3 ans à 27 ans. Ma sœur avait inventé une méthode pour lire la musique. La dictée à l’oreille, le violoncelle, le théâtre. Puis j’ai également fait quantité de rencontres, des comédiennes par exemple, comme Isabelle Carré que j’ai vue dans un seul-en-scène à 12 ans (Noëmi a commencé par le théâtre, via le cours Simon, NDLR). J’ai baigné dans les langues aussi, comme le russe, le yiddish. Tout mon parcours semble éclaté, même si tout y est cohérent. J’ai l’impression d’avoir eu le choix. Ensuite une rencontre décisive a été celle d’Antoine Rozenbaum, contrebassiste. Il a fallu monter une structure, un projet, comprendre que la musique était prioritaire, et que le chant s’imposait. Les piliers fondateurs ont été la rencontre de la littérature et de la musique.
-La critique de tous bords ne tarit pas d’éloges sur vous. Comment expliquez-vous cette unanimité ?
–Cette remarque me touche. Néanmoins je ne dois pas faire l’unanimité (rire). Je pense que je ne suis pas assez connue pour qu’on passe du temps à dire du mal de moi (rire). Je fais un travail très particulier et je comprends très bien qu’on puisse ne pas l’apprécier. Quand j’ai fait mon CD Schubert par exemple (sur Le Voyage d’hiver, avec Guillaume de Chassy, NDLR), je ne voulais pas faire une reprise ; j’abordais des espaces périlleux. Mais pour ma vie, je me sens « juste ». Pour ce Schubert j’ai eu la sensation étonnante d’une grande réception et d’une grande compréhension. Pourtant c’était un parcours étrange, qui n’était pas dans l’air du temps. Je n’ai jamais fait de concession par rapport à un domaine où j’ai quelque chose à apporter. Mais c’est au prix d’un travail colossal. J’ai une hygiène de vie ascétique, d’une sportive. Je ne suis pourtant pas à côté de la vie, je vis sa chair. Je ne fais pas de compromis, même dans des choix difficiles. Je m’impose l’honnêteté. Je n’ai pas fait le conservatoire, qui aurait nourri ma légitimité. Mais j’ai côtoyé les grands du monde classique, comme Sonia Wieder-Atherton, ou Débora (Débora Waldman, directrice musicale de l’Onap, NDLR). Tout en ayant conscience de mon illégitimité, j’ai un rapport très humble au travail. Je crois aussi que je chante des chansons assez simples dans le geste ; c’est cela qui donne l’émotion, et pas la virtuosité qui cherche à impressionner.
-Tout le monde salue la fraîcheur de voix. Est-ce que le naturel se travaille ?
–Je m’applique en effet. Et quand j’entends : « Ah ! Quelle voix naturelle ! », je me dis que j’ai gagné si j’ai donné l’impression que c’était facile. Mais par ma sœur j’ai appris que le travail est exigeant pour une chanteuse classique ; il faut se protéger de tout, de la clim, des virus, surtout quand on est jeune maman. J’ai une rigueur absolue dans ma routine, et j’essaie d’être comme surdiplômée par rapport à ce que je chante. Si j’utilise un micro par exemple, je ne l’utilise pas pour travailler ; je pousse les notes au-delà de ce que demande le répertoire, je me donne une marge. Et chaque projet exige un travail différent ; ainsi, Schubert est plus vocal ; pour Barbara, il faut que l’on n’entende rien du travail ; car les mélodies sont complexes ; et Barbara était lumineuse, solaire, espiègle ; elle était toute en intimité, en sensation, ne jouait pas sur le vibrato : que les notes tenues soient droites, sans aucun autre effet ; tout est très contenu.
-Chanter avec un orchestre, est-ce une contrainte ou un stimulant ?
–C’est impressionnant d’être seule et d’avoir avec soi un grand orchestre. J’ai une fascination pour les musiciens classiques. Mon professeur, me disait (sourire) : « un orchestre, pour un chanteur, c’est un gros fauteuil confortable. » C’est le cas ici, avec Débora : c’est un vrai chef de chœur, ouverte, qui fredonne les paroles, qui est comme habitée. C’est faire du trapèze avec filet. Avec un quatuor on éprouve plus de nudité.
-On a dit justement que « La voix féminine est une nudité ». Aujourd’hui, la femme apporte-t-elle quelque chose de particulier dans le chant ?
–C’est Delphine Horvilleur (écrivaine et rabbin, NDLR) qui a dit cela. Il faut être autorisée pour chanter, quand on n’est pas rabbin. Dans la religion juive, la femme ne chante pas. Or moi j’ai été élevée en France, dans une laïcité totale, et je trouve le retour à l’obscurité effrayant. Certaines femmes pour s’exprimer doivent être engagées. Moi j’ai été élevée dans le calme, dans une laïcité sans violence. Je lis beaucoup d’auteures féminines. En peinture, je connais plus d’hommes. Je ne veux pas me faire le gourou bouddhiste que je ne suis pas (sourire) ; il y a du féminin dans l’homme et du masculin dans la femme. A 25 ans j’ai chanté des chants de prisonniers sibériens ; je ne les ai pas repris. On ne peut pas prendre la parole sur tout.
-Pourquoi Barbara et pourquoi Maxime Le Forestier ?
–Ç’a été un gros cadeau, cette rencontre ! Et surtout qu’il accepte ! Il est l’un de ceux qui ont connu Barbara. C’est un grand homme délicieux. Il a un rapport au travail émouvant, il prend encore des cours de chant ! Je pense qu’il a écouté quelques-unes de mes chansons. Il est généreux, son enthousiasme est intact, sans lassitude. Il est émerveillé, avec une vraie gratitude pour la musique. Moi qui ai 35 ans de moins que lui, de suis très émue de chanter avec lui. Il faisait tout « pour qu’elle soit bien », disait-il, et moi je m’effondrais de tendresse.
-On vous a parfois qualifiée de chanteuse de l’exil. Il semble que ce ne soit plus le cas ?
–Aujourd’hui l’exil ça pèse. J’ai été en effet une questionneuse du déracinement, mais maintenant je pose mes bagages. L’exil me soulevait d’émotion, de façon naturelle. Mais aujourd’hui je me sens pleine, dans mon droit, de sincérité, d’envie de rencontres de vrai.
Propos recueillis par G.ad.
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